Article tiré du numéro 1 de la revue Civitas (juin 2001) : La mission des laïcs dans la reconquête.

 

Notre société malade se flatte de réduire les exclusions… A l’exception de la plus importante : l’exclusion du règne de Dieu sur nos institutions. Parmi ceux qui déplorent la dérive actuelle, peu comprennent que c’est l’origine de nos maux ; et nos comtemporains sont en train de faire la preuve par l’absurde de la nécessaire autorité de Dieu dans la gestion des affaires du monde.

Pourtant, la solution est à portée de main, magnifiquement résumée dans l’encyclique Quas Primas de Pie XI écrite en 1925. Cette doctrine peut se résumer par l’adage : « la paix du Christ par le règne du Christ ».

D’où l’impérieuse nécessité de bien connaître la doctrine de la Royauté Sociale de Notre Seigneur Jésus Christ. Tel est le but de cet article.

Les sources de la royauté du Christ sont l’Incarnation et la Rédemption.

Le Christ est Roi, parce qu’il est Dieu et homme, et parce qu’il est Rédempteur. Etant Dieu, il est roi ; étant homme, il est un roi humain, et son règne est donc le règne d’un homme. La nature humaine du Christ est investie de la royauté, car cette nature est celle d’un dieu, et donc d’un roi. Mais, la royauté du Christ n’est pas seulement celle d’un dieu : elle est la royauté d’un homme véritable possédant un corps et une âme. Royauté d’un homme qui peut dire en toute vérité : « tout pouvoir m’a été donné au Ciel et sur la terre » ; car, même s’il possède la puissance absolue comme Dieu, de par sa nature humaine il peut dire que ce pouvoir lui a été donné.

Sa royauté n’est donc pas seulement spirituelle, elle est aussi temporelle, car l’homme vit dans le temps, l’homme n’est pas un pur esprit. La royauté de Notre Seigneur Jésus-Christ s’étend sur tout le champ de la vie humaine : vie individuelle, personnelle, mais aussi vie sociale et politique. L’homme étant soumis à l’autorité de Dieu, et la société étant connaturelle à l’homme, il s’en suit que la société est donc elle aussi soumise à la Royauté du Christ.

Le Christ est aussi roi parce qu’il est Rédempteur. Il est Rédempteur, c’est-à-dire que l’homme ne peut se sauver que par Jésus-Christ ; l’homme ne peut accéder à la vie surnaturelle, à la vie éternelle, que par Jésus-Christ, unique médiateur. L’homme ne peut donc être sauvé de la mort éternelle et de son péché que par le recours à Jésus-Christ ; la nature ne peut être guérie que par la grâce, l’homme a besoin de Jésus-Christ pour combattre le mal et accomplir le bien.

Par conséquent, la vie sociale, comme la vie politique, à l’imitation de la vie humaine, ne peut se passer de Jésus-Christ. C’est ce que le cardinal Pie rappelait à l’empereur Napoléon III : « Sire, je ne sais si le moment est venu pour Jésus-Christ de régner, je ne suis pas un politique, vous êtes un politique ; je ne peux pas vous répondre, mais ce que je sais, c’est que si le moment n’est pas venu pour Jésus-Christ de régner, alors, le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer ».

Donc, le Christ est le Roi de la société parce qu’il est Dieu et parce qu’il est Rédempteur : telle est la source de la doctrine politique de l’Eglise, car l’Eglise a une doctrine politique.

L’Eglise n’a pas un programme politique, elle n’a pas de solution concrète à proposer aux problèmes actuels – encore moins peut-elle donner des consignes électorales – mais elle a une doctrine, c’est-à-dire des principes fondamentaux relatifs à la nature et au but de la société et du gouvernement. Et cette doctrine ne date nullement, comme on pourrait le croire, de Léon XIII : l’Eglise n’a pas attendu le XIX° siècle pour se préoccuper de la justice, de l’économie, du capitalisme, du libéralisme et du gouvernement des peuples. Toute la renaissance de la civilisation après les invasions barbares, toute l’œuvre du magistère et des théologiens, toute la construction faite par les moines et les évêques, sont là pour témoigner de l’existence, de la fécondité et de la vitalité de la doctrine politique de l’Eglise, doctrine qui fut vécue avant même d’être explicitée.

Mais, quelle est cette doctrine ? Tâchons d’en saisir deux points essentiels, se rapportant à l’Etat et à l’autorité.

Quelle est l’influence de l’Eglise sur l’Etat ? On l’a vu : le Christ règne sur la société, donc l’Etat est soumis au règne du Christ ; en pratique, cela signifie que la religion catholique, religion du Christ, est la religion officielle de l’Etat. L’Etat est catholique, ses princes ne sont pas catholiques à titre purement privé – ce qui du reste n’est pas absolument nécessaire – mais ils le sont dans l’exercice même de leurs fonctions. Le Décalogue est la charte et le fondement de l’Etat : sa loi fondamentale n’est donc pas la Déclaration des droits de l’homme. L’Etat veille au respect de la morale naturelle, et les lois sont l’application concrète et particulière du Décalogue ; l’économie, le travail, la famille, en un mot la morale publique, sont conformes aux exigences de la justice et de la loi de Dieu. L’Etat réprime l’immoralité et facilite la pratique du bien.

Voilà pourquoi l’Etat catholique n’admet pas la propagande immorale et anticatholique ; il s’oppose à la propagation et à la proclamation publique de l’erreur, voire aussi de l’hérésie et de l’infidélité. Les fausses religions et les fausses philosophies sont les ennemies publiques, ennemies de l’Eglise comme de l’Etat. L’erreur n’a aucun droit, les fausses religions non plus ; il n’y a pas de droit naturel à la liberté religieuse pour toutes les religions indistinctement : seule l’Eglise catholique possède d’elle-même ce droit à la liberté religieuse. Nombre de documents de la Tradition et du magistère plaident en ce sens.

Est-ce à dire que l’Etat catholique persécutera les autres religions ? Notons d’abord que l’intime de la conscience et la vie privée familiale ne sont pas du ressort de l’Etat, et il ne peut donc pas y intervenir. Mais, il est vrai que la propagande ou la profession publique d’hérésies ou de fausses philosophies n’a aucun droit d’exister, et si l’Etat catholique les tolère, c’est pour éviter ce plus grand mal que serait une guerre civile ou une cassure de la société. L’Etat peut accepter la manifestation publique de l’hérésie ou des fausses religions, mais il les peut les tolérer comme un mal, il les tolère comme il supporte les maisons de tolérance. C’est alors la prudence politique qui intervient, ce n’est pas le droit naturel.

Et si l’Etat protège la vraie religion, l’Eglise à son tour assure le bien de la société. C’est l’Eglise et la grâce qui fonde les vertus sans lesquelles l’Etat ne saurait subsister : honnêteté, piété, patriotisme, sacrifice, justice, tout cela en définitive est fondé sur le Christ et sur l’Eglise. L’équité des magistrats, la fidélité des soldats, l’entraide et la solidarité entre les citoyens, voilà ce que l’Eglise apporte à l’Etat.

L’Etat et l’Eglise, s’ils sont distincts, ne sont pas séparés, et la première victime de la laïcité et de la séparation, ce sera l’Etat, car c’est l’Eglise qui est à l’origine de la civilisation.

L’autorité aussi repose sur l’Eglise : non que le clergé ait à exercer une autorité politique ; catholique ne veut pas dire clérical, et le clergé est plutôt incompétent en de telles matières, sauf exception. Mais c’est l’Eglise qui donne à l’autorité son caractère sacré, car l’autorité, même l’autorité civile, est exercée au nom de Dieu : « Nihil potestas nisi a Deo », dit saint Paul, il n’est pas de puissance qui ne vienne de Dieu.

L’autorité, celle du prince comme celle du père de famille, est sacrée, et c’est ce que l’Eglise a toujours reconnu ; l’Eglise rend l’autorité sacrée et légitime. Le pouvoir est de droit divin, que ce pouvoir soit monarchique, aristocratique ou démocratique. Il s’exerce toujours au nom de Dieu, toujours au nom du Dieu tout-puissant que l’Eglise représente. Même en démocratie donc, le pouvoir est sacré : voilà pourquoi si le choix des gouvernants et des programmes politiques peut être objet d’élection – ce qui ne s’oppose en rien à la doctrine de l’Eglise – en revanche, la doctrine politique elle-même et la religion ne peuvent pas être objet d’élection. La démocratie, celle que l’Eglise accepte, c’est celle qui reconnaît la royauté du Christ 1. Si donc l’unité doctrinale d’un pays est insuffisante, alors la démocratie devient un fléau, car ce ne sont plus les hommes et les programmes qui sont élus – ce qui devrait être – mais c’est Notre Seigneur qui est mis au rang des faux prophètes, des fausses doctrines. Si elle est catholique, la démocratie peut être sacrée ; sinon, elle est perversité.

La cité médiévale s’unissait dans la construction des cathédrales. Aujourd’hui, ce n’est pas une cathédrale de pierres qu’il faut construire, parce qu’il faut d’abord construire la cathédrale politique avant de construire la cathédrale de pierres. Puisse-t-il y avoir en nous l’énergie des grands bâtisseurs, cette force, cette charité, qui est le principe de la divinisation du monde ! Charité personnelle sans doute, mais aussi charité politique, qui fera de la cité terrestre la préparation de la cité céleste.

Civitas

1

St Thomas, en particulier dans le « De regno » distingue dans les régimes où le peuple gouverne : la « démocratie » opposée au bien commun et la « politia » qui, elle, le poursuit.