Article tiré du numéro 2 de la revue Civitas (septembre 2001) : L’Etat.

 

La Révolution ou plutôt cette structure politique issue de la révolution française, a ravi les âmes à Dieu. Il suffit pour s’en convaincre d’observer nos contemporains ! Et ceci n’a rien d’absurde. En effet, « de la forme donnée à la société, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes » 1. Car de fait, la société politique finalisée par le bien vivre (la vie de la raison et la vie selon la raison) est cause à part entière de la perfection humaine. 2

Or c’est une chose trop souvent oubliée de nos jours…

Frappés par l’indigence spirituelle de ces trente dernières années, les laïcs catholiques ont quitté le créneau temporel pour survivre dans une Eglise militante en voie de décomposition accélérée. Il faut ici rendre hommage à ceux qui se sont donnés avec courage et abnégation à cette lutte et à cette restauration ainsi qu’à ceux qui y collaborent encore maintenant, notamment au sein des mouvements d’apostolat.

Cependant, habitués à résister dans un Etat athée, ennemi de la foi, et à vivre surnaturellement malgré cela, beaucoup de catholiques, faute de formation peut-être, en sont venus à se désintéresser définitivement du domaine politique synonyme d’argent sale. 3

Voilà pourquoi nous voudrions apporter quelques éléments qui permettent de rétablir l’amour de l’esprit public et de mobiliser les intelligences et les cœurs pour la restauration d’un Etat vraiment catholique.

L’enjeu est grand !

En effet, il faut le rappeler et l’affirmer à nouveau à la suite de saint Thomas : « la vie sociale (la vie sociale dans un état sain, poursuivant le bien commun) est nécessaire à qui s’exerce à la perfection » 4.

« Il est manifeste, dit encore l’Aquinate, que le propre de la loi est d’inciter les sujets à l’acquisition de leur propre vertu. Et comme la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède, il s’ensuit que l’effet propre de la loi est de rendre bons ceux à qui elle s’adresse. Car la vertu est double: à savoir l’acquise ou naturelle et l’infuse ou surnaturelle. Or la répétition assidue des actes a une influence sur l’une et sur l’autre, quoique de manière diverse : car elle cause la vertu acquise, mais elle dispose à la vertu infuse, et, celle-ci une fois reçue, elle la conserve et favorise son développement.

Et étant donné que la loi est instituée en vue de diriger les actes humains, il s’ensuit que dans la mesure où ceux-ci contribuent à engendrer la vertu, elle rend les hommes bons. Aussi le Philosophe dit-il que les législateurs rendent bon par l’accoutumance. » 5

Ce n’est donc pas au seul titre de condition de la perfection humaine qu’intervient l’Etat, mais au titre de cause 6, cause à part entière, cause réelle de la vertu acquise. « Voilà pourquoi, même sans le péché originel, les hommes eussent vécu en société politique » 7. Loin de rendre caduc l’ordre naturel institué par Dieu, la chute ne le rend que plus nécessaire !

« Cependant du fait du premier péché de nos parents, notre nature blessée est devenue incapable de satisfaire par elle-même à ses aspirations. La grâce et la foi viennent satisfaire avec excès à ceux-ci. Aussi nous croyons, comme c’est convenu, que la grâce éclôt dans la nature, agit en elle à la manière d’un ferment, la régénère par l’en-dedans, la dote d’une vitalité de surcroît qui a pour résultat immédiat de l’adapter à la saisie d’objets au-dessus de sa portée native. Nous croyons encore qu’en même temps qu’elle la surélève, elle la guérit et la restaure; mais nous pensons que la nature guérie n’est que plus parfaitement elle-même et qu’elle ne saurait être, par suite de sa guérison, dépossédée de ses fonctions propres – nature guérie désignant nature mieux disposée à des fonctions propres. » 8

Ainsi nous pouvons conclure brièvement de ces textes quels seront les apports de l’une et l’autre cité pour la destinée humaine et la conversion.

  • La société politique a pour fin le bien vivre et par suite elle est cause de la vertu acquise. De ce fait elle dispose à la réception des vertus infuses telle la bonne terre de la parabole du semeur 9 et, une fois reçues la foi, l’espérance et la charité, elle les conserve, les favorise et en quelques mots leur permet de porter beaucoup de fruits.

  • L’Eglise de son côté embauche l’homme vers sa suprême réalisation, la vie de la grâce, et par suite elle vient combler avec excès ses désirs natifs. Par la grâce et les vertus infuses elle vient alors raffermir l’ordre naturel (blessé par le péché originel) sur lequel elle prend appui pour guider l’homme jusqu’à sa fin ultime qui est Dieu. Cependant, l’ordre naturel blessé et guéri n’en est que plus lui-même et ne cède donc pas pour autant sa place et son rôle sur cette terre.

Voilà pourquoi nous ne pouvons pas abandonner aujourd’hui la partie car il est réellement possible de soutenir que les dispositions de ceux qui président ici-bas aux empires ont une importance réelle. C’est qu’ils peuvent beaucoup pour la vie ou la mort des âmes. « Avec Constantin, le monde entier, je veux dire le monde connu et civilisé, ne tarde pas à devenir chrétien. Le baptême de Clovis entraîne celui de tout le peuple franc. Tant que le Prince n’est pas conquis à la vérité, l’apostolat peut multiplier les conquêtes individuelles; mais il ne remporte pas sa victoire définitive qui est la proclamation publique et sociale de la vérité. Les peuples ne sont entrés en masse dans l’Eglise qu’à la suite de leurs princes… » 10

Il faut avant toute chose se convaincre, mais peut-être l’êtes-vous déjà, que « le domaine de la politique est le champ de la plus vaste charité, de la charité politique, dont on peut dire qu’aucun autre ne lui est supérieur sauf celui de la religion » 11 et par là même qu’il est digne de mobiliser toutes nos énergies ou du moins, quelles que soient nos aptitudes, une part de notre prière.

« On ne saurait trop insister sur le rôle providentiel de l’autorité de l’Etat pour aider et soutenir les citoyens dans l’obtention de leur salut éternel. (…) On ne peut nier qu’en fait, l’expérience de l’histoire des nations catholiques, l’histoire de l’Eglise, l’histoire de la conversion à la foi catholique manifeste le rôle providentiel de l’Etat à tel point qu’on doit légitimement affirmer que sa part dans l’obtention du salut éternel de l’humanité est capitale sinon prépondérante. » 12

Louis Paxent

1

Pie XII : Message de la Pentecôte pour commémorer le 50° anniversaire de l’encyclique Rerum novarum, diffusé par Radio – Vatican le 01 06 1941. Dans la suite de ce discours on observera une phrase clef : « Vous, conscients et convaincus de cette responsabilité sacrée, ne vous contentez jamais, au fond de votre âme, d’une médiocrité générale des conditions publiques, dans laquelle la masse des hommes ne puisse, sinon par des actes de vertu héroïque, observer les divins commandements, inviolables toujours et dans tous les cas. »

2

Il ressort clairement du De Regimine Principum (chapitre 14 du livre premier) que la fin de la vie en société est la perfection humaine. Saint Thomas écrit en effet : « Or il faut porter le même jugement sur la fin de toute la multitude et sur celle de l’individu. (…) il apparaît que la fin ultime d’une multitude rassemblée en société est de vivre selon la vertu. En effet, si les hommes s’assemblent c’est pour mener ensemble une vie bonne, ce à quoi chacun vivant isolément ne pourrait parvenir. Or une vie bonne est une vie selon la vertu; la vie vertueuse est donc la fin du rassemblement des hommes en société. »

3

La politique, au sens moderne du terme, s’écartant notablement de la science et de la prudence véritablement politiques, désigne en réalité l’activité de bas étage sécrétée par nos démocraties; il convient de lui réserver le vocable de politique politicienne.

4

IIa IIae, q.188, a.8

5

Ia IIae, q. 92, a.1

6

Nous rappelons qu’une condition est ce qui influe de quelque façon sur un être sans toutefois lui donner l’existence. Une cause est par contre ce qui fait qu’un être est tel ou tel. C’est donc ce qui confère l’existence à une chose. La condition est nécessaire car elle permet à la cause de produire son effet mais elle n’exerce pas d’action positive. Ainsi la sécheresse est une condition du feu ; sans elle il n’est pas possible d’enflammer le bois mais ce n’est pas la sécheresse elle-même qui donne l’existence à la flamme. De même les conditions sociales et économiques d’un pays à un moment donné peuvent être favorables à un changement de régime politique (par exemple la révolution française). Mais ce ne sont pas elles qui réalisent ce changement.

7

Ia, q.96, a.4

8

Lachance Louis op : L’humanisme politique de saint Thomas d’Aquin – individu et Etat éd Sirey et du Lévrier 1965 p 60. Jean Ousset écrivait à ce propos : « Cela, certes, implique un combat. Un combat temporel. Et il se peut qu’en ces temps de règne de l’opinion, de la radio, de la presse, de guerre idéologique et psychologique, le clergé soit amené à ne point participer à cette lutte par souci apologétique, par réserve apostolique, par désir de ne point trop déplaire à ceux qu’il devra évangéliser demain. C’est son affaire. Celle du laïc étant le combat, étant la garde, étant la défense de sa patrie, de son foyer. » (Mission politique du laïcat éd Office 1968 p 26)

9

Saint Matthieu 13, 3-9

10

De Saint-Just Théotime ocm : La royauté sociale de NSJC éd Duculot 1931 – 3° partie chapitre III.

11

Pie XI : discours à la Fédération universitaire italienne le 18 décembre 1927

12

Mgr Marcel Lefebvre : Un évêque parle tome 2, p. 94.