Article tiré des Cahiers Saint-Raphaël n°8, décembre 2003, « L’enfant à naître ».

Article tiré des Cahiers Saint-Raphaël n°8, décembre 2003, « L’enfant à naître ».

Sommaire

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L’enfant à naître, embryon ou foetus, est à l’heure actuelle au centre d’un combat qui a des répercussions dans la société tout entière. En premier lieu à un niveau individuel, ce qui concerne aussi bien l’embryon conçu que la mère ou le père. Puis à un niveau familial, puisque ce n’est pas seulement l’individu, mais c’est aussi la famille qui est concernée par cet embryon qui en est le fruit. Et enfin à un niveau politique.

 

Ces conséquences font « vibrer » en quelque sorte toute la société humaine, toute la cité. Celle-ci est tout entière concernée par l’embryon aujourd’hui, à tel point que ce peut être un élément déterminant pour obtenir le siège de la Maison Blanche – vous savez sans doute qu’il est probable que W.Bush ait finalement été élu sur la voix des pro-life. Il y a donc une focalisation sur cet embryon qui est tout à fait remarquable. Et la grande difficulté au centre de cette focalisation est le défaut de conceptualisation de l’embryon ; il y a une perte – voulue ou non – de la compréhension de l’embryon. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que cette amnésie, cette conception déviée, se retrouve plus ou moins dans toute l’histoire de l’humanité.

Un brin d’histoire

Dans l’Antiquité

Depuis fort longtemps, l’embryon est un enjeu dans la société, enjeu qui touche différents niveaux. Remontons aux sociétés antiques. Dès cette époque, l’enfant était soumis à un droit de vie et de mort : ce dernier pouvait être exercé par le père dans les deux ou trois jours qui suivaient la naissance, comme à Rome, ou bien même par la société politique comme à Sparte, où l’enfant était présenté à un conseil d’anciens qui jugeait de sa conformité avec les désirs de la Cité, et qui décidait de le garder ou bien de s’en débarrasser en le jetant dans le gouffre des Apothètes. Evidemment il n’était pas possible à l’époque d’essayer de déterminer les caractéristiques génétiques de l’enfant mais si on avait pu on l’aurait fait, car c’est la même mentalité qui guidait déjà l’homme déchu. Déjà l’embryon – l’enfant – est au centre d’une pensée qui a des retentissements dans toute la société.

L’avortement était cependant en principe interdit dans beaucoup de ces Etats. Chez les grecs d’Asie, il était regardé comme un crime capital : Ciceron cite le cas d’une femme de Milet qui fut condamnée à mort pour s’être laissée gagner par les héritiers de son mari, et avoir pris des breuvages qui la firent avorter. Mais même si l’avortement est en général réprimé par les lois, i1 finit par devenir courant et on le pratique autant qu’on arrivait à le pratiquer à l’époque ; les seules hésitations viennent du danger auquel s’expose la mère, les produits létaux risquant de la tuer avec son enfant. Ainsi donc, cette mentalité de destruction, et finalement de relativisation de la vie humaine est déjà bien présente.

Les Temps Modernes

C’est la même mentalité qui va réapparaître avec la fin de l’influence du Christianisme dans la société, mais aussi avec le perfectionnement des moyens qui vont permettre d’atteindre l’embryon.

Le premier pas a été franchi par la contraception ; celle-ci n’est pas une atteinte directe à l’embryon, mais elle imprime une mentalité, toujours la même : on veut empêcher l’embryon de venir au jour. Tertullien a eu ce mot terrible et si vrai : « C’est un homicide prématuré d’empêcher la naissance. Et dans le fond, n’est-ce pas la même chose d’arracher l’âme du corps ou de l’empêcher de l’animer ? »

Avec la technique, des perfectionnements vont venir : l’insémination artificielle, la fécondation artificielle, la fécondation in vitro avec tous les problèmes et les bouleversements que cela peut amener en particulier dans le mariage, la filiation ou la notion de nature humaine. Qu’on songe par exemple à ce qui s’est fait en Afrique du Sud il y a quelque mois : dans un couple de lesbiennes, l’une a donné l’ovule qui a été fécondé par un père inconnu, puis implanté chez l’autre et elles l’élèveront ensemble…

Un autre vieux démon montre à nouveau le bout de sa queue : la sélection ou le triage ; c’est une vieille histoire qui refait surface ; auparavant les enfants étaient triés après la naissance, maintenant il est possible les trier avant. Dans les pays qui admettent la technique du choix des embryons à la fécondation, par le DPI (diagnostic pré-implantatoire) la mentalité eugéniste réapparaît sans complexes.

Une autre révolution, celle du clonage vient bouleverser encore davantage les notions traditionnelles de la famille. Si toutefois l’on n’arrive jamais à faire un clone humain ! Il semble que, d’après les plus récentes découvertes, le clonage humain ne soit pas pour demain, Deo gratias. Mais s’il était un jour réalisé, il bouleverserait totalement les rapports humains et la notion même d’embryon deviendrait problématique.

Les scientifiques s’intéressent également aux cellules souches qui posent un problème métaphysique intéressant : ce sont des cellules qui peuvent donner naissance à un embryon, mais qui, en elles-mêmes, ne sont pas un embryon. Que représentent-elles réellement ? Comment les définir par rapport à la nature humaine ?

Sans oublier des éléments annexes mais qui entrent quand même dans ce bouleversement : l’emploi industriel ou pharmaceutique des produits foetaux.

Remonter aux causes

Un refus d’humanité

A la base de ce bouleversement se découvre en premier lieu un refus d’humanité. Car il n’est pas possible de commencer froidement à découper en rondelles un homme, un foetus, un embryon, sans ne lui avoir auparavant dénié son humanité. Il peut se trouver des hommes froids comme le scalpel qu’ils manipulent, mais ne serait-ce que sous l’aspect légal, devant toute la société, on ne peut pas faire cela sans avoir d’une certaine manière, dénié, refusé l’humanité de cet être. Cette dénégation est parfois explicite : citons le professeur Crick, prix Nobel de médecine : « On pourrait envisager une nouvelle définition légale de la naissance, en repoussant la date de deux jours après la délivrance. Cela permettrait d’examiner les nouveau-nés qui ne sont pas des êtres humains au vrai sens du terme et d’administrer l’euthanasie à ceux qui sont nés avec une difformité, quelle qu’elle soit ». C’est exactement la même mentalité, avec quelques moyens en plus, que celle du gouffre des Apothètes. Autre exemple, celui du Pr. Richet, également prix Nobel de médecine, qui affirmait que les pauvres sourds-muets dont s’occupait l’abbé de l’Epée étaient « des êtres imparfaits, des ébauches d’humanité, des rebuts, de pauvres avortons qui ne peuvent inspirer que pitié, dégoût et aversion. Pourquoi nous obstiner à conserver leur existence, malgré l’ordre formel de la nature qui veut les supprimer ? »

Ainsi donc, il y a nécessairement, d’une manière ou d’une autre, un certain refus de l’humanité. Ce refus est parfois absolu, comme dans la distinction pré-embryon / embryon : avant d’être embryon, on n’est pas embryon – c’est une autre manière de le dire – et si on n’est pas embryon, on n’est pas un être humain. Cette distinction, comme vous le savez, est apparue dans les milieux anglo-saxons pour essayer de distinguer le stade jusqu’où il sera autorisé de procéder à des expérimentations sur le produit de conception : tant qu’il est pré-embryon, c’est possible ; devenu embryon, il doit être respecté. Mais comment fixer la limite ? Les avis divergent : généralement la limite est fixée à 14 jours, c’est-à-dire avant la fixation dans l’utérus. Mais quelle est la raison véritable qui fait dire que tant que l’embryon n’est pas fixé dans l’utérus il n’est pas un embryon ? Cette considération est parfaitement utilitariste, uniquement une question d’expérimentation. Or ce refus d’humanité est tout à fait réel, il est dans des textes, et s’inscrit dans les chairs des petits sacrifiés.

Une humanité relative

Il est possible également de diminuer de cette humanité. L’on tâche ainsi de placer l’embryon dans un état médiat : ce n’est plus simplement un gamète mais ce n’est pas encore tout à fait un homme. Il est placé dans un état intermédiaire, flou, qui permet de l’utiliser comme objet d’expérimentation ou le faire servir à d’autres fins (financières par exemple). Cette attitude relativise l’humanité de l’embryon ; la base métaphysique qui sert à cette relativisation consiste à affirmer que l’humanité réside dans la relation. Ainsi, c’est par la relation de cet embryon avec ses parents ou avec la société qu’il existe. C’est dans ce sens que l’on parle de projet parental. Qu’est-ce qu’un projet parental ? C’est la relation établie entre les parents et cet être apparu après fécondation qui n’a de consistance humaine qu’à travers ce projet parental ; sans projet parental il n’a plus de consistance humaine, il la perd. Il est donc loisible de l’utiliser à fin d’expérimentations. Puisqu’il n’y a plus de projet parental, on peut expérimenter. Il faut écouter Edwards, le « père » du premier bébé-éprouvette : « Je pense que le besoin de savoir est supérieur au respect dû à l’embryon en son stade précoce ». La vie de l’embryon est relativisée, et sa valeur descend au-dessous des nécessités de la « Science ».

Les enjeux médicaux et scientifiques

Ils sont évidents : de nombreux médecins veulent expérimenter sur la grossesse et être libre de pratiquer toutes les formes d’AMP (Assistance Médicale à la Procréation) – sous prétexte d’aider les femmes en détresse…

Les chercheurs veulent aussi disposer de matériau de laboratoire et être libres de développer les fécondations in vitro.

Les enjeux financiers

Quant aux enjeux financiers, ils sont énormes, aussi bien d’ailleurs du côté de la fécondation in vitro que du côté de l’utilisation des produits embryonnaires. Si l’embryon est déshumanisé, les éléments de son corps peuvent être utilisés pour faire des cosmétiques ou des tissus pour culture, moins chers que les tissus de singe…

Les enjeux idéologiques

Ce sont lus plus dangereux. Notons l’enjeu idéologique de la destruction de la famille. Par la perte de l’humanité de l’embryon, l’on désorganise et brise la famille. II est clair que si la famille n’est plus centrée sur un enfant ou bien se réfère à quelque chose qui n’est pas tout à fait un enfant, ce n’est plus une famille.

Enjeu encore de la puissance de l’homme sur la vie. L’homme veut exercer son pouvoir sur la vie. Il veut réellement essayer de la posséder, de la tenir entre ses mains. Or la vie n’est pas quelque chose qu’il est possible de prendre dans

ses mains, ce n’est pas quelque chose que l’on peut saisir : c’est un acte. Se retrouve la définition classique de l’âme. En réalité, ce qui se cache derrière cette volonté, est l’appropriation d’un acte divin, car dans l’apparition de la vie humaine prend place un acte divin, un acte créateur. La compréhension du statut moral de l’enfant à naître, passe par le rappel de cet acte divin qui a totalement disparu de la pensée moderne.

La soumission au plaisir

La soumission de l’homme à ses passions, au plaisir, à la licence n’est pas le moindre de ces enjeux. Dans ce cadre, quand l’embryon est réduit à un sous-homme, il est possible s’en débarrasser le cas échéant par l’avortement.

Ainsi tous ces éléments doivent pousser à réfléchir ; le catholique qui comprend les enjeux de cette disparition visible de l’embryon, particulièrement au niveau légal doit essayer de saisir pourquoi cette attitude est possible et de tâcher d’y répondre.

La conception présentée par le Dr. Pierre Simon, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France est la suivante : « la société contraceptive succédant à la société abortive différera totalement de la nôtre. A changer notre attitude et notre comportement devant la vie – n’y voyant plus un don de Dieu mais un matériau qui se gère – c’est l’avenir tout entier que nous faisons basculer. Des millénaires s’achèvent en notre temps » 1. A noter aussi que dans l’esprit de Simon, la société « contraceptive » est celle qui aura assimilé l’avortement et en aura fait un moyen de contraception usuel. Il prévoit des « stations services » d’avortement où les femmes passeraient tous les vingt-huit jours au moment de leurs règles. II est aussi l’auteur d’un gigantesque rapport de 924 pages intitulé : « Rapport sur le comportement sexuel des Français » 2. Ses obsessions sexuelles se retrouvent dans de nombreuses phrases du style : « Libérée du mécanisme de coercition qui l’affectait – il s’agit de la morale chrétienne (ndlr) – la sexualité va pouvoir assurer son rôle moteur dans la transformation de la société. »

Considérations sur un statut

Nous pourrions nous poser la question suivante : mais finalement, comment sait-on que l’embryon est un être humain ? Une première réponse est donnée par l’évidence : « Cela se voit tout de suite, cela se sent », ce qui est une bonne réponse. Demander à une maman qui ressent les mouvements de son enfant si c’est un petit chat qui bouge, elle ouvrira des yeux horrifiés ! Mais malgré tout, il faut essayer d’aller plus profondément. Comment le savoir ?

Plusieurs éléments aident à la réflexion et à la recherche.

Aux plans biologiques et médicaux

Les progrès réguliers faits par la médecine, la biologie ou la physiologie aident à se rendre compte que cet être qui vient d’apparaître, se développe de façon continue. Depuis le premier instant de la conception jusqu’au moment de la naissance, il suit une progression parfaitement homogène. Toutes les découvertes qui peuvent être faites, hélas ! assez souvent par de mauvais moyens, vont dans ce sens. Cela permet de cerner toujours mieux le fait que la vie humaine commence dès le premier instant, sans subir ensuite de transformation majeure durant tout son développement.

Au plan ontologique

Au point de vue ontologique – c’est-à-dire de la philosophie de l’être – se pose une nouvelle fois cette question : Pourquoi l’embryon est-il un être humain ? Il est intéressant de noter que l’on trouve une divergence particulière chez les penseurs catholiques qui se sont exprimés sur ce sujet quant à l’animation de l’embryon. Quand, à quel moment l’embryon est-il animé ? A quel moment reçoit-il de Dieu une âme humaine ?

Deux théories sont en présence : la première estime que l’embryon est animé dès le premier instant de la conception. Autrement dit, dès cet instant une âme est créée par Dieu pour être associée à cette vie qui vient d’être conçue, c’est ce que l’on appelle l’animation immédiate.

La seconde affirme une animation médiate : cet être qui vient d’être conçu ne reçoit pas immédiatement une âme rationnelle, une âme strictement humaine. Les tenants de cette théorie l’appellent tout de même humaine, mais pas rationnelle. Cet être est d’abord considéré comme un être humain incomplet, pour utiliser l’expression de saint Thomas. Pour la clarté de ce qui va suivre, il faut reconnaître ici-bas trois types distincts de « vie » : la vie végétative, la vie animale (qui ajoute la sensibilité à la précédente) et la vie humaine (qui ajoute la rationalité). L’homme possède ces trois sortes de vie, mais assumées entièrement par son âme rationnelle, principe de vie. L’être conçu commencerait donc par posséder une vie végétative humaine, autrement dit, il est d’une espèce humaine incomplète. Puis, sous l’influence de la matrice et du sang maternel qui jouent un rôle actif – et pas seulement nutritionnel et passif – il reçoit une vie humaine animale (au sens de posséder la vie animale et sensitive, à l’exclusion ,de la vie rationnelle), puis par une nouvelle transformation, il acquiert une vie humaine complète, rationnelle (et c’est donc à ce moment que survient l’action divine). Les moments où ces deux transformations se produisent n’est qu’indicatif.

Quelles sont les raisons qui ont amené certains penseurs, dont saint Thomas, à poser une telle hypothèse ? Il faut remarquer que, pour l’exercice de la pensée, il est besoin, de manière extrinsèque mais nécessaire, du cerveau. En effet, nos idées sont tirées du réel à travers les sens qui sont les fenêtres ouvertes sur l’extérieur, suivant un processus de transformation des connaissances sensibles ainsi acquises, et réalisé par notre intellect. Nous n’avons pas d’idées innées qui nous seraient données avec la nature, mais elles viennent toutes par les sens. De plus, pour que ces sens puissent s’exercer, il faut que les organes qui en sont le fondement puissent eux-mêmes fonctionner. Ainsi, en considérant l’évolution de l’embryon, dont la « forme » extérieure humaine n’apparaît qu’après plusieurs semaines, saint Thomas refuse qu’il puisse dès le début posséder une vie des sens et de l’intelligence, et lui refuse donc une âme qui ne pourrait exercer toutes ses facultés par défaut de matière.

Un second argument imagine que la mère ne se contente pas d’une action passive, mais joue un rôle actif dans le développement et dans cette transformation. De fait, ce rôle actif est nécessité par la première hypothèse, car le plus ne pouvant sortir du moins, l’évolution décrite ne peut se faire sans un agent capable d’élever le niveau ontologique de l’embryon au fur et à mesure de son évolution. Cet agent, c’est la matrice à qui est attribué ce rôle.

En tant que thomiste, je suis respectueux de l’enseignement de saint Thomas, mais je pense qu’il ne tiendrait pas cette théorie aujourd’hui parce qu’il n’avait pas certains éléments que nous possédons maintenant : de fait, l’hypothèse que le sang maternel et la matrice produisent une certaine transformation dans l’embryon est fausse. L’on sait aujourd’hui qu’il y a nutrition, mais il n’y a pas cette actuation qui est nécessaire pour qu’on puisse passer de l’aspect végétatif à l’aspect sensitif puis rationnel. Si cette hypothèse est fausse, la nature explicative des transformations successives est mise en échec et la théorie tout entière en même temps. L’objection thomiste de l’exercice des facultés demeure, mais elle ne me semble pas si évidente et devrait être approfondie.

Cette approche ontologique ne donne pas une réponse définitive. Les deux écoles refuseront pareillement l’avortement à quelque âge de la grossesse que ce soit car, même si une vie humaine est incomplète elle reste humaine et intouchable. Nous avons acquis une certitude. Mais il reste quand même un peu de flou et en particulier nous voyons qu’un raisonnement éthique – au sens traditionnel du terme et non au sens moderne du terme – reste partiellement insuffisant.

Au plan théologique

D’où viendra la certitude ? Elle viendra du point de vue théologique, car c’est la théologie qui va permettre au chrétien de poser des jugements catégoriques, certains, sur ce qu’il faut penser de l’embryon et en particulier de quelle manière il convient d’agir vis-à-vis de lui, c’est-à-dire au point de vue moral. Il n’est pas inintéressant de considérer quelles sont les parties de la théologie qui ont amené les penseurs chrétiens à s’occuper d’embryologie, autrement dit à considérer le statut de l’embryon.

La résurrection des corps

Les théologiens sont parfois amenés à imaginer des hypothèses qui semblent farfelues, dans le but de préciser l’état d’une question. Imaginons avec eux le cas des embryons ou des foetus morts avant la naissance : à la résurrection des corps, comment se présenteront-ils ? Sous forme de foetus, d’embryons, ou bien auront-ils un corps ? Question intéressante pour essayer de comprendre le mécanisme de la résurrection. La foi nous enseigne que nous ressuscitons avec notre propre corps. Il faut donc, d’une manière ou d’une autre, reprendre les éléments qui ont appartenu à ce corps pendant que nous étions sur terre. Imaginons maintenant le cas d’un cannibale qui a mangé le corps d’un autre : comment celui qui a été mangé va-t-il récupérer son corps puisqu’il a été assimilé par l’autre ? Ou bien encore : si des cannibales mettent au monde un enfant, comment cet enfant issu de deux cannibales peut-il avoir un corps qui lui appartienne ? Ces hypothèses peuvent paraître macabres, abracadabrantes ou superfétatoires, mais elles ne sont pas gratuites, car elles sont toujours faites dans le but d’essayer de cerner le mieux possible une explication rationnelle qui puisse coller au dogme, afin de nous donner une intelligence de la foi ; tout en sachant que tout comprendre est impossible car le surnaturel nous dépasse. Saint Thomas, résout la question de cette manière. Ce qui compte dans l’unité du corps humain c’est l’âme avant tout, c’est elle qui est responsable de l’unité avec le corps et donc il suffit de récupérer simplement une petite partie de ce que nous possédions sur terre pour qu’il y ait une reconstitution de ce que nous sommes ; peu importe si tous les éléments ne sont pas présents, car il suffit que l’on possède substantiellement une partie de notre corps. Il va ‘même plus loin : il affirme que si l’on ne pouvait récupérer ces éléments, que ce soit impossible – il prend l’exemple des cannibales -, Dieu y suppléerait de toute façon. Il voit donc beaucoup plus l’aspect de l’information par l’âme. Cette solution nous semble encore plus évidente aujourd’hui que l’importance du turn-over des éléments est connu. Dans une vie humaine, même assez courte, nous nous sommes appropriés suffisamment de matière pour disposer de plusieurs corps de rechange ! La question est aujourd’hui beaucoup plus facile à résoudre.

La conception de Notre Seigneur Jésus-Christ

Un autre chapitre de la théologie a posé des problèmes concernant l’embryon : la conception de Notre Seigneur Jésus-Christ, plus exactement de la chair de Notre Seigneur Jésus-Christ. Comment, dans quelles conditions, sous quelle forme était Notre Seigneur Jésus-Christ dans le sein de sa Mère ? Tous les théologiens reconnaissent que Notre Seigneur avait la parfaite utilisation des facultés de son âme dans le sein de sa Mère. Ce qui pose un problème : comment devait être son corps pour qu’il puisse avoir cette parfaite utilisation ? Comment a-t-il été constitué ? Une réflexion théologique importante s’est consacrée à ce sujet. Les théologiens ont communément appliqué à Notre Seigneur la théorie de l’homoncule, c’est-à-dire d’un homme extrêmement petit, mais possédant la morphologie humaine dès le premier instant. Ils ont reconnu qu’il s’agissait d’une exception miraculeuse à la formation ordinaire.

La spéculation théologique a présenté des solutions curieuses au cours des premiers siècles sur ce point : certains ont émis l’hypothèse du traducianisme, autrement dit, l’âme est transmise par les parents, soit qu’ils aient reçus comme un pouvoir créateur de Dieu, soit que l’âme soit contenue comme en germe dans le corps formé par les parents. Cette erreur a connu d’ailleurs différentes formes. La théologie et le Magistère ont repoussé cette solution pour affirmer la création immédiate de l’âme de chaque homme par Dieu pour l’unir au corps.

Le péché originel

Mais la question la plus importante concernant la conception de l’embryon est celle du péché originel. En effet, comment vient le péché originel ? Comment infecte-t-il l’être nouvellement conçu ? Comment est-il possible que cette âme créée bonne par Dieu, puisse être atteinte par le péché originel ? De quelle manière ? C’est une question très importante et qui va attirer l’attention sur la manière dont II l’âme est formée, sur la conception. D’une part, Dieu donne l’âme ; mais l’âme qui « sort de Ses Mains » est pure, car Dieu ne crée pas une âme en état de péché, ce serait une monstruosité. D’autre part, l’âme est unie au corps au moment même où elle est créée, car l’âme ne préexiste aucunement au corps. Mais imaginons cette âme un instant avant l’union ce qui n’est qu’une fiction pour aider à comprendre : elle est pure, elle n’a pas le péché originel. Et dans l’instant d’après, alors qu’elle est unie à ce corps donné par les parents, ayant reçu eux-mêmes de leurs parents et d’Adam la faute originelle, elle se trouve souillée. Il faut comprendre que c’est parce qu’elle est unie à un corps qui, lui, vient de parents qui ont reçu le péché originel, qu’elle va contracter ce péché.

Ainsi, la transmission du péché originel aide à comprendre l’embryon et son statut moral. Cet embryon qui vient d’être fécondé, il a le péché originel (ou il l’aura dans peu de temps si l’on admet la théorie de saint Thomas). Cet état de chose est capital, et il va d’ailleurs amener l’Eglise à se prononcer sur une circonstance morale du baptême : l’Église impose, en cas de danger de mort ou d’avortement précoce, de baptiser tout produit de conception quel que soit son âge. De cette façon, l’Église donne une précision importante : elle décide – non pas théoriquement, car elle ne tranche pas entre animation médiate et immédiate – que l’on doit toujours baptiser. Il faut bien sûr que l’enfant soit encore vivant ou supposé tel. En cas de certitude contraire, il n’y a pas lieu de baptiser, mais en cas de doute, il faut baptiser. Ainsi l’Eglise considère en pratique l’être conçu toujours comme un homme.

Certes il y a là un mystère. L’embryon est un mystère. C’est un mystère parce qu’il est issu d’un acte simultané entre Dieu et l’homme. L’homme : il y a une action humaine des parents qui sont appelés procréateurs – quel mot magnifique ! – car ils agissent simultanément avec le Créateur dans une création nouvelle. Et cet acte des parents, acte humain, va être assumé par une action divine : c’est donc un acte simultané, à la fois humain et divin, un mystère. Et cet acte est mystérieux à un second titre, car il est malheureusement vicié, radicalement blessé, du fait que cette vie nouvelle est marquée du péché originel, de l’éloignement de ce Dieu qui vient de lui communiquer la vie. Mystère plus profond que le premier, parce que surnaturel. Le péché originel est quelque chose qui est difficile à comprendre, c’est un mystère surnaturel. Qu’est-ce que cela veut dire, blessé par le péché originel ? Il est possible à vrai dire de réciter le catéchisme, mais le mystère demeure, mystère du mal.

La rédemption

C’est pourquoi, pour achever de comprendre le statut moral de l’embryon, il manque encore une dernière notion qui va expliquer pourquoi, dès l’apparition du christianisme, dès que les chrétiens ont commencé à suivre la doctrine de Notre Seigneur Jésus-Christ et à l’enseigner, ils ont immédiatement été contre toute forme d’atteinte à la vie humaine naissante et comment ils ont opéré un renversement total de la conduite morale des peuples. Certaines raisons données jusqu’ici pourraient être suffisantes mais il faut remarquer que la réflexion sur ce sujet n’était pas encore très développée d’une part, et que le statut de l’embryon (ou de l’enfant nouveau-né) était celui d’un être sur lequel on avait droit de vie et de mort d’autre part. Alors comment ce renversement complet s’est-il réalisé, sur quelle base ?

Cette base, c’est le salut, c’est la Rédemption de Jésus-Christ. Cette vie humaine donnée par Dieu qui vient d’apparaître dans le sein maternel, elle a une destinée éternelle, mais elle est soumise au péché originel, et c’est pourquoi elle doit passer par une Rédemption, par un salut. Ce salut s’obtient par le baptême et par une vie de grâces. Ainsi, la raison qui a immédiatement poussé les chrétiens, sans de grands raisonnements qui seront développés par la suite, c’est la notion de salut. C’est parce qu’il y a un homme à sauver pour l’éternité, c’est parce que c’est une destinée éternelle qui est devant nous, mystérieusement cachée et qui se manifeste seulement par des coups discrets frappés au coeur de sa mère, que cette vie est intouchable. Ce serait priver cet être, ce petit, de la vision éternelle de Dieu, du plus grand bien que l’on puisse imaginer ou rêver. Celui qui tue son prochain et lui vole sa vie innocente est très gravement coupable, mais que dire de celui qui vole le Sang de Dieu, versé pour le salut de tous ?

C’est donc le mystère de la Rédemption qui éclaire définitivement sur cet embryon. Sans cette notion de Rédemption, il serait possible de continuer à discuter avec ceux qui prétendent qu’il n’est pas encore humain, qu’il est ceci, qu’il est cela… Certes, des raisons convaincantes existent, même au simple point de vue rationnel, et nombreuses, qui se situent tant au point de vue individuel que familial ou socio-politique. Mais pour un catholique, devant le plan de la Rédemption, tout débat cesse. Il est certain que dès que nous ne sommes plus en présence d’un gamète, il y a quelqu’un à sauver. Va-t-il être animé dans quelques instants ? Peu importe, il y a quelqu’un à sauver de toute manière. Si on laisse faire la nature, c’est une âme humaine à sauver, à baptiser.

Conclusion

Il convient tout d’abord de souligner l’apport de la révélation à notre science même purement humaine. Sans elle la vérité naturelle, dans les conditions actuelles de l’homme sur terre, n’est accessible qu’imparfaitement, difficilement, pour une élite et avec de grands risques d’erreur. Quel bienfait immense pour l’humanité, même au simple point de vue naturel, que cette miséricorde de Dieu reçue par la révélation.

Mais il semble plus important de montrer comment cette considération du statut de l’embryon peut aider à comprendre la portée d’un acte humain. L’acte de la conception est un acte humain associé à une action divine ; puis, un nouvel acte humain associé à une nouvelle action divine plus puissante que la première, dans le baptême, va faire naître à une destinée éternelle. Et bien ! C’est un peu la même chose pour chacun de nos actes. Chacun de nos actes est une conception en quelque sorte, il a une portée définitive, une portée éternelle… S’il est accompagné d’un acte divin, de la grâce divine, il fait naître à la vie éternelle. Si au contraire il est accompli seul, refusant ou négligeant cette grâce, il est un peu comme un avortement qui tue son fruit et l’empêche d’aboutir. Si l’on supprime ou si l’on perd cette compréhension de l’embryon à travers la Rédemption, on perd du même coup la portée d’un acte humain : celui-ci devient en lui-même absurde. Et c’est d’ailleurs ce qui se produit : cet acharnement contre la vie humaine, réalisé d’une manière ou d’une autre, entraîne les hommes à ne plus même comprendre ce qu’est un acte humain, à détruire son fruit et donc finalement toute vie humaine même naturelle ; cette destruction stérilise totalement la compréhension de tout acte humain.

Quoi de plus évident d’ailleurs, car qu’est-ce que l’embryon ? C’est le commencement d’une vie, qui est déjà un fruit – le mot conception le dit bien – un fruit qui est au début d’une nouvelle vie. Quelle fécondité dans cette conception ! Mais en tuant ce fruit, l’homme se condamne à ne plus comprendre ce qui devrait suivre. C’est la même chose pour un acte humain : en brisant la compréhension de ce que doit être un acte humain qui a une portée éternelle – tout acte humain a une portée éternelle, positive ou négative – se brise totalement la compréhension de la vie humaine, celle-ci devient absurde, inintelligible. Les enjeux qui sont derrière le combat mené pour la vie, c’est d’une part le salut de ces êtres massacrés, mais d’autre part celui de la survie de la pensée humaine, de l’humanité. Ne pas arriver à faire comprendre cela à nos contemporains, nous fait entrer dans une société de démence et de folie, car précisément, le fou est celui qui ne sait plus ce qu’est un acte humain. Ce n’est qu’un élément parmi d’autres dans le combat à mener mais c’est un élément essentiel.

Il convient d’achever sur la considération de cet acte extraordinaire qu’a été la conception de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle est le modèle parfait de toutes les conceptions. Ce fut un acte totalement humain et divin qui s’est déroulé dans le sein de la Vierge Marie. Considérons le fiat de la Vierge. Saint Léon nous dit qu’elle a d’abord conçu le Christ en son coeur avant de le concevoir dans ses entrailles. Et parce que cette conception était d’une pureté parfaite, parce que cet acte était si pleinement humain et divin sous l’influence de la grâce, le fruit en a été parfait, divin et humain. Et d’autre part, se découvre l’action de la Sainte Trinité qui s’est emparée d’une partie, d’une petite partie de la nature humaine de la Très Sainte Vierge, pour la transformer, la transfigurer en l’Homme-Dieu. Parce que la réponse de la Vierge était si parfaite, cette transformation a abouti à l’être 1e plus extraordinaire de toute la Création : le Christ. C’est l’image suprême et parfaite de ce qui s’accomplit à chaque conception. Notre Seigneur, au moment de sa conception, est la cause exemplaire de chaque conception, en tant que celle-ci a une ordination à la Rédemption. Jésus-Christ qui est le Verbe prononcé par Dieu dans l’éternité a pris chair ; il a saisi une partie de l’humanité du la Très Sainte Vierge et lui a donné la dignité de l’Homme-Dieu. Nous sommes tous rattachés à cette conception par la Rédemption, car nous sommes tous virtuellement baptisés dans la conception de Notre Seigneur Jésus-Christ ! Tout le plan du salut se réalise à cet instant même de la conception du Christ où la nature humaine est unie à la nature divine.

Pour mieux comprendre la portée de nos actes, il importe de mieux pénétrer la signification de la défense de la vie que nous devons accomplir. Tâchons de méditer sur la conception de Notre Seigneur Jésus-Christ et de lui demander l’intelligence et la force pour pouvoir nous opposer à tout ce qui attaque la vie humaine naissante selon les différentes facettes de ce combat : scientifique, médical, légal, politique, afin de nous opposer efficacement à cette destruction. Cela parce que nous croyons vraiment qu’il y a une Rédemption en Notre Seigneur conçu du Saint Esprit dans le sein de la Vierge Mère.

Cet article est tiré des Cahiers Saint-Raphaël, revue de l’Association Catholique des Infirmières et Médecins (ACIM), n°8 de décembre 2003 sur « L’enfant à naître ».

L’Institut Civitas remercie l’ACIM pour son aimable autorisation. Vous pouvez vous procurer les numéros des Cahiers Saint-Raphaël à l’adresse suivante :

ACIM

20B, place Dupleix

75015 PARIS

Abbé Arnaud SELEGNY

1

De la vie avant toute chose, 1979 ed. Mazarine 1979.

2

Rapport sur le comportement sexuel des Français, ed. Julliard 1972.