Article tiré du numéro 4 de la revue Civitas (mars 2002) : L’Etat.

Sommaire

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A l’époque moderne, les Etats inspirés par les principes révolutionnaires ont fait des efforts particuliers pour contrôler le système éducatif, afin de renforcer leur emprise sur les âmes et les intelligences. Pour parvenir à la sécularisation complète de la société, ils savaient qu’ils devaient imposer la « neutralité » et la « laïcité » de l’enseignement et ruiner les institutions d’éducation de l’Eglise. En effet, « former toute une jeunesse sans Dieu, voire contre Dieu, fondement ultime de l’ordre moral, ou ce qui est pire, dans l’indifférentisme religieux : rien de plus puissant pour détruire la chrétienté, d’abord dans l’esprit, ensuite dans les mœurs, enfin dans l’ordre social et politique » 1. Cette situation – et la menace d’un renforcement de la mainmise de l’Etat par le biais de la loi sur le « contrôle de l’obligation scolaire » 2 – doit nous inciter à redécouvrir les principes sûrs de la doctrine catholique concernant l’éducation, afin de nous permettre de distinguer les ingérences illégitimes et les prérogatives authentiques de l’Etat dans ce domaine.

Pour ce faire nous nous appuierons principalement sur l’encyclique Divini illius Magistri du Pape Pie XI, du 31 décembre 1929, principal document du Magistère Pontifical sur l’ensemble des questions liées à l’éducation chrétienne.

Importance de l’éducation chrétienne

Dans ce document – qui n’a rien perdu de son actualité – le Pape souligne « l’importance suprême de l’éducation chrétienne, non seulement pour chaque individu, mais aussi pour les familles et pour toute la communauté humaine, dont la perfection suit nécessairement la perfection des éléments qui la composent », et met en lumière « l’excellence, peut-on dire incomparable, de l’œuvre de l’éducation chrétienne, puisqu’elle a pour but, en dernière analyse, d’assurer aux âmes de ceux qui en sont l’objet la possession de Dieu, le Souverain Bien, et à la communauté humaine le maximum de bien-être réalisable sur cette terre ; ce qui s’accomplit de la part de l’homme de la manière la plus efficace qui soit possible, lorsqu’il coopère avec Dieu au perfectionnement des individus et de la société ».

Les sociétés compétentes en matière d’éducation

« L’éducation est nécessairement œuvre de l’homme en société, non de l’homme isolé. Or, il y a trois sociétés nécessaires, établies par Dieu, à la foi distinctes et harmonieusement unies entre elles, au sein desquelles l’homme vient au monde » : à savoir la famille, la société civile et l’Eglise 3.

« En conséquence, poursuit Pie XI, l’éducation qui s’adresse à l’homme tout entier, comme individu et comme être social, dans l’ordre de la nature et dans celui de la grâce, appartient à ces trois sociétés nécessaires, dans une mesure proportionnée et correspondante, selon le plan actuel de la Providence établi par Dieu, à la coordination de leurs fins respectives ».

Les droits de l’Eglise

L’éducation appartient « d’une manière suréminente à l’Église à deux titres d’ordre surnaturel, que Dieu lui a conférés à elle exclusivement, et qui sont pour ce motif absolument supérieurs à tout autre titre d’ordre naturel » 4.

Et l’on ne doit pas penser que ce n’est que par une concession de l’Etat que l’Eglise exerce cette fonction éducatrice : il faut au contraire affirmer « l’indépendance de l’Eglise, vis-à-vis de tout pouvoir terrestre, aussi bien dans l’origine que dans l’exercice de sa mission éducatrice, et aussi dans le choix des moyens nécessaires et convenables pour la remplir ». Le libre exercice par l’Eglise de son droit en matière d’éducation constitue d’ailleurs « un secours efficace pour l’ordre et le bien-être des familles et de la société civile ». « De cette mission éducatrice, poursuit le Pape, qui appartient avant tout à l’Église et à la famille, comme il ne peut provenir (Nous l’avons vu) que de grands avantages pour la société tout entière, ainsi il n’en peut résulter aucune atteinte aux droits authentiques et personnels de l’État, sous le rapport de l’éducation des citoyens, selon l’ordre établi par Dieu ».

L’Etat et les droits de la famille

« La famille reçoit donc immédiatement du Créateur la mission et conséquemment le droit de donner l’éducation à l’enfant, droit inaliénable parce qu’inséparablement uni au strict devoir corrélatif, droit antérieur à n’importe quel droit de la société civile et de l’État, donc inviolable par quelque puissance terrestre que ce soit » 5.

Aussi faut-il réprouver la doctrine selon laquelle « l’enfant, avant d’appartenir à la famille, appartient à l’État, et (…) l’État a sur l’éducation un droit absolu » 6.

Prérogatives de l’Etat

« L’éducation ne peut appartenir à la société civile de la même manière qu’à l’Église et à la famille, mais elle lui appartient dans un mode différent en rapport avec sa fin propre », qui est le bien commun temporel.

« La fonction de l’autorité civile qui réside dans l’État est (…) double : protéger et faire progresser la famille et l’individu, mais sans les absorber ou s’y substituer. »

Protéger les droits de la famille

« En matière donc d’éducation, c’est le droit, ou, pour mieux dire, le devoir de l’État de protéger par ses lois le droit antérieur défini plus haut qu’a la famille sur l’éducation chrétienne de l’enfant et, par conséquent aussi, de respecter le droit surnaturel de l’Église sur cette même éducation ». Et cependant, les prérogatives des parents ne sont nullement absolues, c’est pourquoi le Pape peut ajouter : « Pareillement, c’est le devoir de l’État de protéger le même droit de l’enfant, dans le cas où il y aurait déficience physique ou morale chez les parents par défaut, par incapacité ou par indignité. Le droit, en effet, qu’ils ont de former leurs enfants, comme Nous l’avons déclaré plus haut, n’est ni absolu ni arbitraire, mais dépendant de la loi naturelle et divine ; il est donc soumis au jugement et à l’autorité de l’Église, et aussi à la vigilance et à la protection juridique de l’État en ce qui regarde le bien commun ; et, de plus, la famille n’est pas une société parfaite qui possède en elle-même tous les moyens nécessaires à son perfectionnement. En pareil cas, exceptionnel du reste, l’État ne se substitue assurément pas à la famille, mais il supplée à ce qui lui manque et y pourvoit par des moyens appropriés, toujours en conformité avec les droits naturels de l’enfant et les droits surnaturels de l’Église ».

« D’une manière générale, c’est encore le droit et le devoir de l’État de protéger selon les règles de la droite raison et de la foi l’éducation morale et religieuse de la jeunesse, en écartant ce qui, dans la vie publique, lui serait contraire. » 7

En outre, « l’État peut exiger et, dès lors, faire en sorte que tous les citoyens aient la connaissance nécessaire de leurs devoirs civiques et nationaux, puis un certain degré de culture intellectuelle, morale et physique, qui, vu les conditions de notre temps, est vraiment requis par le bien commun ».

Contre le monopole étatique

« Toutefois, il est clair que, dans toutes ces manières de promouvoir l’éducation et l’instruction publique et privée, l’État doit respecter les droits innés de l’Église et de la famille sur l’éducation chrétienne et observer en outre la justice distributive. Est donc injuste et illicite tout monopole de l’éducation et de l’enseignement qui oblige physiquement ou moralement les familles à envoyer leurs enfants dans les écoles de l’État contrairement aux obligations de la conscience chrétienne ou même à leurs légitimes préférences. »

Formation par l’Etat de son propre personnel

« Cela n’empêche pas cependant que, pour la bonne administration de la chose publique et pour la sauvegarde de la paix à l’intérieur et à l’extérieur, qui sont choses si nécessaires au bien commun et qui exigent des aptitudes et une préparation spéciales, l’État ne se réserve l’institution et la direction d’écoles préparatoires à certains services publics et particulièrement à l’armée pourvu encore qu’il ait soin de ne pas violer les droits de l’Église et des familles dans ce qui les touche. »

L’éducation civique

La compétence de l’Etat en ce qui concerne l’éducation civique des citoyens est reconnue par l’Eglise : « La société civile et l’État sont en droit de revendiquer ce qu’on peut appeler l’éducation civique, non seulement de la jeunesse, mais encore de tous les âges et de toutes les conditions. Cette éducation consiste dans l’art de présenter publiquement à la raison, à l’imagination, aux sens des individus vivant en société, des objets qui soient de nature à provoquer la volonté au bien ou à l’y conduire par une sorte de nécessité morale, soit positivement, dans la manière même de les présenter, soit négativement, dans les moyens employés pour écarter ce qui leur serait contraire. Cette éducation civique, vaste et multiple au point d’embrasser presque toute l’œuvre de l’État pour le bien commun, ne peut avoir d’autre fondement que les règles du droit, et ne peut davantage se mettre en contradiction avec la doctrine de l’Église, qui est la maîtresse divinement établie de ces règles ».

Valeur de ces dispositions

Les règles que nous venons de rappeler s’appuient sur les principes immuables du droit public de l’Eglise, qui ont pour objet la détermination des rapports normaux entre l’Eglise et l’Etat 8. « Quiconque refuserait d’admettre ces principes, dit encore Pie XI, et de les appliquer à l’éducation en viendrait nécessairement à nier que le Christ ait fondé son Église pour le salut éternel des hommes, et à soutenir que la société civile et l’État ne sont pas soumis à Dieu et à sa loi naturelle et divine. Ce qui est évidemment impiété, principe contraire à la saine raison, et particulièrement en matière d’éducation, chose extrêmement pernicieuse à la bonne formation de la jeunesse, ruineuse assurément pour la société civile elle-même et le bien-être véritable de la communauté humaine ».

Rôle de l’Etat dans une nation où coexistent plusieurs religions

Après avoir renouvelé la condamnation de l’école « dite neutre ou laïque, d’où est exclue la religion », comme « contraire aux premiers principes de l’éducation » 9, Pie XI réfute une objection trop fréquente :

« Qu’on ne dise pas qu’il est impossible à l’État, dans une nation de croyances diverses, de pourvoir à l’instruction publique autrement que par l’école neutre ou par l’école mixte, puisqu’il doit le faire pour être plus raisonnable, et qu’il le peut plus facilement en laissant la liberté et en venant en aide par des subsides appropriés à l’initiative et à l’action de l’Église et des familles ». Encore une consigne d’actualité !

C’est encore l’encyclique Divini illius magistri, dont nous ne saurions trop recommander la lecture, qui fournira la conclusion de cette brève étude des droits et devoirs de l’Etat dans l’éducation :

« Mais là où cette liberté élémentaire est empêchée ou contrecarrée de différentes manières, les catholiques ne s’emploieront jamais assez, fût-ce au prix des plus grands sacrifices, à soutenir et à défendre leurs écoles, comme à obtenir des lois justes en matière d’enseignement. »

L’encyclique Divini illius magistri peut être téléchargée depuis le site internet de l’Institut Civitas : http://www.civitas-institut.com

Par ailleurs les parents et éducateurs qui voudraient connaître des œuvres de la Tradition qui défendent et soutiennent les écoles véritablement libres et catholiques peuvent s’adresser à :

  • ADEC (Association pour la Défense de l’Ecole Catholique) BP 125 92154 Suresnes Cedex : agit pour la promotion des écoles véritablement libres et le financement de bourses,

  • ADDFALISCO (Association pour la défense du droit des familles à la liberté scolaire) 40, grand-rue 95510 Villers en Arthies : assure des cours par correspondance et propose un soutien face à la loi sur le contrôle de l’obligation scolaire.

  • CEFOP (centre de formation et de perfectionnement) les Guillots 18 260 Villegenon : propose des cours par correspondance et assure le financement de bourses,

  • Action Familiale et Scolaire 31, rue Rennequin 75017 Paris : publie d’intéressantes plaquettes sur la question scolaire.

F. Pignon

1

Abbé AULAGNIER, Préface à l’ouvrage d’A.M. BONNET de VILLER, Pour une scolarité catholique, Ed. de Chiré, 1976, p. 12.

2

Loi N° 98-1165 du 18 décembre 198 tendant à renforcer le contrôle de l’obligation scolaire, parue au J.O. du 20.12.98

3

Pie XI précise aussitôt : « Deux sont d’ordre naturel : la famille et la société civile ; la troisième, l’Église, est d’ordre surnaturel. En premier lieu, la famille, instituée immédiatement par Dieu pour sa fin propre, qui est la procréation et l’éducation des enfants. Elle a pour cette raison une priorité de nature, et par suite une priorité de droits, par rapport à la société civile. Néanmoins, la famille est une société imparfaite parce qu’elle n’a pas en elle-même tous les moyens nécessaires pour atteindre sa perfection propre ; tandis que la société civile est une société parfaite, car elle a en elle tous les moyens nécessaires à sa fin propre, qui est le bien commun temporel. Elle a donc sous cet aspect, c’est-à-dire par rapport au bien commun, la prééminence sur la famille, qui trouve précisément dans la société civile la perfection temporelle qui lui convient. La troisième société dans laquelle l’homme, par le baptême, naît à la vie divine de la grâce, est l’Église, société d’ordre surnaturel et universel, société parfaite aussi, parce qu’elle a en elle tous les moyens requis pour sa fin, qui est le salut éternel des hommes. A elle donc la suprématie dans son ordre ».

4

Ces titres, donnés par son Divin Fondateur à l’Eglise, explique Pie XI dans l’encyclique, sont : 1°) le Magistère, c’est-à-dire la mission d’enseigner les vérités de la foi et la règle des mœurs ; et 2°) la Maternité surnaturelle de l’Eglise, Epouse immaculée du Christ, laquelle engendre, nourrit et élève les âmes dans la vie divine de la grâce, par ses sacrements et son gouvernement spirituel.

5

Pie XI s’appuie ici sur l’enseignement de saint Thomas : « Le fils, en effet, dit-il, est par nature quelque chose du père… ; il s’ensuit que, de droit naturel, le fils, avant l’usage de la raison, est sous la garde de son père. Ce serait donc aller contre la justice naturelle si l’enfant, avant l’usage de la raison, était soustrait aux soins de ses parents ou si l’on disposait de lui en quelque façon contre leur volonté. » (S. THOMAS, Sum. theol. II-II, qu. 10, a. 12). Et puisque les parents ont l’obligation de donner leurs soins à l’enfant jusqu’à ce que celui-ci soit en mesure de se suffire, il faut admettre qu’ils conservent aussi longtemps le même droit inviolable sur son éducation. « La nature, en effet, poursuit le Docteur angélique, ne vise pas seulement à la génération de l’enfant, mais aussi à son développement et à son progrès pour l’amener à l’état parfait de l’homme en tant qu’homme, c’est-à-dire à l’état de vertu » (S. THOMAS, Sum. theol. III Supplem., qu. 41, a. 1).

6

Danton disait : « Les enfants appartiennent à la République avant d’appartenir à leurs parents ». Les systèmes totalitaires du XXe siècle ont fréquemment mis en œuvre la même maxime. Le « soft-totalitarisme » contemporain semble marcher sur leurs traces lorsqu’il tend à soustraire, par l’action conjuguée des programmes éducatifs et des média, l’enfant à l’influence de la famille, ceci dans le but de « neutraliser la transmission familiale des préjugés » (selon un document de l’UNESCO cité par Pascal BERNARDIN dans son ouvrage Machiavel pédagogue, Ed. Notre-Dame des Grâces, 1995). Le « Nouvel Ordre éducatif mondial » est en marche.

7

A contrario, l’Etat poursuivant le bien commun devrait empêcher, pour reprendre les paroles de Pie XI, « tout naturalisme pédagogique qui, de quelque façon que ce soit, exclut ou tend à amoindrir l’action surnaturelle du christianisme dans la formation de la jeunesse » et plus généralement « toute méthode d’éducation qui se base, en tout ou en partie, sur la négation ou l’oubli du péché originel ou du rôle de la grâce, pour ne s’appuyer que sur les seules forces de la nature ». Le Pape stigmatise dans l’Encyclique « ces systèmes modernes, aux noms divers, qui en appellent à une prétendue autonomie et à la liberté sans limites de l’enfant, qui réduisent ou même suppriment l’autorité et l’œuvre de l’éducateur, en attribuant à l’enfant un droit premier et exclusif d’initiative, une activité indépendante de toute loi supérieure, naturelle ou divine, dans le travail de sa propre formation », et s’élève particulièrement contre l’éducation sexuelle et la co-éducation (ou mixité).

8

Cf. le schéma « Ottaviani » sur les relations entre l’Eglise et l’Etat, in CIVITAS, n°2, pp. 40 sq, et l’étude du P. PIERRE-MARIE, O.P., L’Eglise et l’Etat, in Le sel de la terre, n° 39, pp. 74 sq.

9

« Une école de ce genre est d’ailleurs pratiquement irréalisable, car, en fait, elle devient irréligieuse. Inutile de reprendre ici tout ce qu’ont dit sur cette matière Nos Prédécesseurs, notamment Pie IX et Léon XIII, parlant en ces temps où le laïcisme commençait à sévir dans les écoles publiques. Nous renouvelons et confirmons leurs déclarations et, avec elles, les prescriptions des sacrés canons : la fréquentation des écoles non catholiques, ou neutres ou mixtes (celles à savoir qui s’ouvrent indifféremment aux catholiques et non-catholiques, sans distinction), doit être interdite aux enfants catholiques ; elle ne peut être tolérée qu’au jugement de l’Ordinaire, dans des circonstances bien déterminées de temps et de lieu et sous de spéciales garanties ».