« C’est le crime du XIXème siècle de ne pas haïr le mal et de lui faire des propositions. Il n’y a qu’une proposition à lui faire, c’est de disparaître. Tout arrangement conclu avec lui ressemble non pas à son triomphe partiel mais à son triomphe complet. Car le mal ne demande pas toujours à chasser le bien, il demande la permission de cohabiter avec lui. »   Ernest Hello

En 1890 la France en pleine démocratie depuis quinze ans, gouvernée par des israélites et des hommes à leur dévotion et des sectes à leur service, plie sous la persécution du régime républicain. C’est le moment que choisit le Vatican pour faire un devoir aux catholiques résistants de se rallier à ce régime sans Dieu.

Depuis dix ans Rome s’efforce de préparer en France les hommes influents de toutes tendances, à cette idée. Nous en avons vu les premiers effets. Léon XIII dès son accession au trône pontifical avait en 1879 envoyé à Paris un nonce, Mgr Czalcky, diplomate très rusé pour réduire avec patience la résistance des chefs catholiques à l’égard du gouvernement. Il les incitait à abandonner leurs principes sinon ils verraient le nombre de leurs adhérents diminuer, et leur influence disparaître et par là le bien moral impossible à réaliser.

« Ce bien, disait-il, c’est sur un autre terrain que nos amis devront s’essayer à l’accomplir, ce point de vue est celui de la reconnaissance du fait de la transformation de la France en une république et de l’acceptation de cette transformation. »

Voilà les conseils et les consignes ahurissants de Rome. Où est le combat de Sainte Jeanne d’Arc contre l’envahisseur à Orléans, celui de Pie V contre l’ennemi à Lépante ? Rome inventait le sens irréversible de l’Histoire.

Que s’était-il donc passé ? D’où Rome tenait-elle cette nouvelle mentalité si contraire à sa tradition, si contraire à l’enseignement de ses docteurs et de ses pontifes, si contraire aux « deux glaives », aux « deux étendards », à « l’appel du Roi » des Saints Exercices code de tout bon soldat du Christ ?

Le Pape Léon XIII depuis dix ans professe pourtant par ses encycliques la doctrine la plus orthodoxe, la plus conforme à celle de ses prédécesseurs sur les problèmes sociaux et politiques.

Ses grandes encycliques sur la constitution chrétienne des états : Diuturnum Illud, Immortale Dei, Libertas, Sapientiae Christianae, Graves de Communi, forment un corps de doctrine bien contraire à sa diplomatie ! Son encyclique Humanum Genus sur la franc-maçonnerie est une condamnation sans appel.

D’où vient cette contradiction entre la doctrine et la pratique ?

La cause la plus apparente est le penchant de Léon XIII à la conciliation pour obtenir la paix et permettre aux catholiques de prendre une place à l’intérieur des affaires politiques. C’était sous-estimer les forces et la détermination des adversaires du catholicisme en France.

La cause profonde, réelle, est l’infiltration avancée de la subversion, de la F.M. dans l’Eglise et à tous les niveaux. La Haute-Vente italienne, organisation maçonnique créée pour abattre l’Eglise par l’intérieur, était parvenue à de considérables résultats que semblait ignorer le tempérament libéral du Pape.

Savait-il que son Secrétaire d’Etat Rampolla était franc-maçon et qu’il allait aux ordres dans une loge en Suisse et qu’il fonda la première loge au Vatican ? Pourquoi avait-il choisi ce cardinal comme premier collaborateur qui utilisait sa tendance libérale pour l’aider à marier l’Eglise et la Révolution ?

Pour le Vatican l’heure semblait venue de sortir des voies de l’intrigue et de la diplomatie, et de rendre publique la politique vaticane, c’est-à-dire le ralliement obligatoire des catholiques à la république athée et persécutrice. Le ralliement fut officiellement proposé aux catholiques français par le cardinal Lavigerie 1 le 12 novembre 1890 à Alger au palais archi-épiscopal au cours d’un dîner offert aux officiers de l’escadre commandée par l’amiral Duperré, en ces termes :

« Quand la volonté d’un peuple s’est bien affirmée, dit le cardinal, que la forme du gouvernement n’a rien en soi de contraire, comme le proclamait dernièrement Léon XIII, aux principes qui seuls peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées ; lorsqu’il n’y a plus pour arracher son pays aux abîmes qui le menacent, que l’adhésion sans arrière pensée à la forme du gouvernement, le moment vient de déclarer la preuve faite et de mettre un terme à nos divisions… »

On appela cela le « toast d’Alger ».

Comment ? forme de gouvernement n’ayant rien de contraire aux principes qui seuls peuvent faire vivre les nations chrétiennes ? Cette loi du nombre qui ne reconnaît aucun principe, si ce n’est celui des caprices, des humeurs de l’opinion du moment manipulée par les forces occultes ! Se rallier à un régime dont les gouvernements se livraient à la persécution religieuse depuis quinze ans !

C’était le coup de poignard. Et Lavigerie de conclure : « C’est ce que j’enseigne autour de moi, c’est ce que je souhaite voir imité en France par tout notre clergé et en parlant ainsi, je suis certain de n’être démenti par aucune voix autorisée. »

Le cardinal était l’instrument autorisé, le porte-parole du Vatican. D’ailleurs la voix autorisée, après cette annonce va passer aux actes. L’histoire du catholicisme donne peu d’exemples où les catholiques loyaux et fidèles n’aient pas été trahis par leur chefs, clercs ou laïcs. C’est ainsi ! et cela ne doit pas nous décourager, au contraire.

La politique de ralliement trouvant encore trop d’opposition, Léon XIII multiplie les pressions, il nomme à Paris un nouveau nonce chargé d’orienter plus énergiquement les évêques et les fidèles vers la république. Dès son arrivée Mgr Ferrata fut tellement élogieux à l’égard du Président Carnot que les protestations s’élèvent un peu partout. Mgr d’Hulst lui-même écrit au sujet du nonce : « Malgré l’illusion formidable sur laquelle repose la mission qu’il a reçue, il ne tardera pas à s’éclairer » et le recteur de l’Institut Catholique poursuit « le vrai fléau en ce moment, c’est l’africain. A Rome, on dit qu’il hypnotise le Pape ; en France, il nous terrorise… et invente un degré d’obéissance servile qu’aucun siècle chrétien n’a connu… »

Cette obéissance servile, insensée, Léon XIII va en user, en abuser voici comment : en exploitant le libéralisme des meilleurs. Il appelle à Rome un homme à tout faire, on en trouve toujours en tous les temps, chez les libéraux, de ces hommes bien placés qui se prêtent soit par inconscience, soit par ambition, soit par servilité aux besognes de trahison. L’un de ces hommes choisis par Léon XIII est Monsieur Piou. Qui est Jacques Piou, qui sera pilote de la politique pontificale en France pendant quinze ans ? Un des députés monarchistes et catholiques des plus en vue à la Chambre. Opportuniste, comme la quasi totalité des hommes politiques de tous les temps. Après la monarchie, il essaiera du boulangisme, puis en 1890, il fonde à la Chambre le groupe de la Droite « indépendante » (c’est la pente habituelle !) lorsque le Pape le reçoit le 10 janvier 1891 et le charge de faire le nécessaire en France en amenant d’autres prélats à reprendre à leur compte le toast d’Alger. Il lui rappelle ses directives : « Accepter la constitution, fait accompli, mais pas la législation, fait réformable, et pour cela, par les élections sous étiquette républicaine, s’insérer dans le régime républicain et y faire de bonnes lois. »

C’était commettre une grave erreur au plan des principes, comme au plan de la tactique. Descendre sur le terrain de l’adversaire en utilisant sa doctrine ! Un manque de sens politique que l’adversaire va exploiter avec un art consommé.

Léon XIII précipite et intensifie ses pressions sur le peuple de France, il accorde le 17 février 1892 à un journal non catholique, le plus lu de France (Le Petit Journal) une interview où il réitère sa consigne de ralliement : « Il n’y a que le gouvernement que la France s’est donné ». La veille il avait signé l’encyclique Au milieu des sollicitudes, dite aussi sur le Ralliement, et le 21 la presse l’a fait connaître au monde.

Le Pape intervenant directement, dans un domaine qui n’est pas le sien, y fait devoir aux catholiques d’abandonner la tradition catholique, qui fit la France, pour les jeter dans l’aventure de la Révolution, qui va la défaire.

Un disciple de Lamennais, éminent membre de l’Institut : Anatole Leroy-Beaulieu ne s’y trompe pas, il écrira un peu plus tard dans son livre Christianisme et Démocratie – Christianisme et Socialisme 2 :

« C’est parce que Lamennais se trouvait en avance sur son époque, que Lamennais a été abandonné et condamné par Rome, c’est un demi-siècle plus tard, après le bref essai du Pape Pie IX de 1848, c’est à Léon XIII qu’est revenu l’honneur de reconnaître qu’il était l’heure pour l’Eglise de se décider à tendre la main à la « Reine des Temps Nouveaux » et Léon XIII l’a fait avec une netteté et une résolution qu’il est impossible de contester. »

Et Monsieur Piou transforme à la Chambre sa Droite « indépendante » en Droite « républicaine » ! Nous suivons toujours bien le fil conducteur du libéralisme, il se fait de plus en plus gros, de plus en plus visible. Rappelons-nous bien, et toujours, ce que Saint Cyprien au IIIème siècle nous enseignait, au début de notre étude : « Il existe un mal pire et plus meurtrier que la persécution, c’est l’empoisonnement perfide de la mentalité. »

Un grand nombre de catholiques sont soutenus par de courageux et clairvoyants prélats, avant les élections municipales de 1892, recommandant aux électeurs de porter leurs votes à des candidats qui professent et soutiennent les croyances catholiques.

Que pensez-vous qu’il arriva ? Le nonce Ferrata, au nom du Pape, désapprouva ces évêques, avant les élections !

C’était l’époque de la deuxième vague des anticléricaux : Jean Macé, Jules Guesde, Alexandre Millerand, Clemenceau, Jean Jaurès, Combes, Ferdinand Buisson.

Et Léon XIII insistait : « Inutile de rappeler que tous les individus sont tenus d’accepter ces gouvernements et de ne rien tenter pour les renverser ou pour en changer la forme. » Oui, ne rien tenter pour renverser cette république anti-chrétienne qui ruine les âmes !!!

Trois mois après l’encyclique, le Pape s’adressait aux cardinaux français : « Acceptez la République, c’est-à-dire le pouvoir constitué… respectez-le, soyez-lui soumis, comme représentant le pouvoir venu de Dieu. »

Qui s’est imposé de telle manière au Pape : L’Esprit Saint ou le cardinal Rampolla ? Il est douloureux d’insister, mais pour bien comprendre, pour tout comprendre, il est indispensable de le faire.

Au Baron de Montagnac, vieux serviteur du trône et de l’autel, c’est-à-dire bon français et bon catholique, le Pape dit : « Faites-vous républicain d’une bonne république. Vous comprenez ? Je veux que tous les catholiques entrent, comme une cohue dans la République. »

« Je ne puis, Saint Père, et ne pourrai jamais abandonner ma tradition que j’ai reçue des miens, et que je dois transmettre à mes héritiers. »

« Les traditions, reprit Léon XIII, doivent céder pour un moment… vous les retrouverez après l’œuvre accomplie… il faut abandonner les traditions pour le moment, un petit moment seulement. »

Un petit moment qui durera !

A même époque l’intrépide Albert de Mun, qui depuis vingt ans se battait courageusement, lui à qui Léon XIII avait refusé la création sept ans plus tôt d’un parti catholique monarchiste, accepte maintenant un parti catholique républicain. Lui qui luttait contre la persécution religieuse, accepte sur ordre le régime des persécuteurs !

Rampolla discret, travaille puissamment, il fait agir le Pape, il exhorte, encourage tous les exécuteurs des basses œuvres à exploiter et à aller au delà des directives de Léon XIII.

C’est ainsi qu’après le congrès de l’Association Catholique de la Jeunesse Française (A.C.J.F.) à Grenoble, l’un de ses dirigeants pousse les jeunes dans les bras du régime anti-catholique en ces termes : « Quand je dis accepter (la République) je n’entends pas parler d’une adhésion émise du bout des lèvres… d’une de ces formules banales que l’on prononce pour la galerie tout en n’en pensant rien… il faut une acceptation franche, loyale, sans arrière-pensée… (il faut que) le pays puisse se dire que les institutions qu’il s’est données et qu’il a le devoir de conserver , vous les faites vôtres, non seulement vous ne les combattez pas mais vous les considérez comme acquises, comme définitives … Grâce au ciel la grande parole tombée du Vatican est venue rassurer les hommes d’avant-garde (les félons), enhardir les indécis (les libéraux), aiguillonner les retardataires (les inconscients). »

Après ce beau discours, partiellement rapporté ici, le Secrétaire d’Etat Rampolla adresse ses félicitations reproduites dans la presse : « Rome 31 mai 1892 – Très honoré Monsieur. J’ai lu avec plaisir le discours… Je vous félicite et me réjouis avec vous….. C’est ainsi qu’on pourra atteindre le but que poursuit sa Sainteté… »

Le lavage de cerveau n’est pas une technique nouvelle, ni exclusivité du marxisme, il est propre à toutes les formes de subversion, fussent-elles affublées de soutanes et de mitres.

Les consignes descendaient assez bas, ainsi « les prédicateurs de retraite dans les réunions d’Enfants de Marie, comme dans les séminaires tonnaient contre l’insoumission (aux directives romaines). Ce n’étaient plus les passions mauvaises qu’ils s’appliquaient à extirper des cœurs, leur mission semblait n’être plus que d’en arracher le sentiment monarchique… » 3 Le péché était là ! Les rouages de L’Eglise en France malgré quelques résistances, se livraient patiemment à cette tâche de désagrégation.

Le libéralisme triomphe.

Le fléau, le délire, règnent en crosses et en mitres, en France et ailleurs. Ceux qui s’en aperçoivent l’expriment avec délicatesse, surtout lorsqu’il sont diplomates, écoutez ceci, c’est une lettre adressée par Mgr l’archevêque de Bénévent, ancien nonce à Paris, à l’un de ses amis le baron Tristan Lambert directeur d’un journal français :

« Il est évident que lorsqu’un Pape parle de choses aussi sérieuses que… des principes sur lesquels reposent les états, il ne peut guère se mettre en contradiction avec les autres (Papes) et si parfois quelque apparence de contradiction apparaît aux esprits légers, il faut la corriger avec les enseignements des autres pontifes… »

Signé Cardinal Siciliano, arch. de Benévent.

Sans commentaires !

Amé d’Hérival

1

« Entre la France religieuse et la France politique, Léon XIII visait à amortir les conflits. En 1890, au lendemain du Boulangisme, il suscita le toast retentissant par lequel Lavigerie selon les termes d’une entente avec Jules Ferry, recommandait l’adhésion sans arrière-pensée à la République. » in Histoire Religieuse de la France, G. Goyau. p.330. Plon 1942.

2

P.19 – Collection Science et religion – Ed. Bloud – 1905.

3

Abbé Emmanuel Barbier in Rome et l’Action libérale Populaire – p.69-70 – Paris 1906.