Article tiré du numéro 6 de la revue Civitas (septembre 2002) : La famille.

Sommaire

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Introduction

« Celui qui n’a pas soin des siens, surtout de ceux de sa famille, est comme celui qui a renié sa foi et pire qu’un infidèle » 1

Comment ne pas croire saint Paul quand il assène dans sa première épître à Timothée cette sentence terrible ? Sur quel plan élevé une telle affirmation place donc la famille ! Et pourtant cela ne devrait pas nous étonner, tout gravite autour de la famille, car elle est au centre de l’ordre humain.

Question clé, la question familiale commande toutes les autres et est au cœur de la vie de la cité. Les familles sont constitutives de la cité et toutes les grandes questions politiques, économiques et sociales vont s’ordonner autour des familles. La vie professionnelle par exemple s’organise raisonnablement et donc doit s’ordonner en fonction de la vie familiale sous peine d’être injuste. Aussi la prospérité des familles est-elle comme un indice de prospérité sociale. Quand, sur le plan moral comme sur le plan matériel les familles s’épanouissent, il n’est pas de signe plus net de la sagesse d’une politique.

L’importance même du problème familial, et ses compénétrations diverses en font un problème complexe et difficile à aborder.

Cette présentation a donc pour but de définir les grands principes fondateurs de la famille en tant que « notion » et de permettre ainsi une meilleure compréhension des sujets plus précis traités ultérieurement dans ce numéro. Il s’agit donc ici de comprendre que la famille est le pivot essentiel que nous venons d’évoquer pour trois raisons: elle est la cellule de base de toute communauté humaine, elle est chose sacrée dans l’ordre voulu par Dieu et enfin (pour ces deux premières raisons) elle est le fondement de l’ordre social.

La famille communauté humaine par excellence

Importance du problème familial

Cette position de la famille dans l’ordre humain a pu donner une idée de l’importance du problème familial. Paradoxalement elle est le plus souvent l’objet de l’indifférence générale. Parce qu’elle n’est pas un parti, la démocratie la tient pour négligeable, par ce qu’elle n’est pas une classe, les agitateurs voient en elle un frein à la lutte qu’ils rêvent de semer et ils la combattent. Enfin, parce qu’il faut trop de conscience et d’honnêteté pour résoudre ses problèmes, les politiques se gardent bien de les poser quand ils sont en place. Le résultat est que la famille ne recueille le plus souvent qu’indulgence affectueuse, encouragements sceptiques ou ironie condescendante. Cependant, out commence par elle et tout y retourne. Issu d’un père et d’une mère, l’homme et la femme sont appelés à le devenir à leur tour. C’est par la famille que les sociétés se perpétuent et se reconstruisent. La population n’existe que par elle.

La famille est la communauté humaine par excellence. Elle est, nous dit Pie XI, « le milieu naturel et efficace pour la formation de l’homme » et ceci en tous temps et tous lieux. « Chez les primitifs d’Afrique comme chez tous les autres », constate Mgr Leroy dans La religion chez les primitifs, « la famille est le pilier central auquel avec la religion, toute la vie sociale se rattache ; si la famille est fortement constituée, la tribu prospère ; si les liens se relâchent, la tribu faiblit et si, comme il arrive dans les cotes et les centres européens, elle se désorganise, la tribu disparaît. » C’est la famille qui est la cellule sociale élémentaire et non pas l’individu, c’est elle qui lui permet de survivre et de durer.

La famille chez les peuples barbares (Mgr Leroy)

Que la famille soit antérieure à l’état, c’est une proposition que refuse d’admettre l’école matérialiste. A croire ses plus illustres représentants, la famille n’aurait pas existé à l’origine, mais serait une création de la civilisation. Par malheur, il ne manque à cette thèse que la confirmation des faits. Rien dans l’ordre historique, rien de ce que nous savons chez les actuels peuples barbares ne justifie pareille proposition. Ainsi, bien loin de donner raison à ceux qui se sont plus, ou qui se plaisent encore à représenter l’état des hommes comme une promiscuité grégaire et inconsciente, l’examen le plus élémentaire entre nous démontre que partout, même chez les tribus les plus reculées, l’institution familiale est solidement établie. Chez ceux qui passent, avec raisons semble-t-il, pour les moins civilisés des hommes, la famille est particulièrement puissante. le père y est tout à la fois, chef et prêtre. Au surplus et contrairement à d’autres tribus plus organisées, la famille y est souvent monogame.

« Plus on descend vers les populations d’aspect général primitif » écrit encore Mgr Leroy,   « plus la famille y apparaît précisément comme la base fondamentale et indiscutée de la société élémentaire… Partout la préoccupation constante est de constituer la famille, d’en resserrer les liens sous l’autorité incontestée d’un chef, d’y maintenir la totalité des liens qui s’y trouvent et de la fortifier en lui ménageant des alliances, d’en faire pour les siens un moyen de refuge et un moyen de défense, d’en écarter les dangers visibles ou cachés, et pour tout cela de lui assurer les concours surnaturels qui lui sont nécessaires. » famille et religion sont partout étroitement unies. Partout, la bénédiction des parents est un gage de bonheur et leur malédiction la pire des calamités.

La famille une chose sacrée (Sa Sainteté Pie XII)

Les papes définissent la famille

Parce qu’elle est le creuset même de la vie qui a son principe en dieu seul, il n’est étonnant que la famille apparaisse marquée d’un signe religieux. Ce signe, il n’est aucune union, même chez les primitifs qui n’en porte la marque. Déjà, Pie VI dans la literis tuis du 11 juillet 1789 rappelait que le mariage avant même d’être un sacrement, était sacré, et, par là, au-dessus de la puissance politique.

« La seule lumière de la raison » écrit Pie XI dans Casti conubii « (…) suffit à établir qu’il y a dans le mariage naturel humain quelque chose de sacré et de religieux, non adventice, mais inné, non reçu des hommes, mais inséré par la nature même parce que ce mariage a Dieu pour auteur et qu’il a été dès le principe, comme une image de l’incarnation du verbe de Dieu. »

« Il est certain », avait déjà constaté Léon XIII, « que dans l’esprit de tous les peuples anciens, par suite d’une disposition naturelle et antérieure, chaque fois qu’ils pensaient au mariage, l’idée s’en présentait toujours sous la forme d’une institution liée à la religion et aux choses saintes. Aussi, parmi eux, les mariages ne se célébraient-ils guère sans des cérémonies religieuses, l’autorité des pontifes et les ministères des prêtres tant avaient de force sur les esprits, même dépourvus de la doctrine céleste, la nature des choses, le souvenir des origines, la conscience du genre humain. »

La famille humaine trouve son principe dans le mariage. Le mariage a toujours été considéré par le sens commun de l’humanité comme un état religieux.

Un sacrement à la base d’une institution

Un mariage civil, c’est à dire un mariage areligieux, voilà ce que le monde n’avait jamais connu et que notre société a inventé. Occasion de rappeler que nous sommes par là au-dessous du paganisme. Le mariage civil ne peut pas être considéré comme un progrès ni comme une formule d’avenir pour la famille et c’est tout simplement l’expérience et les fruits observés qui nous conduisent à cette conclusion. Depuis sa laïcisation, l’institution familiale connaît une crise inégalée. Si la famille moderne se distinguait par sa solidité, sa moralité, sa fécondité, son unité, on pourrait dire que le sceau religieux qui l’avait marqué jusque là était un signe de barbarie, mais à l’évidence c’est plutôt le contraire.

Non seulement l’institution familiale fut ébranlée par le laïcisme, mais, de toute part, nous la voyons sapée. La laïciser c’est la détruire en lui portant le premier coup. Si l’on veut un signe évident de cette décadence il suffit de comparer deux encycliques pourtant anciennes sur le mariage: celle de Léon XIII et celle de Pie XI. Dans Arcanum, le premier s’inquiétant déjà, ne s’attachait qu’à rappeler le caractère religieux du mariage et son indissolubilité ? Dans Casti connubii Pie XI est obligé de descendre jusqu’à des questions de morale beaucoup plus élémentaires (avortement, union libre).

« Ceux qui nient que le mariage soit sacré… , préparent une accumulation de ruines. » (Léon XIII). Tout prouve que l’avertissement était fondé.

Le mariage contrat sacré relève de l’autorité religieuse qui est l’Église et non du pouvoir civil qui est l’état. « C’est un dogme que le mariage des chrétiens a été élevé à la dignité de sacrement par Notre-Seigneur Jésus Christ; et cette dignité ne peut selon la doctrine catholique, être comptée comme une qualité accidentelle ajoutée au contrat de mariage » (Léon XIII). Autrement dit, la mariage est sacrement et non le sacrement un accessoire du mariage.

La famille fondement de l’ordre social

Vérité familiale vérité nationale

Les citoyens d’un pays doivent se trouver intimement unis par l’amour et la fierté qu’ils éprouvent pour leur origine commune. La loi que Dieu donne à Moïse sur le mont Sinaï fait dépendre la perpétuation d’Israël est son maintien dans la terre promise de la pieuse observation du culte des ascendants : « Tu honoreras ton père et ta mère ». C’est le premier commandement qui concerne les devoirs envers les mortels. Il prolonge et complète les commandements précédents qui établissent le culte divin. Ils ont les uns comme les autres une répercussion politique. Dans la mesure ou le peuple élu les observera, il maintiendra son unité et assurera sa pérennité. l’expérience illustre les impératifs de la loi divine. Un peuple qui se détache des traditions de son passé rompt le fil de son existence. Les individus ne succèdent aux individus que par la famille. Au regarde de la durée nationale, c’est un argument décisif. Il ne peut pas y avoir de communauté de destin entre ceux qui meurent et ceux qui ne meurent pas, entre l’individu et la nation. La famille peut vivre d’une vie aussi longue que la nation, courir le même risque, traverser les même épreuves. Un individu put dire « après moi le déluge », une famille comme une nation ne le peuvent pas. La famille comme la nation plongent leurs racines dans un passé lointain et poussent leurs branches loin dans l’avenir. L’individu n’est que provisoire.

Une micro société

N’en déplaise au Nouveau Catéchisme de l’Église Catholique, la famille est immédiatement instituée par Dieu pour sa fin propre qui est la procréation et l’éducation des enfants (Divini illius Magistri, Pie XI). Voilà pour sa cause finale. C’est autour que s’ordonne la place de chacun des membres qui la composent.

Le père est le détenteur de l’autorité qu’il reçoit de Dieu et qui correspond le plus souvent à ses attributs physiques et psychologiques : courageux et consciencieux dans un travail qui se veut souvent exigent pour sa condition et ses horaires. Tout en étant en contact permanent avec le Monde extérieur, c’est à lui qu’échoit la tâche de protéger et de guider le foyer par les décisions qu’il est amener à prendre et à respecter pour le bien de tous. Saint joseph illustre parfaitement son rôle lors de la fuite en Égypte. Saint thomas définit ainsi sa mission : « il est le principe de la génération, de l’éducation et de la discipline et de tout ce qui se rapporte au perfectionnement de la vie humaine. »

Rien ne représente mieux le rôle de la mère que la femme forte de l’écriture. Patiente et connaissant bien ses enfants, elle est la véritable âme du foyer, lui procurant le bien être et la stabilité. Son action est essentiellement intérieure à la famille, et le conseil qu’elle prodigue à son mari est sage et ne doit pas être négligé. Sainte Anne et Notre-Dame, par l’éducation qu’elles ont donné à leurs enfants sont à la fois les patronnes et les exemples des mères de famille.

C’est entre ces deux êtres complémentaires que les enfants vont vivre leurs premières années et constituer avec eux une vraie micro société. Au fil des années qui passent, ils découvriront la plupart des éléments de leur vie d’adulte : la nature humaine avec ses forces et ses faiblesses, la loi et l’autorité, la soumission de tout acte aux exigences du décalogue. Ils s’éveilleront à la vie en communauté et à la recherche du bien commun, et exerceront le sens du devoir et du sacrifice.

Perfectionnée par les vertus chrétiennes, la vie familiale rencontre à son échelle les joies et les difficultés qui sont celles d’une société toute entière. « Les enfants entrent dans la vie civile non par eux-mêmes immédiatement, mais par l’intermédiaire de la communauté domestique dans laquelle ils sont nés. » (Léon XIII, encyclique Rerum Novarum)

Tout ceci nous montre bien que la famille est une société dans l’ordre naturel. Il en est de même sur le plan surnaturel: la vocation de la famille est avant tout le salut de chacun de ses membres. Les parents par leurs enfants et réciproquement, chacun s’y prépare jour après jour.

Conclusion

Par sa nature, la famille a donc en quelque sorte une « vocation », une mission sociale. Nous avons dit qu’elle était « fondement de l’ordre social » et cela est vrai de bien des façons : d’un point de vue démographique, elle est le lieu de fécondité et fournit à la société ses « citoyens ». Les familles nombreuses sont les forces vives des sociétés, des pays réellement dynamiques. La famille est aussi pourvoyeuse de citoyens au plein sens du terme car elle est la cellule éducatrice par excellence. Avant l’école, avant l’État, c’est en son sein que se fait la première éducation religieuse, morale et sociale. C’est là que s’acquièrent les vertus, les qualités qui feront la valeur sociale d’une homme. L’exemple des parents et l’atmosphère familiale restent gravés dans notre mémoire et nous influencent durant toute notre vie.

Bibliographie

Léon XIII, encyclique Arcanum §9

St Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa, IIae,QCII,1

Pie XI, encyclique Divini illius magistri

Mgr Le Roy, La religion des primitifs, Beauchesne

Fustel de Coulanges, La cité Antique (sous réserve du positivisme de l’auteur)

R.P. Charmot S.J., Esquisse d’une pédagogie familiale, voir aussi L’âme de l’éducation.

Marie-Cécile Ferrey

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St Paul 1e Tim, V,8.