PROJET FISCALITE (1)

Préambule doctrinal

L’Etat (au sens large, Etat et Collectivités locales diverses) doit rechercher par son action le bien commun de la Cité. Pour ce faire, il lui est nécessaire d’avoir des ressources, dont évidemment des ressources financières. A titre principal, les ressources de l’Etat résultent de l’impôt.

Ne soyons pas démagogues : il n’y a pas de bien commun sans impôts, c’est-à-dire sans un revenu régalien que l’Etat peut imposer aux citoyens. Comme l’écrit Maurice Allais : « les impôts payés par les ménages et les entreprises peuvent être considérés comme la rémunération des services de toutes sortes que leur rend l’Etat et que seul l’Etat est en mesure de rendre. […]. Il résulte de là que tous les agents économiques, quels qu’ils soient, doivent supporter une part des dépenses de l’Etat ».[1] Allais continue : « L’idéal naturel, mais naïf, des contribuables est évidemment de ne supporter aucun impôt, mais c’est un idéal irréalisable. Pour des dépenses données de l’Etat et des Collectivités locales, la seule question véritable est celle du choix entre différents systèmes de fiscalité ».

Dans l’Etat catholique que vise Civitas, il importe que les citoyens qui veulent un tel Etat aient la ferme volonté de payer leurs impôts. Il leur faut donc se départir de cette mentalité volontiers anarchiste qui, sous prétexte de lutter contre une fiscalité confiscatoire qui existe bien, cherche quasi-systématiquement à fuir l’impôt. Civitas est donc résolument pour l’éducation au civisme fiscal. Mais, fidèle à l’opposition au fiscalisme, il fait aussi entièrement sienne l’injonction de Léon XIII dans Rerum novarum : « Il ne faut pas que la propriété privée soit épuisée par un excès de charges et d’impôts. Ce n’est pas des lois humaines, mais de la nature qu’émane le droit de propriété individuelle. L’autorité publique ne peut donc l’abolir. Elle peut seulement en tempérer l’usage et le concilier avec le bien commun. Elle agit donc contre la justice et l’humanité quand, sous le nom d’impôts, elle grève outre mesure les biens des particuliers ».

Ainsi, Civitas a pour objectif de restituer aux familles – sous forme de diminution de la fiscalité – la part maximale d’impôt compatible avec le bien commun, ce qui doit permettre une application conséquente du principe de subsidiarité.

Sur l’égalité devant l’impôt en général

Tous les hommes politiques se réclament aujourd’hui d’un principe d’égalité devant l’impôt. Or, cette égalité devant l’impôt est-elle légitime ? Oui, elle l’est : le bien commun est commun à tous les citoyens et il faut donc que tous participent au financement des moyens nécessaires à la préservation de ce bien.

Il est à noter que même sous l’Ancien Régime, alors que l’ordre de la noblesse et du clergé étaient exemptés d’impôts, leur contribution au bien commun était néanmoins réelle. Le clergé, outre sa fonction sacrée, exerçait l’œuvre éducative avec une grande économie de moyens pour le bien de tous, alors que la noblesse était astreinte au service militaire. On disait qu’elle payait l’impôt du sang. Cette notion d’égalité devant l’impôt existe donc depuis fort longtemps dans nos Etats européens, même si ces modalités d’application ont pu varier.

L’époque contemporaine voit les situations économiques et sociales des familles devenir très « fluctuantes ». Par conséquent, les privilèges et servitudes propres aux trois ordres de l’ancien régime, d’ailleurs contestées depuis au moins le règne de Louis XV, sont devenues inapplicables. Dans ce contexte, il est juste que tous payent un impôt en argent.

Civitas défend donc l’égalité devant l’impôt, mais s’oppose à l’égalitarisme qui a pour objectif de tendre au nivellement des fortunes.

Première série de mesures pour la réforme fiscale

  1. Suppression des droits de succession en ligne directe

Quand la révolution dit « individu », le traditionalisme politique et catholique répond « famille ».

Ces positionnements antagonistes ont une contrepartie directe en matière fiscale. L’esprit révolutionnaire – au nom de la sacro-sainte égalité – s’oppose à la formation du patrimoine familial sur plusieurs générations par le moyen des droits de succession. Pour lui, l’idéal serait que les individus commencent dans la vie avec le même patrimoine… ou plutôt la même absence de patrimoine. Civitas veut redonner à toutes les familles – riches comme pauvres – le pouvoir de se projeter sur plusieurs générations pour construire un véritable patrimoine familial, à la fois sécurisant pour les familles et gage de prospérité pour l’ensemble de la société.

            Par conséquent, seront supprimés les droits de succession en ligne directe.

Objections : les adversaires de la suppression des droits de succession arguent que ces impôts sont facilement contournés par un dispositif complexe d’abattements et d’exonérations, et ne frappent au final que les très hauts patrimoines, réduisant ainsi les inégalités. Ils permettent par ailleurs de lutter contre l’enrichissement sans cause.

Réponses :

– La réduction des inégalités de conditions ne saurait être une fin en soi ; elle se réalise souvent au détriment de la prospérité générale. Si réduction mesurée il doit y avoir, Civitas veut la réaliser par une redistribution modérée, mais pas par l’inégalité devant l’impôt.

– La complexité n’est pas un argument, mais une faiblesse évidente de tout système fiscal. Elle s’oppose à l’égalité devant l’impôt. Elle génère du contentieux et des bureaucraties gigantesques et se mêlant de tout. La suppression des droits de succession simplifiera grandement la fiscalité : il faudra en attendre moins d’arbitraire, des économies sur les coûts de l’administration fiscale, mais aussi sur la dépense privée des ménages relatives à la fuite légale devant l’impôt (conseil fiscal, etc.).

– Quant à l’enrichissement sans cause des descendants, cet argument s’effondre si l’on pense famille plutôt qu’individu : la possibilité de transmettre intact un patrimoine à ses descendants directs  accoutumera la famille à la gestion prudente –  un patrimoine, cela s’entretient – sur plusieurs générations. L’image du rentier qui jouit passivement des revenus de son patrimoine peut correspondre à une réalité très marginale, mais n’est pas réaliste dans la plupart des cas. D’ailleurs, si cela peut rassurer les égalitaristes, les rentiers qui jouissent sans souci du lendemain consomment leur patrimoine et donc… s’appauvrissent.

  1. Suppression de l’impôt progressif sur les revenus[2]

La notion la plus simple (et la moins contestable) d’égalité devant l’impôt revient à ce que tous les acteurs économiques contribuent sur la base de la même proportion de la matière fiscale imposée. Par exemple, tous les ménages paieraient 10 % de leur revenu sous forme d’impôt, ou 20 % de taxe sur la valeur ajoutée, etc.

Mais d’autres, là encore souvent inspirés par ce que l’on appelle l’égalitarisme, considèrent que la vraie égalité devant l’impôt doit tenir compte de la capacité contributive de chacun : en France, il en est ainsi de l’impôt sur le revenu. Il s’agit là d’un impôt progressif où le « pauvre » peut ne payer aucun impôt, alors que le « riche » sera imposé à un taux croissant selon les tranches successives de revenus imposés.

            Civitas s’oppose à la progressivité de l’impôt en général et de l’impôt sur le revenu en particulier et se prononce résolument pour un impôt proportionnel.[3]

            Cet impôt proportionnel sera d’autant efficace qu’il ne constituera pas un frein au travail et à l’effort. Civitas propose donc de supprimer l’impôt sur tous les revenus (75,3 milliards d’€ en 2015).[4] En contrepartie, Civitas préservera l’imposition proportionnelle à la consommation (cf. Taxe sur la Valeur Ajoutée, constituant d’ailleurs actuellement la majeure partie des recettes de l’Etat national).

            Civitas appliquera cette réforme sur cinq ans, à raison de la suppression d’une tranche d’imposition par an (en commençant par la plus faible).

Objections : la principale légitimation de l’impôt progressif sur le revenu est qu’un euro ajouté à la « richesse » d’un pauvre a une utilité beaucoup plus grande que le même euro ajouté à la richesse d’un riche. Aussi, le sacrifice demandé au riche pour un euro d’impôt est beaucoup moins grand que celui demandé au pauvre. En outre, la suppression de 75,3 milliards d’euros (chiffres 2015) serait impossible dans le contexte d’une recherche de l’équilibre budgétaire, et donc tout à fait démagogique.

Réponses :

– La première objection s’appuie sur une loi incontestable de la science économique, mais qui ne permet pourtant pas de défendre sur une base rationnelle la progressivité de l’impôt telle qu’on la connaît. En effet, cette loi ne dit rien de plus que ce qu’elle énonce ; il est en pratique impossible de déterminer dans quelle proportion un euro supplémentaire attribué à un pauvre est plus utile qu’un euro attribué à un riche. Dans cette perspective, la détermination des tranches et des taux marginaux d’imposition ne peut être qu’arbitraire. De plus, dans la mesure où le revenu du « riche » est honnêtement gagné en contrepartie d’une production potentiellement utile, un impôt progressif constitue évidemment une grave dissuasion de fournir à la société des biens et services caractéristiques d’une communauté prospère. En somme, l’impôt progressif s’oppose à la prospérité générale.

– La suppression de 75,3 milliards d’euros (chiffres 2015) sera partiellement équilibrée par des recettes croissantes de TVA, ces recettes croissantes étant elles-mêmes accrues par la suppression de plusieurs niches fiscales injustifiées sur la TVA (taux réduit pour la restauration, etc. ; voir plus bas). Il faut plus généralement se départir d’une vision trop étroitement comptable pour adopter une vision plus économique : la perte comptable de recettes fiscales sera contrebalancée par le dynamisme économique retrouvé. L’incitation à créer des richesses ne saurait en effet être sans conséquence sur la prospérité et donc sur les recettes fiscales. Enfin, le projet de suppression de l’impôt sur le revenu ne pourra se passer d’une réduction drastique de certaines dépenses publiques de l’Etat.

– En termes de complexité fiscale, la suppression de l’impôt sur le revenu fera disparaître mécaniquement les nombreuses niches fiscales qui lui sont liées, ce qui permettra de réaffecter les moyens d’une partie des services fiscaux, mais aussi de poursuivre la réduction des effectifs de l’Etat, diminuant ainsi les dépenses publiques.

  1. Corollaire : réduction massive des niches fiscales et rupture avec la fiscalité incitative

La fiscalité incitative est celle qui consiste, par des dispositifs fiscaux divers (exonérations, crédits d’impôt ou à l’inverse, parafiscalité et taux majorés, etc.), à orienter les comportements des citoyens. Ainsi, la politique de l’environnement fera que l’Etat vous incitera, par des crédits d’impôt, à changer vos fenêtres et à refaire votre isolation. La fiscalité incitative est aussi une manière cachée d’entretenir un certain clientélisme politique.

La conséquence est la multiplication des niches fiscales, c’est-à-dire des dispositifs spécifiques qui réduisent les recettes de l’Etat ou des collectivités locales. On apprend ainsi qu’il existe plus de 450 niches fiscales. Celles-ci auraient coûté à l’Etat près de 82 milliards d’euros en 2015. A la vérité, il est très difficile de savoir quel est l’efficacité de ces niches, même si les autorités publiques reconnaissent que cette efficacité est globalement faible.

            Par conséquent, là encore dans un objectif de simplification et d’efficacité, il convient de supprimer la plupart des niches fiscales (y compris celles relatives à la Taxe sur le Chiffre d’Affaires).

Les deux mesures précédentes y contribueront largement. En outre, plusieurs mesures proposées par Civitas dans la conférence de presse du 15 septembre 2016 visent précisément à supprimer, avant même les réformes d’envergure que nous proposons ici, certaines de ces niches :

suppression de tous les avantages fiscaux accordés aux partis politiques ;

suppression de tous les avantages fiscaux accordés aux associations hormis celles dont l’objet exclusif est la recherche médicale, la préservation du patrimoine, l’activité sportive, l’aide au troisième âge, aux enfants défavorisés, aux personnes handicapées, aux anciens combattants, aux victimes de guerre, d’attentats, de la criminalité ou des catastrophes naturelles.

D’une manière générale, si l’Etat veut favoriser une politique, il devra le faire par un changement d’orientation de ses dépenses publiques et non par des niches qui complexifient le système fiscal, le rendent très coûteux et réduisent la liberté de choix des familles.

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            L’indispensable réforme fiscale devant déboucher sur une évolution globale du système fiscal, une prochaine présentation s’attachera notamment à présenter le programme de Civitas en matière de fiscalité professionnelle – notamment l’impôt sur les sociétés – et d’impôt sur le capital.

[1]     ALLAIS Maurice. Pour la réforme de la fiscalité. Ed. Clément Juglar, 1990, p. 16. Lorsqu’Allais emploie le mot « Etat », il faut comprendre toutes les administrations publiques, qu’elles soient centrales ou locales.
[2]     Le cas de l’impôt sur les bénéfices (IS) sera traité à part.
[3]     A noter : un riche qui paye 20 % de la valeur de sa consommation en impôt, mettons 100 000 € / an, contribue beaucoup plus au budget de l’Etat pour une valeur donnée des recettes totales, que le pauvre qui contribue à hauteur des mêmes 20 % de la valeur de sa consommation annuelle.
[4]     Le cas des revenus condamnables comme l’usure nécessite, dans le contexte actuel, une réflexion très poussée pour savoir comment le réduire dans un système économique qui le promeut partout. Il nous apparaît donc imprudent de lui appliquer sans plus de réflexions un impôt spécifique. C’est pourquoi nous nous en tenons pour le moment à la suppression de l’impôt sur tous les revenus, même les intérêts.