Sommaire

{mostoc}

Les doctrines de la Déclaration des Droits de l’Homme

(Opuscule écrit en juillet-août 1793.) Discuté par l’Assemblée nationale dans les tumultueuses séances d’août 1789, adopté en octobre de la même année, le premier texte de la Déclaration des Droits de l’Homme fut inscrit en fête de la Constitution de 1791. Deux années après la Convention nationale établissait et votait un texte modifié. Curieux erratum de la Révolution. C’est ce dernier texte qu’analyse et commente Clorivière, dans son manuscrit de juillet-août 1793, ayant soin de remarquer toutefois l’accord des deux Déclarations « quant aux points fondamentaux ».

Ses réflexions s’appliquant donc à l’une comme à l’autre, nous reproduirons les deux versions, par fragments et en vis-à-vis, afin de les rendre mieux présentes à l’esprit du lecteur qui lira le commentaire.

Ce n’est pas en politique que je considère ici la Déclaration des droits de l’homme. Je laisse la politique à ceux qui sont, chargés. du maniement des affaires publiques, et je crois bonnement que dans toute espèce de gouvernement, même dans le républicain, il est important pour le bien commun, et tout à fait nécessaire au maintien du bon ordre et de la tranquillité publique, que chaque citoyen reste dans sa sphère, et qu’il ne s’immisce point dans des choses qui sont au-dessus de sa portée et de ses lumières. Le bon sens a fait de cette règle de conduite un proverbe usité chez toutes les nations, et, longtemps avant l’ère chrétienne un Sage avait dit qu’il n’appartenait point à ceux qui s’occupent de travaux mécaniques de s’asseoir sur les tribunaux de la Justice, de se mêler d’interpréter les Lois, d’enseigner les autres et de s’épuiser en efforts stériles pour dévoiler le sens des Paraboles. (Eccl. 38.)

Ce n’est pas non plus seulement en chrétien que je considère cette Déclaration, – quoique je m’honore de cette qualité plus que de toute autre – c’est encore en homme ami des mœurs et de la religion naturelle. Au reste, on pourra s’apercevoir aisément que je n’ai aucune prétention. Mon unique but est de prémunir mes concitoyens contre ce que cette Déclaration a de captieux ; et dans les réflexions que je leur présente, non comme le fruit d’une spéculation profonde, mais comme la simple production du bon sens, je me persuade que tout homme raisonnable verra ses propres réflexions, ou du moins qu’il n’aura pas de peine à les adopter comme telles.

Je me sers de la seconde Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen présentée au Peuple français par la Convention nationale, le 24 juin 1793, l’an deuxième de la République. Je n’ai pas même la première sous les yeux, mais je m’en souviens assez pour comparer ces Déclarations l’une avec l’autre, au moins dans leur ensemble. Elles sont d’accord quant aux points fondamentaux, mais ces points n’y sont pas présentés de la même manière. Ne serait-ce pas parce qu’on a senti que la fin poursuivie se montrait trop à découvert dans la première Déclaration, et qu’elle avait besoin d’être voilée et revêtue de quelques dehors de vertu propres à faire illusion ? Il serait plus difficile d’expliquer pourquoi, dans la nouvelle déclaration, il se trouve des droits nouveaux, pourquoi, quelques droits anciens ont disparu.

Des droits naturels et imprescriptibles ne sont point sujets au changement. Dés hommes aussi profonds que nos législateurs auraient-ils ignoré ce que nul homme ne peut ignorer… ? Ou bien notre nature, depuis deux ans, a-t-elle acquis de nouveaux droits ? A-t-elle perdu de ceux qu’elle avait ? A-t-elle subi quelque grand changement ? Mais si nos droits naturels et imprescriptibles changent tous les deux ans sur quelque point, à quoi cela peut-il nous conduire ? II n’a pas plu à nos législateurs de résoudre de tels problèmes, je n’entreprendrai pas de le faire. Mais il faut avouer que ces réflexions générales qui se présentent à l’esprit de quiconque examine sérieusement une telle Déclaration, ne préviennent point en sa faveur. Ce n’est pas ainsi que s’énonce la simple vérité. Cependant, entrons en matière, à commencer par le préambule de la Déclaration.

1789 et 1791

Les représentants du peuple français, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une Déclaration solennelle les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme.

1793

Le Peuple Français, convaincu que l’oubli et le mépris des droits naturels de l’homme sont les seules causes des malheurs du monde, a résolu d’exposer dans une Déclaration solennelle ces droits sacrés.

Cette conviction est tardive ; elle vient au Peuple Français après plus de douze siècles d’existence. D’où pourrait-elle naître ? Serait-ce le fruit d’une étude longue et pénible ? On ne sait même plus parmi nous ce que c’est qu’étudier. Serait-ce le fruit de l’expérience ? Mais loin que nos malheurs aient cessé, jamais la France n’a été si cruellement agitée, si déchirée au dedans, si méprisée au dehors. La Déclaration des Droits de l’homme a été la pomme de discorde qui a porté au sein de la patrie la guerre et la désolation. Le Peuple Français ne peut donc pas être convaincu que l’oubli et le mépris de ces droits de l’Homme soient les seules causes des malheurs du monde.

D’ailleurs, une telle conviction est nulle, elle est faussée et impossible. L’homme peut bien oublier ses devoirs, parce qu’ils ont quelque chose de gênant, dont le souvenir l’importune, mais il est impossible que l’homme oublie des droits qui flattent son orgueil. Il est également impossible qu’il souffre qu’on les méprise, parce que ces droits étant les mêmes dans tous les hommes, la généralité, dans qui réside la force, ne manquerait pas de réclamer efficacement contre ce mépris. Nous espérons que dans une nouvelle déclaration solennelle de nos droits sacrés, on ne nous fera pas tenir un langage si peu conforme à la raison.

Les motifs de cette Déclaration sont :

1789 et 1791

Afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps civil, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être. à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés.

1793

Afin quo tous les citoyens pouvant comparer sans cesse les actes du Gouvernement avec le but de toute Institution Sociale, ne se laissent jamais opprimer et avilir par la tyrannie.

Un des meilleurs moyens qu’indique la raison pour obvier à l’oppression et à la tyrannie, c’est de balancer les pouvoirs et de les distribuer. Charger tous les citoyens de ce soin, c’est n’en charger personne, dès lors ce moyen est inefficace. Il est aussi dangereux, c’est jeter dans le peuple une fermentation continuelle ; c’est donner lieu aux mécréants de troubler tout ; c’est même frayer le chemin au despotisme, parce que ceux qui auront eu main le pouvoir chercheront à l’étendre, pour ne point succomber aux efforts des malveillants, et parce que le peuple lui-même préférera le despotisme le plus absolu à cet état cruel d’inquiétude et d’agitation.

1789 et 1791

Afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution et au bonheur de tous.

1793

Afin que le Peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur, le Magistrat la règle de ses devoirs, le Législateur l’objet de sa mission.

L’idée d’un faux bonheur et d’une fausse liberté ne peut qu’égarer le peuple ; ce qui détruit les devoirs les plus essentiels ne peut servir de règle à des magistrats ; on ne conçoit pas que nos législateurs y aient vu l’objet de leur mission et que cet objet ait dû les diriger dans leurs travaux destructeurs. Cette fausse liberté, ce faux bonheur ont été le fantôme dont ils ont ébloui les yeux du peuple.

En conséquence, l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre Suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.

En conséquence, il proclame en présence de l’Etre Suprême, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

On est surpris que dans une déclaration où tous les Droits de Dieu sont lésés, compromis, comptés pour rien, on ose rappeler la présence de l’Être Suprême. Serait-ce par dérision ? On ne saurait l’imaginer, nos législateurs n’ont point prétendu invoquer le Dieu qu’ils méconnaissent. Il est plus croyable que par l’Être Suprême, ils ont entendu ou la divinité monstrueuse de Spinosa, composé bizarre de l’assemblage de tous les êtres, ou le Mauvais principe des Manichéens, ou le génie malfaisant qu’une secte, qui joue un grand rôle dans cette révolution, appelle son grand Maître invisible.

Art. 2. – Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme.

Art. Ier. – Le but de la Société est le bonheur commun. Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles.

Il serait plus vrai de dire que le but de la Société civile est de pourvoir, dans les choses qui sont de son ressort, aux nécessités sociales de l’homme : parce que nul homme ne peut se suffire à lui-même. Ce que tout gouvernement doit se proposer, c’est de maintenir le bon ordre et la paix parmi les citoyens, en veillant à ce que nul ne s’écarte de ce qui lui est prescrit par de justes lois. C’est le seul moyen qu’il ait de procurer le bien de la Société.

Mais il faut d’abord se rappeler ces principes indéniables : 1° que la loi civile, pour être bonne, doit être calquée sur la loi de Dieu, ou du moins ne rien prescrire qui lui soit contraire ; 2° que des législateurs qui se proposent pour but le bien de l’homme et de la Société doivent, avant toutes choses, les porter à l’obéissance, à la loi naturelle et à la loi révélée.

Quelle que soit la forme de son gouvernement, un peuple est heureux quand les lois y font régner la Justice et la Crainte de Dieu et que l’empire de ces lois y est en honneur. Un grand Jurisconsulte en avait averti nos législateurs quand il avait dit : « les mœurs et la liberté sont une même chose »

Dieu protège un peuple qui le fait honorer ; Il veille aux intérêts de sa gloire et de sa grandeur. La promesse en est consignée en grand nombre d’endroits des Livres Saints. Mais que ceux à qui les divins Oracles ne suffisent pas, consultent attentivement l’histoire des Empires soumis au Christianisme.

Les notions simples qui précèdent et le jour qu’elles répandent vont nous guider dans le dédale obscur que présente devant nous la discussion des droits qu’on appelle naturels et imprescriptibles.

1789 et 1791

Art. 2. – Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté.

1793

Art. 2. – Ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété.

Avant d’exposer les droits de l’homme, au lieu de ce fastueux préambule, dont nous avons fait voir le peu de solidité, il eût été bien convenable que nos législateurs eussent fait connaître qu’en attribuant à l’homme des droits, ils ne l’ont considéré que par rapport aux autres hommes. Considéré par rapport à Dieu, l’homme n’a pas de droits ; parce qu’il tient tout de Dieu, qu’il doit tout à Dieu, et que Dieu ne lui doit rien ; quoique Dieu se doive à lui-même, c’est-à-dire à sa Sagesse et à sa Bonté, d’accorder à ses créatures les choses nécessaires à chacune d’elles, selon la nature qu’il leur a donnée ; mais considéré par rapport aux autres hommes, l’homme a droit qu’on ne l’empêche pas de jouir des biens conformes à sa nature. S’exprimer ainsi, c’eût été rendre hommage à la vérité.

Mais les droits qui sont ici marqués, sont-ils bien les droits de l’homme ? Des droits naturels sont ceux qu’on tient de la nature. Il y en a qui sont tellement inhérents à la nature de l’homme, qu’ils ne peuvent en être séparés. Ce sont ceux dont nous parlerons ici, parce qu’ils sont communs à tous les hommes.

Pour connaître quels sont les droits naturels et imprescriptibles de l’homme, il faut considérer les biens de la nature sur lesquels ces droits sont fondés. Ces biens sont : d’abord l’être, et cet être est composé d’une âme spirituelle et d’un corps matériel ; les facultés de l’âme sont le jugement, dont l’objet est le Vrai, et la volonté dont l’objet est le Bien ; les facultés du corps sont l’usage des sens et le pouvoir d’agir extérieurement. Et parce que l’homme est libre, il peut se servir librement de ses facultés tant de l’âme que du corps. C’est de ces biens de la nature que dérivent les droits naturels de l’homme.

Parce qu’il est doué d’un jugement dont l’objet est le vrai, il a droit de connaître la vérité et de s’y attacher. Parce qu’il est doué d’une volonté ou capacité d’aimer, dont l’objet est le Bien, il a le droit d’en poursuivre la possession et de s’y attacher. Ce Bien c’est le Souverain Bien, qui seul peut rendre l’homme entièrement heureux ; c’est aussi tout ce qui peut l’aider à en obtenir la jouissance, sans exclure les autres biens conformes à sa nature et à sa fin. Parce qu’il a un corps et qu’il est libre, il peut faire tout ce qui n’est pas contraire à son devoir. Parce qu’il a l’être, il a droit de pourvoir à sa conservation personnelle et à son bien-être.

Voici donc quels sont les droits naturels et, imprescriptibles de l’homme :

1° La connaissance de la Vérité ; 2° La poursuite du Bien nécessaire à son bonheur et à sa fin ; 3° La liberté ou le pouvoir de faire tout ce qui n’est pas contraire au devoir ; 4° La conservation de sa personne et de ses biens.

Ces droits sont naturels, puisqu’ils proviennent de la nature, et que sans eux les biens que l’homme a reçus de la nature lui seraient inutiles.

Les deus premiers sont tout à fait imprescriptibles. L’homme ne peut jamais les ôter à un autre homme, Dieu lui-même ne les ôte jamais dans cette vie, c’est un châtiment qu’il réserve dans l’autre à ceux qui auraient négligé d’en faire un bon usage quand ils le pouvaient. Les deux derniers ne sont imprescriptibles qu’autant qu’on ne mérite pas d’en perdre la jouissance par quelque crime.

La nature et le bon sens ne nous montrent point dans l’homme d’autres droits naturels et imprescriptibles. Ce sont ceux dont tout gouvernement doit essentiellement garantir la jouissance à chaque citoyen, soit en lui en procurant les moyens, si la chose est en son pouvoir, soit en ne souffrant point qu’on y mette obstacle. Ils sont fort différents de ceux qui sont exposés dans la Déclaration ; il y en a dont cette déclaration ne parle pas, et dont elle devrait parler ; il y en a dont elle parle autrement qu’elle ne devrait en parler ; la sûreté et la propriété sont les seuls droits qu’on puisse rapporter à celui de la conservation de sa personne et de ses biens.

Pourquoi nos législateurs en exposant les droits de l’homme et du citoyen, ont-ils omis de parler de ses droits les plus nobles et les plus essentiels à son bonheur, pour ne parler que de ceux qui lui seraient communs avec la brute, si la brute pouvait avoir des droits ? Ne devaient-ils pas envisager l’homme et le citoyen sous tous ses rapports ? Cette considération ne devait-elle pas les guider dans la confection de la loi ? N’influe-t-elle pas infiniment sur la conduite du citoyen ? On ne peut en douter.

La sûreté et la propriété ne sont pas des droits nouveaux. On ne les a jamais contestés à l’homme, dans quelque gouvernement que ce fût, lors même que les citoyens y étaient le plus opprimés par l’abus du pouvoir. Ils appartiennent entièrement à l’ordre civil, et ne regardent que bien indirectement la Religion et les mœurs. C’est pourquoi nous n’en parlerons point.

Il n’en est pas ainsi de l’Égalité et de la Liberté. Ce sont des droits tout à fait nouveaux dans le sens où ils nous sont présentés. Nos législateurs n’ignoraient point que ces mots étaient susceptibles de différentes significations : ils devaient donc en fixer le sens. La confusion dont ils s’enveloppent est, comme nous allons le voir, un piège pour nous faire tomber dans les erreurs les plus grossières et les plus nuisibles.

Cette égalité et cette liberté qu’on nous présente comme des droits naturels et imprescriptibles méritent de notre part une attention particulière. Ces deux points sont la base de toute la Constitution nouvelle, Ils ont parti si considérables aux nouveaux législateurs, qu’ils font prêter serment à tous les citoyens qu’ils maintiendront jusqu’à la mort la Liberté et l’Egalité, et qu’ils ont substitué ce serment aux précédents.

1789 et 1791

Art. 1er. – Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

1793

Art. 3. – Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi.

On ne peut exprimer d’une manière plus précise, qu’il y a parmi les hommes l’égalité la plus entière et la plus parfaite ; et cette égalité nous est présentée comme un droit naturel et imprescriptible.

C’est dire que la nature a placé tous les hommes au même rang, qu’elle ne connaît entre eux aucune distinction, qu’elle ne soumet point un homme à un autre homme, et qu’un homme ne peut, sans violer les droits de la nature, s’arroger quelque supériorité sur un autre homme. C’est dire encore que la Loi, quelle qu’elle soit, naturelle, divine, humaine, n’admet et ne reconnaît aucune distinction, aucune supériorité dans un homme sur un autre homme. L’une et l’autre propositions énoncées de cette manière, sont d’une fausseté manifeste.

Examinons d’abord l’Égalité par rapport à la nature. Les hommes ont tous reçu de la nature, ou plutôt de Dieu comme auteur de la nature, les mêmes biens naturels et généraux, les mêmes droits naturels, ils sont assujettis aux mêmes lois générales, sujets aux mêmes peines, etc… En cela ils sont tous égaux. Cette égalité de l’homme n’a jamais été contestée ; mais elle n’exclut en aucune manière la diversité des rangs et des conditions, et par conséquent elle ne favorise en rien les desseins que nos législateurs ont eu en déclarant une égalité parfaite parmi les hommes.

La même nature qui rend les hommes égaux dans les choses essentielles à la nature de l’homme, a en même temps établi entre eux une grande inégalité ; elle les a subordonnés les uns aux autres, elle a voulu que les uns eussent l’autorité et que les autres leur fussent soumis. Cette inégalité est une suite de leur origine. Dieu ayant voulu que le genre humain prit naissance d’un seul homme et qu’il se multipliât de même manière, dès lors il est divisé en deux classes parents et enfants ; les uns donnent, les autres reçoivent ; ceux-ci dépendent nécessairement de ceux-là. Et combien d’autres inégalités se rattachent à cette inégalité première !

Examinons maintenant la chose par rapport à la Loi.

Si les hommes ne sont pas égaux par la nature, de cette égalité qui n’admettrait entre eux ni supériorité, ni distinction, comment le seraient-ils devant la Loi ? Quelle Loi verrait en eux une égalité qui n’est pas conforme à la nature ? Ce n’est pas certainement la loi naturelle ; cette loi n’est que la voix de la nature, c’est par elle que l’Auteur de la nature intime à l’homme ce qui convient à sa nature, qu’il lui défend les choses qui lui sont contraires, et qu’il lui permet les choses indifférentes. Ce n’est pas non plus la loi divine ; cette Loi étant émanée de ce même Dieu qui est l’auteur de la nature ; ne peut être contraire à ce que la loi naturelle nous a fait connaître.

Je ne dirais rien ici de plus de cette loi divine positive, émanation de la Volonté libre de Dieu, par laquelle il nous prescrit des devoirs qui ne sont pas contenus dans la loi naturelle – et qui nous sont connus par la Révélation – je n’en parlerais pas, dis-je, si parmi ceux pour lesquels j’écris, il ne se trouvait un grand nombre d’hommes qui rougiraient de renoncer au christianisme, et si on ne s’était pas prévalu contre eux des principes mêmes de la Religion pour accréditer cette égalité indéfinis. Je dois leur montrer qu’ils ne peuvent admettre cette égalité sans travailler, de concert avec nos législateurs, à abolir la religion de Jésus-Christ.

Je dis donc de la Loi divine ou, ce qui revient au même, de la Religion révélée qui nous la fait connaître, comme je l’ai dit de la Nature, qu’elle admet une égalité essentielle parmi les Chrétiens. Tous sont enfants de Dieu, régénérés en Jésus-Christ par le Baptême, tous appartiennent à Jésus-Christ et à son Église. Mais cette égalité n’empêche pas qu’il y ait entre eux de grandes inégalités. Les grâces, les vertus, les mérites ne sont pas égaux, les desseins de Dieu et son choix sont différents ; l’état des uns n’est pas celui des autres. Nier cette inégalité, c’est nier les principes les plus certains ; c’est saper par les fondements le Dogme et la Morale.

Je le veux bien cependant, n’y faisons pas attention. Cette inégalité est intérieure, il est possible qu’elle n’ait pas fixé les regards de nos législateurs, uniquement occupés des choses extérieures. Mais il est une inégalité, essentielle à la Religion révélée, qui éclate publiquement au dehors, qui introduit et maintient parmi les citoyens une grande distinction, et qui montre à tout l’Univers chrétien une classe nombreuse d’hommes revêtus d’un caractère auguste : c’est l’inégalité qui se trouve entre le Prêtre et le laïque de quelque rang qu’il soit, entre le simple prêtre et les Évêques, entre ceux-ci et le Souverain Pontife. Cette inégalité et la distinction qu’elle produit n’ont point échappé à nos législateurs ; tant de décrets lancés contre les prêtres, les évêques et les religieux en sont la preuve. On a même tout lieu de croire, à en juger par leur conduite et par leurs discours, que c’est cette distinction surtout qu’ils ont prétendu bannir de la Société. Mais sans le Sacerdoce la Religion de Jésus-Christ ne peut subsister. Ainsi, vouloir renverser le sacerdoce, comme introduisant parmi les hommes une inégalité odieuse et incompatible avec l’égalité naturelle et imprescriptible de l’homme, c’est vouloir anéantir le Christianisme ; et, par une conséquence manifeste, admettre l’égalité indéfinie de nos législateurs, une égalité qui rejette toute distinction, c’est en réalité admettre un principe destructeur de la Religion de Jésus-Christ. Il faut donc en convenir, l’égalité dont parle la Déclaration est rejetée par la loi divine, comme elle l’est par la loi naturelle.

Mais pourrait-elle être reconnue par la loi civile ? Il est impossible qu’elle le soit. La loi civile est essentiellement subordonnée à la loi naturelle et à la loi divine ; il est donc impossible qu’elle admette rien de contraire à ces lois. Elle ne serait plus la loi, elle ne pourrait créer aucune obligation s’il s’y couvait rien de ce genre. De pIus, l’égalité dont il est question nous est présentée comme un droit naturel et imprescriptible, et la loi civile ne peut rien ajouter aux droits inhérents à la nature ; les droits que la loi civile confère, elle peut les ôter de même ; ils ne sont donc pas imprescriptibles. La raison démontre encore d’une autre manière, que l’égalité indéfinie, qui détruit toute distinction parmi les hommes, est incompatible avec la loi civile. Une loi civile suppose un gouvernement quelconque. Un gouvernement ne peut subsister sans quelque autorité constituée, sans subordination, sans diversité d’emplois ; tout cela entraîne la diversité des rangs et des conditions, et fait par conséquent disparaître la chimère d’égalité dont on berce le peuple ; si cette chimère pouvait se réaliser il n’y aurait pas de gouvernement, il n’y aurait pas de loi civile, parce qu’il n’y aurait personne pour veiller à son exécution.

N’entendrait-on autre chose par cette égalité sinon que tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics ? Ce serait la borner à bien peu de chose ; promettre beaucoup et donner peu. Il y a bien loin de cette admissibilité à l’égalité entière et parfaite. Avec ce droit, avec celui d’être également protégés par la loi, tous les hommes ne seront pas égaux par la nature et devant la loi, il pourra toujours subsister dans la république une grande diversité de rangs et de conditions. D’ailleurs combien y a-t-il de citoyens qui, faute de talents et d’éducation, ne peuvent être admissibles aux emplois publics ? Combien pour qui la protection des lois se réduit à bien peu de chose ? C’est la grande masse du Peuple ; dès lors, pour le très grand nombre, cette égalité serait nulle ou de bien peu de valeur, ce serait un fantôme sans réalité. Ce n’est donc point cela seulement qu’on a voulu faire entendre par le droit d’égalité. Les conséquences qu’on a tirées de ce droit et de celui de la liberté, pour ruiner la Monarchie et la Religion, le démontrent suffisamment.

Mais, comme une égale admissibilité aux emplois publics se rattache à l’égalité, avant de passer à autre chose, nous allons proposer nos réflexions sur l’article où il en est parlé.

1789 et 1791

Art. 6. – Tous les citoyens étant égaux aux yeux de la loi, sont également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que leurs vertus et leurs talents.

1793

Art. 5. – Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics. Les Peuples libres ne connaissent point d’autres motifs de préférence dans leurs élections, que les vertus et les talents.

Je ne vois rien que d’honnête dans une égale admissibilité des citoyens aux emplois publics. Cela peut exciter en eux une louable émulation, qui ne saurait manquer de contribuer au bien et à la gloire de la chose publique.

Lorsque les places seront données au mérite, et que tout le monde, avec du mérite, aura l’espérance d’y parvenir, chacun fera valoir les talents qu’il a reçus de la nature, et le nombre des concurrents sera plus grand. Peut-être était-ce un des points qui parmi nous avait le plus besoin de réforme. Mais cette réforme pouvait s’effectuer sans que tout fût bouleversé. On pouvait l’ordonner, on pouvait en faire une loi, et, prendre des mesures efficaces pour en assurer l’exécution. La chose est bonne en elle-même ; elle est entièrement de l’ordre civil, et les mesures sont laissées à l’arbitraire des peuples et des législateurs qui dans un gouvernement de leur création, peuvent déclarer l’admissibilité de tous les citoyens aux emplois publics et prendre là-dessus les moyens que, dans leur sagesse, ils jugent convenables, pourvu que ces moyens n’aient rien de contraire à la loi naturelle et à la loi divine.

Le mal est que nos législateurs comptent ce droit d’admissibilité parmi les droits naturels et imprescriptibles, ce qui suppose qu’il est commun à tous les hommes de tous les pays, quelles que soient les lois et la forme du gouvernement sous lequel ils vivent. N’est-ce par là chercher à soulever les peuples chez qui cette loi n’est pas reçue ?

La réflexion qu’on ajoute tend au même but ; on y insinue que des peuples ne sont pas libres quand, dans la promotion aux places, on consulte autre chose que les vertus et les talents. Ces hommes, aveuglés par leurs systèmes, paraissent avoir ignoré les raisons solides qui ont dû porter la plupart des peuples à en agir autrement, et à déférer un grand nombre de places, et surtout la souveraine magistrature, à la naissance.

J’omets à dessein les raisons politiques qui combattent l’égalité indéfinie parmi les citoyens, et qui montrent que cette égalité ne pourrait subsister longtemps, vu la grande inégalité que la nature a mise parmi les hommes ; qu’elle atteindrait bientôt le droit de propriété, parce que ceux qui se regardent comme égaux en toute autre chose, croiront aussi devoir l’être dans les biens de la fortune, prétention dont on a déjà vu des effets ; enfin qu’elle serait une source intarissable de troubles pour la Société.

1789 et 1791

Art. 4 – La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent étre déterminées que par la loi.

1793

Art.6 – La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui Elle a pour principe la nature, pour règle la Justice, pour sauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait.

 

On voit qu’il ne s’agit pas ici de la liberté essentielle à l’homme, qui Consiste, dans le pouvoir naturel de vouloir, ou de ne vouloir pas. Il ne s’agit pas non plus de la simple exemption d’esclavage. Il y a longtemps que l’esclavage est aboli en France, et c’eût été réduire la liberté à bien peu de chose… Nous savions bien que nous étions libres dans l’un et l’autre sens, et cette ancienne notion de la liberté n’aurait opéré parmi nous aucun changement ; elle ne nous aurait point portés à secouer le joug des lois divines, ecclésiastiques et même civiles ; elle n’aurait point fait de révolution. Il a donc fallu nous donner de la Liberté une nouvelle notion.

La Liberté, nous dit-on, est le pouvoir qui appartient à tout homme de faire tout ce qui ne nuit pas: aux droits d’autrui. Cette notion est vraiment nouvelle, un peu de réflexion nous montrera combien elle est fausse et désastreuse dans ses conséquences.

Ce pouvoir qu’on déclare appartenir à tous les hommes, n’est pas seulement un pouvoir naturel et physique, tel que celui qu’ont tous les hommes de faire le bien et le mal ; c’est un pouvoir moral qui rend leurs actions licites. On peut licitement faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui ; c’est un droit naturel et imprescriptible de l’homme, c’est un droit inhérent à sa nature, qu’on ne peut lui ravir et dont on ne peut, sans tyrannie, empêcher à l’homme la jouissance.

Donc, toutes les lois divines, ecclésiastiques, civiles, qui lui interdisent. quelque chose que ce soit qui ne blesse pas les droits d’autrui, sont des lois injustes et tyranniques. Il en est affranchi par le droit naturel, imprescriptible, de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui. Et parce que, selon nos législateurs, tout ce qui n’est pernicieux qu’à son auteur, tout ce qui n’est contraire qu’à l’honnêteté naturelle, tout ce qui n’outrage que Dieu, ne nuit point aux droits d’autrui, l’homme a le droit de se permettre toutes ces choses. Il peut dire, imprimer. contre Dieu, contre Jésus-Christ, contre la Religion, les blasphèmes les plus impies ; tenir contre les moeurs les propos les plus licencieux ; publier contre la Vérité les erreurs les plus évidentes ; adorer les idoles, les animaux, les démons ; adopter et exercer tel culte qu’il voudra sans que personne puisse le trouver mauvais.

Cette conséquence, toute affreuse qu’elle est, résulte naturellement de la notion que nos législateurs nous donnent de la liberté ; et telleest leur confiance dans notre aveugle soumission à leurs oracles, qu’ils n’ont pas rougi de l’imprimer dans l’article, qui suit immédiatement celui de la Liberté.

1789 et 1791

Art. 11. – La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

1793

Art. 7. – Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s’assembler paisiblement, le libre exercice du Culte, ne peuvent être interdits.

 

Ce droit est illimité quant à son objet. On ne peut y mettre aucune restriction parce que la loi n’en met aucune. On pourrait croire, il est vrai, que ce droit est nécessairement renfermé dans les limites que la saine raison et la loi naturelle ont tracées à l’homme ; que par conséquent il serait interdit à tout homme de publier rien qui soit injurieux à Dieu, et préjudiciable aux bonnes moeurs. Mais ce serait s’abuser étrangement, ce serait s’aveugler volontairement sur les vues de nos législateurs, que d’interpréter ainsi la liberté qu’ils nous offrent, et si, comme on le dit communément, la pratique et la coutume sont les meilleures interprètes des lois, surtout quand elles sont avouées par les auteurs de la loi, il faut. dire, au contraire, que cette liberté est un pouvoir illimité pour le mal, et que ce pouvoir est nul pour bien.

En effet, qu’avons-nous vu ? Que voyons-nous encore depuis la Déclaration des droits de l’homme ?…

Concluons que cette liberté, qu’on nous représente comme un droit naturel et imprescriptible de l’homme, est une liberté qui nous affranchit de tout devoir envers Dieu et envers nous-mêmes, et qui ne laisse subsister qu’une partie de nos devoirs envers les autres hommes ; je dis une partie, car tous les devoirs d’un ordre surnaturel se trouvent anéantis, et ceux qui subsistent sont sans force, n’étant en aucune manière appuyés sur la loi divine.

Cependant on nous dit que cette liberté a « pour principe la Nature, pour règle la Justice, pour sauvegarde la Loi ». Je réponds que ce sont là de vains mots, incapables d’éblouir un esprit qui sait un peu raisonner. Non, la Nature ne peut avoir une liberté qui répugne à tous les principes ; la justice défend sans doute ce qui peut nuire aux autres hommes, mais elle ne peut permettre d’outrager Celui de qui l’homme tient ses droits. II n’y a qu’une loi, telle que celle de la Déclaration des droits définit, qui puisse maintenir une pareille liberté ; mais cette loi est nulle, parce qu’elle est contraire à la raison, aux moeurs à Dieu même.

Quant à ce qu’on ajoute, que « la limite morale de cette liberté est dans cette maxime : Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait », je conviens que cette maxime pose une des limites essentielles et nécessaires à I’exercice de la liberté humaine, mais ce n’est pas son unique limite comme on le fait entendre… Voici la maxime qui exprime entièrement la limite absolument nécessaire à l’usage que l’homme peut faire de sa liberté : « Ne fais rien de ce qui est contraire à la loi naturelle et à la loi divine ; et plus clairement encore : Ne fais rien d’injurieux à Dieu, de nuisible au prochain et de funeste à toi-même » On voit par là que la maxime qu’on a cité n’exprime qu’en partie la limite morale de la liberté, et ce n’est pas sans dessein, puisqu’on prétend affranchir l’homme du joug de la loi naturelle et de la loi divine, et que c’est dans cet affranchissement qu’on fait consister sa liberté.

D’ailleurs, en nous citant cette maxime sacrée, il eût fallu, pour lui faire sortir tout son poids, nous la présenter comme un point essentiel de cette loi naturelle que Dieu a gravée dans le coeur de tous les hommes, loi qu’il intime à chacun d’eux par le moyen de sa propre conscience, et par laquelle il lui prescrit d’agir d’une manière conforme à la raison. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? C’est qu’ils ne pouvaient rappeler l’idée de la loi de Dieu sans porter un coup mortel à celle qu’ils voulaient établir. Et cependant ils voulaient parer à l’objection faite aux premiers législateurs, de ce qu’ils n’avaient pas inséré cette maxime dans la première Déclaration, et jouer le peuple en lui faisant accroire qu’il leur reste encore quelque principe de justice et d’honnêteté naturelle.

Nous allons retrouver le même artifice, dans ce qu’ils disent de la loi.

1789 et 1791

Art. 6. – La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir, personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.

1793

Art. 4. – La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale. Elle est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ; elle ne peut ordonner que ce qui est juste et utile à la Société ; elle ne peut défendre que ce qui lui est nuisible.

La définition qu’on donne ici de la loi est générale, rien n’indique le contraire, et il convenait qu’elle le fût dans une déclaration des droits de l’homme, afin qu’on pût connaître jusqu’où s’étendent ces droits. Cette définition doit donc convenir à toute espèce de loi, car telle est la nature de la définition. Or, il est évident que cette définition ne convient ni à la loi naturelle, ni à la loi divine, ni à la plupart des lois humaines. Elle ne convient point à la loi naturelle, puisque celle-ci n’est pas libre ; étant essentiellement conforme à la Volonté immuable, éternelle, de la Souveraine Sagesse qui n’est autre que Dieu. Elle ne convient pas à la loi divine, – qui est libre dans ses dispositions, car il s’agit de la loi positive – parce qu’elle provient uniquement de la Volonté souveraine de Dieu et ne dépend nullement de la volonté générale de ceux à qui la loi est donnée. Elle ne convient point à la plupart des lois humaines, parce qu’elles émanent de la volonté de celui ou de ceux qui ont la souveraine autorité sur la communauté, sans qu’il soit nécessaire que ceux qui composent la communauté aient été consultés.

Ainsi, par leur définition, nos législateurs rejettent la loi naturelle, la loi divine et la plupart des lois humaines. Voilà ce qu’on est obligé de penser. Car il n’est pas possible d’imaginer qu’ils aient ignoré les notions les plus communes de la définition, ou que, dans une définition longuement et sérieusement discutée entre plusieurs gens habiles, il se trouve un seul mot qui ait été mis ou omis sans quelque vue.

Tout le reste s’accorde parfaitement avec ce que nous avons dit de l’égalité et de la liberté, dont ils ont fait des droits imprescriptibles.

Mais restreignons cette définition à quelque chose de moins général, supposons qu’on n’a prétendu définir que la loi humaine. Cela suffirait-il pour faire disparaître toute espèce d’iniquité ? Non, pas tout à fait ; parce qu’il est essentiel à toute loi humaine d’être appuyée sur la loi naturelle et divine. Sans cet appui, elle ne peut obliger, elle ne peut être loi. Il était donc nécessaire d’ajouter cette clause à la définition de la loi : pourvu que la volonté générale soit conforme, ou du moins n’ait rien de contraire à la loi naturelle et divine. Et dans la matière présente, une pareille réticence ne peut être que réfléchie et donner lieu de croire qu’on rejette ces lois.

Si nos législateurs ne rejettent pas positivement ces lois, du moins il est certain qu’ils les considèrent comme nulles par rapport aux lois humaines. Souffrons un moment cette impiété. Mettons à part la loi naturelle et divine, l’autorité de Dieu même, et voyons si la loi serait alors l’expression libre et solennelle de la volonté générale. D’où la volonté générale tirera-t-elle, pour obliger les hommes à l’obéissance, une autorité sans laquelle il n’y a point de loi ? Ce n’est pas d’elle-même, il n’y a que Dieu qui tienne son autorité de lui-même. Ce n’est pas non plus des hommes, parce que se soumettre à la volonté générale, lui donner l’autorité de commander, c’est aliéner sa liberté, c’est enchaîner le pouvoir qu’on a de « faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui » ce qui est chose impossible, la liberté étant un « droit imprescriptible ». Il n’y aurait. donc plus de loi.

On dira peut-être : la volonté générale est le composé, le résultat de la volonté de tous, et par conséquent l’homme, en obéissant à la loi, ne captive point, ne soumet point sa volonté, il est libre ! Ce n’est là qu’un vain subterfuge. La volonté générale est, ou l’accord de la volonté de tous, de manière que tous veuillent la même chose, ou c’est seulement l’accord du plus grand nombre. Le premier cas est impossible, il est impossible que tous les hommes s’accordent sur tous les points que contient la loi. Si par la volonté générale on n’entend que la volonté du plus grand nombre, alors je ne suis plus libre ; je n’ai plus ce pouvoir imprescriptible de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui. Ma volonté se perd, elle est abîmée dans un concours immense de volontés étrangères ; et je suis, contre mon gré, irrésistiblement obligé de faire la volonté des autres.

Et qu’importe à ma liberté d’être enchaînée par une foule de volontés différentes, ou par la volonté d’un seul, à qui je me soumets librement et avec joie, parce que je reconnais en lui l’autorité du Souverain Maître.

Dans les deux cas je renonce également à ma liberté. Je dirai même que, dans le dernier, mon renoncement est plus libre : parce qu’en obéissant à un homme en vue de Dieu, c’est à Dieu proprement que j’obéis, et que je fais uniquement ce. que me disent de concert ma raison et ma Religion. Au contraire, lorsque je ne considère nullement l’autorité de Dieu mais le grand nombre, alors mon concours à la confectiola loi et l’acceptation que j’en fais en général, peuvent seuls rendre mon renoncement libre ; or ce concours et cette acceptation sont comme nuls à mon égard, chacun de nous peut s’en rapporter là-dessus à sa propre expérience !

La définition que nos législateurs nous donnent de la loi est donc bien mal imaginée, puisque leur but, en nous la donnant, était de sauver au moins l’apparence de leur liberté et qu’elle ne la sauve en aucune manière. Elle n’en est plus la sauvegarde, elle en est l’anéantissement. Mentitia est iniquitas sibi.

Je vais plus avant et je dis que quand on conviendrait que la loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale, on ne pourrait, d’après leurs principes, jamais être assuré de l’existence et de l’autorité de la loi, pour obliger les citoyens à se soumettre. Il faut au moins pour cela que la volonté générale soit celle du plus grand nombre. Mais comment constater le plus grand nombre ? Par des représentants ? Mais ces représentants ont-ils été choisis par le plus grand nombre ? Ont-ils été choisis librement ? N’ont-ils pas trahi la cause de leurs commettants ? Ont-ils exactement accompli ce qui leur était commandé ? N’ont-ils point dépassé les bornes qu’on leur avait prescrites ? La chose au moins sera douteuse. Le plus souvent il sera certain que des représentants ne seront pas ceux du plus grand nombre, qu’ils auront substitué leur volonté à la volonté de la Nation. Dès lors plus de loi, plus de frein aux passions humaines, s’il est vrai que la loi soit, dans le sens de la Déclaration l’expression de la volonté générale.

Disons-le hardiment, parce que la chose est notoire. Dans toutes nos Assemblées, nos représentants se sont arrogé un pouvoir qu’on ne leur avait pas donné, et qu’on n’avait pu leur donner. Leur choix n’avait pas été celui du plus grand nombre. Les élections n’avaient point été libres, au moins quant aux deux dernières législatures. Tout ce qu’il y avait d’honnête dans la Nation n’y a point concouru : elles ont été l’ouvrage de l’intrigue et de la cabale ; et comme l’intrigue et la cabale sont la science des méchants, ceux-ci y ont présidé, ils ont réuni tous les suffrages ; ils ont été nommés les représentants de la Nation, et ils l’ont été par eux-mêmes. Parmi eux, ceux qui étaient les plus méchants l’ont emporté. Eux seuls ont fait la loi et l’expression de leur volonté est ce qu’ils appellent l’expression libre et solennelle de la volonté générale.

Ce qui est arrivé parmi nous a dû arriver, c’est ce qui arrivera toujours, quand on voudra secouer le Joug de la loi suprême.

Un Peuple fait consister sa liberté à se donner à lui-même des lois, il ne veut dépendre que de lui-même, il se soustrait à l’obéissance qu’il doit à la loi divine ; Dieu, pour le punir de sa révolte et de son impiété, le prive de cette liberté dont il fait son idole. Les efforts qu’il fait ne servent qu’à le mettre dans de viles et cruelles entraves ; il devient l’esclave des pires, qui le maîtrisent et qui, n’étant dirigés par aucune règle, retenus par aucun frein, lui imposent, sous le nom de la Nation, des lois arbitraires et impies, et le livrent, au gré de leur malice, à tout ce que le malheur, l’avilissement, le désordre et et le crime ont de plus rebutant et de plus affreux ! Le sort de ce peuple est semblable à celui de tout homme qui, ne connaissant pas la véritable liberté, la cherche dans l’indépendance et l’assouvissement de ses désirs déréglés.

A la définition de la loi qu’on vient d’examiner, et dont on a fait voir la fausseté, l’insuffisance et l’impiété, on ajoute les paroles suivantes : « Elle est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse »

Si le sens de ces paroles est qu’une loi ne peut, en aucun cas, admettre de distinction dans les personnes, soit quant aux faveurs qu’elle accorde, soit quant aux punitions qu’elle décerne, la fausseté de cette proposition est sensible, parce que, en bien des cas, la raison et le bien public demandent qu’on distingue diverses sortes de personnes.

On dit de la loi qu’elle ne peut ordonner que ce qui est juste et utile à la Société, qu’elle ne peut défendre que ce qui lui est nuisible. Cette maxime est vraie par rapport aux lois qui sont appuyées sur la loi naturelle et la loi divine. Mais attribuer la même chose à des lois qui seraient seulement l’expression de la volonté générale des hommes, sans aucun rapport à la Volonté divine, c’est dire que des hommes sont par eux-mêmes incapables de se tromper, incapables de vouloir rien de mal ; c’est leur attribuer une infaillibilité, une sagesse, qui n’appartiennent qu’à Dieu, et ne viennent que de Dieu. Que nos législateurs examinent eux-mêmes les effets de leur loi : la Religion détruite, le trône renversé, le désordre et le vice qui règnent impunément partout, l’innocence opprimée, l’usurpation de tous les biens consacrés à Dieu, etc., et qu’ils nous disent si leur loi n’a pu rien ordonner que de juste.

Nous ne nierons pas que, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il n’y ait plusieurs choses justes et utiles, ce sont celles qui sont conformes à la Jurisprudence commune et ordinaire. Ce mélange était nécessaire pour faire illusion. Mais combien en est-il encore, que nous pourrions relever, comme contraires à la Religion, au bien de la Société et aux bonnes moeurs ? Il y a d’autres assertions, qui pourraient être vraies si elles étaient modifiées et si on ne les présentait pas comme des droits naturels de l’homme et du citoyen.

1789 et 1791

Art. 3. – Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation ; nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

1793

Art.25. – La souveraineté réside dans le Peuple.

Cette proposition peut être vraie. Elle l’est en effet, dans le gouvernement démocratique. Dieu qui, comme Modérateur Souverain et universel, gouverne à son gré et diversement les diverses sociétés humaines, peut confier une portion de son autorité au corps de la nation et lui donner les lumières nécessaires pour faire de sages lois. Alors, par une suite des dispositions de la divine Providence, la Nation est le Souverain, et cette sentence divine a dans elle son application « c’est par moi que les Rois règnent et que ceux qui font les lois décrètent des choses justes ».

Mais prétendre que la souveraineté réside tellement dans le Peuple, que c’est un droit imprescriptible et inaliénable du peuple, et qu’elle ne pourrait être en d’autres mains sans une usurpation tyrannique, c’est une fausseté pernicieuse, c’est condamner tous les siècles, et presque tout le genre humain ; c’est vouloir exciter tous les peuples contre leurs Souverains et contre toute espèce de gouvernement qui ne serait pas purement démocratique. Que si, de plus, on prétend que, même dans le gouvernement démocratique, la Souveraineté appartient tellement au Peuple qu’elle ne dérive pas de la volonté libre de Dieu, qui dispense parmi les hommes les pouvoirs comme il lui plaît ; si l’on prétend qu’il ne puisse y avoir parmi les hommes d’autres formes de gouvernement, où la souveraineté soit entre les mains d’un seul homme ou de plusieurs hommes, c’est une assertion qui révolte la raison, et qui choque toutes les idées qu’elle se forme de la Puissance divine.

Nous pourrions étendre plus loin nos réflexions sur la Déclaration des droits. Nous pourrions montrer combien nos législateurs eux-mêmes l’ont violée dans tout ce qu’elle pouvait avoir de favorable aux partisans de la Religion, de la Justice et de la Vérité. Notre objet n’a pas été de censurer leur conduite, mais leurs principes, et de montrer combien cette Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est contraire à la Religion et aux moeurs. Il était important d’éclairer mes concitoyens sur cette matière, à laquelle plusieurs d’entre eux ne font pas assez attention.

Nos réflexions ont rempli suffisamment cet objet. Nous ne voyons pas qu’on puisse les lire avec quelque soin, sans reconnaître que cette Déclaration couvre la Vérité d’un voile ténébreux ; qu’elle tend au renversement total de la Religion de Jésus-Christ ; qu’elle est dans ses points principaux tout à fait opposée au Saint Evangile ; qu’elle affranchit l’homme de tous les devoirs que la loi, même naturelle, lui impose par rapport à Dieu ; enfin qu’elle est un véritable amas d’impiétés et d’immoralités.

Mais parce que la manière artificieuse dont elle est présentée, et ce qu’elle contient de propre à flatter l’orgueil et la corruption naturelle aux hommes, peuvent la rendre très funeste au genre humain ; sous ce dernier point de vue, comme membre de la Sainte Eglise Catholique, je dénonce cette production d’iniquité.

Si malheureusement les ténèbres qu’on s’est proposé de propager par le moyen de cette Déclaration des droits de l’homrne, venaient à se répandre sur la terre ; si la plupart des hommes s’en laissaient envelopper, alors nous serions arrivés à ces temps malheureux, où selon la terrible parole des Livres sacrés, le soleil de la Vérité sera obscurci.

Achevé le 7 août 1793.

Vues sur l’avenir

Le manuscrit, daté de 1794, et dont nous allons publier quelques fragments, forme un volumineux in-folio, d’une écriture serrée, de 700 pages environ.

Il serait difficile de faire éditer, dans son entier, un ouvrage aussi considérable, et dont l’auteur lui-même eut sans doute, en pareille aventure, réduit les proportions. Nous ne publierons que les pages les mieux destinées, semble-t-il, au temps présent. Il a fallu leur attribuer des titres. Nous les grouperons ainsi : 1° Caractères et conséquences de la Révolution ; 2° Conditions d’un relèvement durable.

Caractères et conséquences de la Révolution

27 janvier 1794.

Il ne paraît pas douteux que dans l’âge où nous entrons, il doive se produire de grands changements qui entraîneront aussi de grands devoirs à remplir. C’est ce qui va fournir la matière, de nos réflexions. Ceux qui seront témoins des événements qui doivent se dérouler seront en état de précautionner les fidèles. Ceci n’est qu’une. faible ébauche. En l’écrivant nous ne savons si elle verra jamais le jour, et certainement, sans une providence très particulière, notre travail ne pourra se sauver du naufrage. Ceci ne nous regarde pas. Nous nous contenterons de faire ce qui nous semble selon les vues du Seigneur, et de témoigner par là combien nous souhaiterions contribuer au salut des âmes. D’ailleurs ces pages, si elles devaient paraître, ne s’adresseraient qu’à ceux qui aiment et cherchent la vérité toute nue. Elles exciteraient plutôt le dédain que la curiosité d’autres lecteurs, de ceux surtout qui bornent à cette vie leurs vues et leurs espérances.

Pour nous fidèles, nous avons à nous rendre attentifs aux avis du divin Maître par rapport aux temps de persécution. Ils ne regardaient pas seulement les chrétiens du premier âge, ils s’adressent non moins à nous, et ils nous sont encore plus nécessaires, car nous avons en face de nous des ennemis d’autant plus dangereux qu’ils sont plus éclairés et qu’ils se sont roidis contre la vérité.

Trois caractères de la Révolution

La Révolution que nous avons vu se déchaîner présente, – indiqués d’avance par les Saints Livres – trois principaux caractères : elle a été subite, elle est grande, elle sera générale. Elle a été subite dans son explosion. Nous aurions dû prévoir dès longtemps le mal qui menaçait et nous y préparer. De tous côtés il s’en offrait à nos yeux des symptômes sérieux ; l’impiété faisait des progrès rapides, et après avoir gangrené les classes les plus brillantes de la société, son venin s’était répandu dans les classes moyennes, et les plus humbles n’étaient pas exemptes d’infection. Un déluge de mauvais livres inondait le royaume. L’éducation était souverainement négligée en ce qui regarde la religion, et la plupart des personnes de tous les états restaient dans une grande insouciance des choses du salut. Ceux-mêmes à qui leur salut était plus à coeur vivaient dans une entière sécurité ; en vain avait-on fait retentir les avertissements évangéliques et donnant à prévoir que ce qui était arrivé à d’autres nations arriverait aussi, ou pis encore, on ne s’en mettait pas plus en peine que de traits d’orateurs lancés à plaisir pour remuer un auditoire. Par suite, pas de changement dans la conduite. Il eût fallu s’adonner à la prière, à la mortification, pour attirer les secours extraordinaires que l’approche de tels périls rendait nécessaire. On a négligé de le faire, la tempête a fondu sur le vaisseau tandis que personne n’était sur ses gardes. Un grand royaume a quitté la religion de ses pères ; le culte y est devenu non seulement schismatique, mais idolâtre ; on y a publiquement blasphémé le nom de Jésus-Christ et persécuté ses ministres avec fureur.

Notre exemple devrait suffire à convaincre les autres peuples des maux qu’entraîne infailliblement toute révolution qui s’attaque à la véritable religion, et les porter à prendre, même par politique, si des motifs plus nobles et plus chrétiens ne les touchent point, des moyens efficaces pour prévenir le danger. Mais pouvons-nous l’espérer, en voyant le système d’irréligion accrédité parmi les grands dans presque tous les pays d’Europe ? N’est-il pas ; au contraire, à craindre que leurs chefs ne suivent en cela l’exemple de la plupart des Rois de Juda, qui, parce que l’idolâtrie était établie dans le royaume des dix tribus, en tolérèrent chez eux l’usage, de peur que leurs sujets, trouvant le joug trop pesant, en vinssent à le secouer tout à fait. N’est-il pas à craindre que, par une politique aussi contraire à leurs propres intérêts qu’à ceux de la religion et au bonheur de leurs sujets, songeant uniquement à conserver leur autorité et voyant leurs peuples enthousiasmés de l’image d’une fausse liberté, ils deviennent eux-mêmes, dans leurs états, les artisans de la révolution.

Le deuxième caractère de la révolution anti-chrétienne, c’est qu’elle est grande ; grande dans l’ordre politique, grande dans l’ordre moral, grande surtout dans l’ordre religieux. Par son objet, elle s’étend à tout ; rien n’est respecté, pas même les premiers principes de la loi naturelle ; les idées les plus universelles sont comptées pour rien, et les droits les plus imprescriptibles violés pour en forger de nouveaux. Ces droits nouveaux tendent à la suppression de toute espèce de joug naturel, religieux, divin même, comme à l’abolition de tout pouvoir légitime. Il ne suffira pas d’en avoir prévu la portée, mais lorsqu’elle aura prévalu et que la multitude s’y laissera entraîner, il faudra beaucoup de prudence, de force et de constance. La prudence sera nécessaire pour décliner sagement le danger, la force pour résister à des assauts répétés, la constance pour supporter patiemment les maux dont on doit s’attendre à être envahi de tous côtés.

Quoique la destruction totale de la religion chrétienne soit le but principal que se proposent, dans la révolution présente, les puissances des ténèbres, ainsi que les agents en chef dont elles se servent pour l’opérer, cependant c’est avec le soin de ne pas montrer au grand jour cette intention perverse. On la laisse seulement entrevoir assez pour encourager les hommes sans moeurs et sans religion, et on ne fait entrer dans le secret que ceux dont on se croit bien assuré. Les agents de la révolution colorent tout ce qu’ils font du bien public, ils avancent des maximes qui seraient susceptibles d’une bonne interprétation, mais qui cachent un sens très mauvais, se réservant de le dévoiler quand ils se croiront assez forts pour tout oser. Ils présentent un ordre de choses de nature à flatter la multitude, et dans lequel la plupart croient trouver leurs intérêts. Ceux qui donnent le mouvement à toute la machine retirent de là un double avantage. D’abord ils parviennent ainsi à mettre tout dans une confusion qui leur permet de couvrir leur marche vers le but et d’écarter ceux qui pourraient y mettre obstacle. Ensuite ils entraînent le grand nombre dans leurs vues et deviennent ainsi les plus forts.

Rien de plus dangereux que de se laisser tromper par ces premières apparences. Bien des gens qu’elles ont réussi à surprendre n’ont pas eu le courage de revenir sur leurs pas quand ils se sont aperçu du danger. Ceux qui s’y sont exposés n’ont certainement pas été exempts de faute ; car bien qu’ils n’aient pas prévu, ni peut-être pu entièrement prévoir tout ce qu’on préparait de funeste à la religion, il leur était cependant facile de reconnaître qu’il ne pouvait rien arriver de bon de ce qui se passait. Mille circonstances étaient de nature à éveiller leur attention : le caractère des chefs, les paroles qui leur échappaient, les mesures qu’ils prenaient, et beaucoup de choses semblables leur auraient sans doute ouvert les yeux si l’intérêt, l’orgueil, l’ambition ou autres inclinations déréglées ne les avaient aveuglés.

Il faut donc se persuader fortement que tout ce qui regarde la gloire de Dieu, la religion, le salut de l’âme, fût-ce même en des points moins essentiels, doit toujours l’emporter sur toute autre considération. Quand on sera bien pénétré de cette vérité et qu’elle deviendra la règle de toute la conduite, on évitera des écueils où sans cela fatalement tout ferait naufrage, honneur, probité, salut même.

On ne devra pas se lancer témérairement dans ces assemblées tumultueuses où la vérité et la raison ne peuvent se faire entendre, où le mensonge préside et où l’esprit le plus ferme. transporté comme hors de soi, perd de vue les grands motifs qui devraient le diriger et s’engage à l’aveugIe, bien au delà de ce qu’il voudrait, dans des voies périlleuses et contraires à la conscience. Qu’on ne se laisse point éblouir par les offres les plus avantageuses, par l’éclat des postes et des dignités. Il faut se méfier de ces emplois publics qu’il est difficile de remplir sans blesser sa conscience, à moins qu’ils ne soient de nature à ne pouvoir être abandonnés sans trahir la cause de Dieu.

Il faut même décliner ces emplois publics, quand le mal a pris tellement le dessus, que tous les efforts qu’on ferait pour en arrêter le progrès seraient inutiles.

Un troisième caractère de la Révolution anti-chrétienne, c’est qu’elle doit être générale. Elle ne l’a été que trop pour notre malheureux pays. Immense est le nombre de ceux qui se sont laissés entraîner par le torrent ; ceux qui ont résisté sont relativement peu nombreux.

Est-il à craindre que cette révolution s’étende à tous les pays, ou du moins à une grande partie des pays où la religion chrétienne a été portée et a fleuri, depuis que l’Eglise est substituée à la Synagogue ? C’est ce dont se flattent les chefs de la révolution, ils s’en sont vantés dès le commencement. Ils espèrent y réussir moins par la force des armes que par la fraude et la séduction. Tous les moyens leur paraissent licites, ils envoient partout des émissaires soudoyés qui doivent à leur tour en soudoyer d’autres. C’est pour cela qu’ils ont débité, sous le nom de « Droits de l’Homme », des principes capables de flatter les passions humaines et propres à tout bouleverser, et ils ont osé les appeler le Code du genre humain. C’est pour cela qu’ils s’efforcent de fomenter le désordre dans tous les états et qu’ils ont juré la perte des souverains.

Cependant je croirais ces prétentions chimériques, ces trames perfides comme ne devant avoir d’autre effet que de vouer leurs auteurs au mépris des générations suivantes si, chez les autres nations, la religion de Jésus-Christ était plus florissante, I’Evangile mieux pratiqué, et les vertus morales même plus communes. Mais dans presque tous ces pays, l’impiété a fait de grands progrès ; des sectes ténébreuses, celles mêmes qui chez nous ont été la principale origine du mal, se sont glissées dans toutes les classes sociales, ceux qui veulent se distinguer de la foule affectent l’incrédulité ; il règne par rapport à la religion une grande indifférence, l’ignorance de ses mystères et l’oubli de ses devoirs ; on ne connaît plus la bonne foi dans le commerce, et le libertinage porte le désordre dans les familles. Nous voyons presque partout cette perversion pour laquelle Dieu, par ses prophètes, menace de réprouver les peuples. Pourquoi ceux dont nous parlons se flatteraient-ils d’être épargnés ? II n’y a que trois ou quatre ans, la religion catholique était la seule reconnue en France, elle y avait fleuri pendant quinze siècles ; le culte extérieur y était pompeux, le clergé habile et respecté. La France possédait des hommes exemplaires, des communautés ferventes, des prédicateurs éloquents, des missionnaires zélés ; le désordre n’y était, semble-t-il, ni plus grand, ni plus général qu’ailleurs. Et cependant la France est tombée, le Christianisme est proscrit et l’apostasie a pris sa place.

Ce qui doit faire réfléchir encore les autres nations, c’est ce que nous lisons dans les Livres Saints, de la défection des peuples de la genti-lité chrétienne. Il ne serait pas difficile de faire voir que l’annonce en a été consignée dans la plupart des livres prophétiques, mais le témoignage de l’Apôtre des Gentils suffira : « C’est par la foi, dit-il aux Romains, que vous demeurez attachés au tronc. Ne vous en glorifiez point, mais craignez, car si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles de l’arbre, craignez qu’il ne vous épargne pas non plus. Voyez donc la bonté et la sévérité de Dieu : sa sévérité envers ceux qui ont été retranchés, sa bonté envers vous, pourvu que vous soyez constants dans la pratique du bien ; autrement vous serez aussi retranchés » (Rom. XI, 20.23.)

La Révolution est satanique

Depuis la naissance du christianisme, depuis le commencement du monde, il ne s’est point vu, en réalité, de révolution où l’impiété se soit montrée si à découvert, et se soit portée à des excès à la fois si monstrueux et si extravagants. Cependant elle s’est répandue avec la rapidité la plus étonnante, par les moyens les moins proportionnés au succès ; et ce qui devait choquer et révolter les esprits n’a servi qu’à lui donner de nouvelles forces. Un grand peuple a changé tout à coup de principes, de moeurs, de lois, de religion. Sans raison, et contre toute raison de politique, d’intérêt, de gloire, de bonheur, il affiche l’athéisme. Il semble ne songer qu’à s’aveugler, à s’avilir, à saisir avec empressement les moyens de se rendre malheureux ; il adopte les motions les plus cruelles, accueille les propositions les plus insensées, et applaudit les fanfaronnades les plus ridicules. On ne peut rendre raison de tout cela qu’en l’attribuant au plus grand pouvoir laissé aux démons, à cette liberté qui, selon divers passages de l’Ecriture, est accordée en de certains temps aux puissances des ténèbres.

Cette permission plus étendue que le Seigneur donne aux démons de tenter les hommes, et d’user contre eux de ces artifices dont leur nature supérieure à la nôtre les rend capables, cette permission est un châtiment de la colère divine. Cependant Dieu ne leur donne cette permission qu’à regret et comme malgré lui : « Non humiliavit ex corde filios hominum » (Thren. III. 32.). De lui-même, Il ne fait que du bien à ses créatures : « De suo bonus ». Il faut qu’il y soit contraint par nos péchés, notre orgueil, notre endurcissement. Sans cela, livrerait-il à la fureur de ses ennemis des enfants rachetés du Sang de Jésus-Christ ? Si donc les peuples rentrant en eux-mêmes s’humiliaient sous sa main toute puissante, s’ils reconnaissaient leur folie et revenaient sur leurs pas, oui sans doute, Dieu se laisserait fléchir, le pouvoir des démons serait enchaîné, des grâces plus fortes seraient répandues sur ces peuples, et, fortifiés par ce secours, ils triompheraient à leur tour des enfers conjurés contre eux. Ce changement doit être l’objet de nos voeux les plus ardents. Mais la conduite de ces peuples donne lieu de craindre que, d’ici longtemps, ils ne reconnaissent même pas leurs maux. Ils sont esclaves, et ils se disent libres, ils s’enfoncent dans les ténèbres, et ils croient s’avancer vers la lumière. Ils nous regarderaient comme des insensés, des fanatiques si nous leur disions, sur la foi des divins oracles, qu’ils sont les jouets et les instruments des esprits de ténèbres, que leur misère est pitoyable et leur aveuglement extrême. Et cependant ils ont fait alliance avec ces génies malfaisants pour faire la guerre à Jésus-Christ. Seul un coup signalé de la Miséricorde divine pourrait les rappeler à eux-mêmes. Ce coup n’est pas impossible à une Bonté infinie. Je ne crois pas que jusqu’ici il y en ait eu d’exemple par rapport à tout un peuple apostat qui s’en rend si indigne.

Il y a plus grand sujet d’espérer de chacun en particulier, de ceux surtout qui, quoique engagés dans la même voie malheureuse que le corps de la nation, ne sont cependant pas plongés dans l’endurcissement. Il leur reste de la foi, les impressions d’une éducation chrétienne, ils souhaiteraient qu’on ne se fût pas porté à de si grands excès, ils en gémissent en secret. Nous leur dirons ce que Jésus-Christ disait aux Juifs : « Il vous reste encore un peu de lumière, marchez à sa lueur », et avec le Prophète : « Rendez grâce au Seigneur votre Dieu avant que la nuit vous enveloppe de son ombre. »

Ceux que le Seigneur, par une grâce spéciale, préserve en de tels temps du mal général, doivent user de sages précautions pour mériter qu’un tel secours leur soit continué. II leur importe d’être convaincus de la rage avec laquelle l’enfer attaque à cette époque les hommes, et du pouvoir, plus étendu qu’en aucun siècle, qui est donné à Satan. Instruits de la force de leurs ennemis, ceux qui ont été préservés sentiront mieux l’excellence de cette faveur, ils avoueront qu’ils ne peuvent s’en attribuer la gloire, qu’elle appelle leur reconnaissance et qu’ils ne doivent pas cesser de se tenir en éveil.

C’est maintenant, en effet, qu’il faut faire entendre aux habitants de la terre ce que trame contre eux l’ennemi du genre humain. Le signal du combat est donné, il n’est plus temps de songer à son repos… Une crainte pusillanime ne pourrait que nous affaiblir et donner des avantages à nos ennemis. Ce qui est un châtiment pour ceux qui ne sont à Dieu qu’à demi, n’est qu’une épreuve pour ceux qui sont généreusement attachés à son service. Le combat est plus violent afin que la victoire soit plus glorieuse et Dieu augmente les forces de ses soldats quand il les expose à de plus grands dangers. II est avec nous, que craindrions nous ? Il combattra pour nous, que peuvent nos ennemis ? Nous pourrions les défier, comme le Prophète : « Rassemblez-vous, formez des projets, ils seront anéantis »

La Révolution est ennemie de Jésus-Christ

Le grand effort de l’enfer, maintenant surtout, tend à séparer l’homme de Jésus-Christ, à le mettre dans l’inimitié de Jésus-Christ. Tous les biens que Dieu a faits à l’homme, c’est en vue de Jésus-Christ qu’Il les a faits. Jésus-Christ est le flambeau du monde. En s’écartant de Lui, les peuples, comme les individus, se replongent dans les ténèbres, ils perdent leur gloire et leur bonheur. Il en sera toujours ainsi. « Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur Jésus, qu’il soit anathème », dit Saint Paul (I Cor. XVI, 22). Et comment Jésus-Christ est-il traité parmi nous ? Ce soleil de justice, quoique toujours resplendissant d’une lumière ineffable, a perdu pour nous son éclat, les rayons de sa gloire sont obscurcis, les traits de son amour ont disparu. On ne le connaît plus, ou plutôt on ne le connaît que pour l’outrager, on tourne en ridicule ses mystères, on traite ses vérités de mensonge, sa religion de fanatisme. Il n’a plus à nos yeux rien de grand, rien d’aimable, rien de divin. Nous l’avons regardé comme un séducteur, et nous écartons comme des objets insupportables ce qui nous rappelle son souvenir. A n’en pouvoir douter, s’il était encore sur la terre, nous lui ferions endurer de nouveau les tourments et les ignominies de la Passion. Plus durs que les Juifs, nous ne souffririons pas, ô Jésus, que votre Sainte Mère vous accompagnât au Calvaire avec votre Disciple bien-aimé. Les filles de notre peuple ont eu pour vous la férocité des tigresses, et nous avons appris aux petits enfants à insulter votre nom ! Les païens n’avaient pas contre Jésus-Christ la haine des impies de nos jours. Les peuples schismatiques ou hérétiques font profession de l’adorer comme leur Dieu. Aucun ne s’est couvert de la honte de notre apostasie nationale. Et chaque jour ce sont de nouveaux excès.

Cependant, que l’on considère avec attention les biens immenses qu’apporte à tout un pays, au monde entier, la connaissance de Jésus-Christ et sa doctrine divine, et qu’on les compare aux maux sans nombre qui naissent de l’éloignement de Jésus-Christ et du mépris de sa Doctrine. Jamais temps ne fut plus propre à cette comparaison, jamais il ne fut plus nécessaire de s’y arrêter.

L’état du monde plongé dans les ténèbres du paganisme et l’état de ce même monde devenu chrétien, nous offrent sans doute les contrastes les plus frappants. Nous voyons, partout où triomphe la lumière de l’Evangile, un sol inculte devenir une terre féconde, les loups se transformer en agneaux, les plus belles vertus triompher dans des coeurs qu’infectait le vice, la paix s’établir là où régnait la haine, et les coeurs s’unir dans la vérité et la charité.

Mais le contraste que nous saisissons entre l’état des peuples éclairés des splendeurs de la foi et leur état précédent, est dans le lointain des siècles. Ce qui se passe sous nos yeux est de nature à nous frapper davantage, et d’ailleurs, si nous rapprochons le changement qui s’est accompli autrefois pour les peuples devenus chrétiens, et ce qui arrive à ceux qui abjurent le Christianisme, le contraste deviendra plus frappant encore ! Le premier changement se faisait par degrés, la plupart des habitants d’un pays avaient peu à peu embrassé le Christianisme avant qu’il y fût établi officiellement ; le second changement s’est fait tout à coup, une grande nation où Jésus-Christ était connu et adoré, en très peu de temps a renversé ses autels et méconnu sa divinité.

Dans le premier changement, les saines lumières de la raison inclinaient l’homme vers la foi, il ne faisait que se rendre aux preuves les plus convaincantes ; dans le second, il faut que l’homme étouffe les lumières de la raison et endurcisse son coeur. Dans le premier, l’homme entrait dans une région de voyait s’ouvrir devant lui la perspective d’un souverain bonheur ; dans le second, l’homme ne peut rien se promettre pour l’avenir, son espoir se réduit au néant, il n’a devant lui que ténèbres et confusion. Le païen avait des idées saines des vertus morales, et s’il n’y conformait pas sa conduite, du moins il savait les estimer, il ne les désavouait pas. Les peuples qui abandonnent le Christianisme passent de la lumière à d’épaisses ténèbres, de l’école de la divine Sagesse à ce que la folie a de plus extravagant, de la théorie, sinon de la pratique des vertus, aux dérèglements les plus abjects. Qu’on considère, encore une fois, ce que la France a été pendant plus de quinze siècles et ce qu’elle est maintenant. Le peuple français dans toute sa vie publique ne connaît plus son Dieu, et le génie malfaisant qui préside à ses démarches, profitant du pouvoir que lui laisse ce malheureux peuple, l’oblige à déchirer son propre sein, à travailler lui-même à sa ruine et à son infamie. Ceux-là mêmes qui ne savent pas faire usage du flambeau de la foi, mais qui conservent un véritable amour de la patrie et de saines notions de ce qui peut procurer son bonheur, ne peuvent manquer d’être frappés de l’irrémédiable état où la France est réduite depuis cet abandon du Christianisme. Qu’ils comprennent donc ainsi quel est le moyen tout à fait nécessaire et directement opposé au mal.

Remèdes aux maux de la Révolution

Pour se défendre des ténèbres, il faut avoir recours à la lumière, pour éviter les séductions du mensonge, il faut se couvrir du bouclier de la vérité. Il faut donc se tourner vers la religion, connaître ses dogmes avec leur divine harmonie, leur merveilleux ensemble et leur excellence, pénétrer la pureté de sa morale, la magnificence de ses promesses et la terreur de ses menaces, la force invincible de ses preuves, la multitude de ses miracles et la certitude de ses prophéties… Il n’est point à craindre qu’un esprit investi de l’éblouissante lumière que jettent tous ces objets, puisse souffrir avec indifférence qu’on veuille les lui ravir, et il ne pourra voir sans frémir d’indignation en quelles ténèbres on voudrait nous replonger.

Et puisque c’est Jésus-Christ qu’on attaque directement, puisque c’est sa connaissance qu’on veut obscurcir et, s’il se peut, extirper de l’esprit des hommes, persuadé qu’ainsi la religion chrétienne tombe nécessairement d’elle-même avec tous ses mystères : nous donc, au contraire, pour rendre ces efforts inutiles, nous devons faire une étude plus approfondie de sa connaissance. Nous devons nous pénétrer des preuves de sa Divinité, de l’admirable économie du mystère de Dieu fait homme, des prérogatives de son Eglise.

En matière de foi, c’est toujours au Siège de Pierre qu’il faut se tenir attaché, et parce que la doctrine que l’Eglise enseigne est celle qu’elle a toujours enseignée, qu’elle ne varie point, il ne faut jamais s’en départir, pour suivre, quelque motif qu’on puisse avancer, ceux qui enseignent une doctrine qui s’en écarte.

Il est donc important de faire une réflexion à laquelle il eût été à souhaiter qu’on fit plus attention : c’est que, lors même qu’on ne peut consulter l’Eglise ou son premier Pasteur, à qui l’infaillibilité est promise, il ne faut s’en rapporter aveuglément à aucune autorité particulière, parce qu’il n’y en a point qui ne puisse être entraînée elle-même et nous entraîner avec elle dans l’erreur. C’est moins à l’autorité personnelle qu’à l’autorité des raisons alléguées qu’il faut se rendre ; ce n’est pas là le cas où une obéissance aveugle peut être louable, il y faut user de discernement, comme le dit l’Apôtre : « rationabile sit obsequium vestrum » ; enfin il faut avoir plus égard à la force et an nombre des preuves et des raisons qu’au nombre des autorités particulières. Car dans les temps de trouble, où la vérité est persécutée, il arrive d’ordinaire que le plus grand nombre penche du côté qui favorise sa faiblesse, quoique le moins conforme à la Vérité.

Il faut donc consulter le Seigneur avec simplicité, dans le dessein et la ferme résolution de suivre les lumières de sa conscience, sans avoir égard à ce qui peut arriver de fâcheux, et au jugement désavantageux que les hommes pourront porter de notre conduite. Le Seigneur se plaît à éclairer une âme qui le cherche avec droiture, et les lumières d’une saine conscience s’accordent. toujours avec les décisions d’une véritable doctrine. En se conformant à ces lumières, on a vu les âmes les plus simples montrer plus de courage et de fermeté que la plupart des autres dans la défense de la Vérité.

Mais quand, ne voulant pas s’en tenir aux décisions trop onéreuses de la conscience, on consulte sans cesse de nouveaux docteurs, Dieu, en punition, permet qu’il s’en rencontre qui donnent des réponses conformes au désir de la nature ; elles servent à étourdir les cris de la conscience, mais Dieu n’est pas satisfait. Telle a été la conduite d’un grand nombre.

Ce n’est pas assez d’éclairer l’esprit, il est nécessaire d’épurer le coeur, afin que l’esprit puisse recevoir et conserver la lumière. En général, toutes les inclinations perverses qui altèrent la pureté du coeur, altèrent la pénétration de l’esprit et l’offusquent ; c’est le « privilège du coeur pur de voir dans toute sa splendeur la lumière de Dieu ». Deux vices, plus que tous les autres, ont plongé notre siècle dans les ténèbres, ce sont l’orgueil et l’impureté.

L’orgueil a la plus grande opposition avec la lumière divine, parce qu’il est fondé sur le mensonge et ne peut subsister que dans les ténèbres. La lumière divine, qui n’est autre chose que la Vérité, nous fait voir que grandeur, bonté, sagesse, toutes perfections, sont en Dieu seul ; elle nous incline à nous tenir dans la dépendance de Dieu, à lui rapporter tout honneur et à ne nous préférer à personne. Tout homme qui se complaît en lui-même, qui s’estime et veut être estimé, qui veut s’élever au-dessus des autres,en un mot tout orgueilleux, a de l’éloignement pour une lumière qui le condamne ; il ferme les yeux à toute vérité humiliante, ne peut souffrir de joug et affecte l’indépendance. La religion lui montre des supérieurs qui lui représentent l’autorité de Dieu, il ne peut la souffrir ; Jésus-Christ lui prêche l’humilité, son nom lui devient odieux. Le souvenir de Dieu lui rappelle son néant, il voudrait l’effacer, et en vient à souhaiter anéantir Dieu, en quelque sorte, afin d’être son Dieu à lui-même et de tout rapporter à lui. Telle est la marche de l’orgueil, et c’est ainsi qu’il se précipite dans toutes les erreurs.

Pharaon disait à Moïse : « Qui est le Seigneur pour que j’obéisse à sa voix ? Je ne connais pas le Seigneur » Les impies de nos temps ne parlent pas d’une autre manière. On dirait qu’ils peuvent disposer à leur gré les événements et ni leurs défaites, ni leurs malheurs, ni l’expérience journalière de leur faiblesse, ne sont capables de leur ouvrir les yeux. Un tel aveuglement est précisément la punition de cet orgueil qui naît du mensonge.

L’orgueil est le caractère propre de ces sectes, qui sont parvenues à renverser parmi nous l’édifice de la religion et la forme du gouvernement qui depuis quatorze siècles y avait fleuri. Jamais homme livré à l’impiété n’a plus que ceux-ci vérifié cette parole : « Ils rejettent avec mépris toute domination et blasphèment tout ce qui porte quelque empreinte de la Majesté divine ».

Pour n’être point entraîné dans leurs voies, il faut aimer et suivre cette lumière de vérité qui montre à l’homme son néant, le porte à faire à son Dieu l’hommage de lui-même et le détourne de s’élever au-dessus des autres. Une conduite si contraire au mensonge attire la bien veillance du Dieu de vérité et garde l’âme de I’erreur.

Comme l’orgueil, le vice de la chair intercepte la lumière céleste, mais non pas par la même voie. L’orgueil le fait en fixant les regards de l’homme sur sa propre excellence, le vice impur en lui faisant oublier sa grandeur et sa noblesse. Si quelquefois des rayons d’En-Haut viennent percer l’épaisse gangue dont l’âme s’est enveloppée, c’est une lumière im portune dont elle cherche à se délivrer en se plongeant plus avant dans la dissipation et dans le vice. Si la foi réveille ses craintes, le voluptueux les traite de préjugés d’enfance, et trouvant, dans les systèmes de l’impiété la justification de ses chaînes, il se jette dans ces systèmes et pense ainsi faire taire ses remords. Un siècle où règnent les bonnes moeurs n’est pas un siècle d’incrédulité. C’est le libertinage qui a frayé chez nous le chemin à son règne.

Les agents de la Révolution destructive, en présentant au peuple la doctrine infernale de leur liberté, ont lâché la bride à ses passions, secondé et encouragé son penchant pour le vice, rompu les barrières et fait disparaître la honte qu’un reste de pudeur opposait aux inclinations les plus basses. Et cela, tandis qu’ils repaissaient son orgueil, en montrant à ses yeux le fantôme de l’égalité, et détruisaient toute subordination. Dès lors, il n’était plus difficile de substituer le mensonge à la vérité et les superstitions les plus monstrueuses à la pure religion de Jésus-Christ. II faut donc ramener le peuple à sa conscience, ce juge intérieur que le Souverain Maître a établi dans le coeur de chacun. Si la raison et les moeurs reprennent quelque empire, ce ne sera pas sans le secours de la religion de Jésus-Christ et des moyens puissants qu’elle offre pour surmonter les passions et faire aimer la vertu, en particulier l’usage des Sacrements.

Le devoir aux jours de persécution sourde

Nous supposons qu’il y aura quelque interruption aux maux de la présente révolution (et cette supposition s’appuie sur l’étude des Saintes Lettres). Mais parce que le mal est monté à un tel point que, sans une intervention merveilleuse de Dieu, et telle qu’il n’y en a point eu d’exemple, notre pays ne pourrait se relever ; parce que cette interruption ne semble pas prochaine et paraît devoir être accordée en vue de la conversion des Juifs et des peuples infidèles, nous n’en parlerons point comme d’une chose certaine. Avant de proposer aucune vue à ce sujet, nous allons exposer ce qui paraît convenir au cas où il ne viendrait point un ordre de choses favorable à la religion.

Dans les temps de persécution moins violente, alors que cependant la religion et ceux qui la professent demeurent dans un état d’oppression et de souffrance, plusieurs choses sont nécessaires entre toutes.

Pour maintenir dans le peuple chrétien l’ordre et la pureté de la foi, l’uniformité dans la conduite, et pour procurer aux fidèles secours et consolation, le maintien de l’ordre hiérarchique est chose capitale. C’est par là que la religion se soutient et se propage dans un pays ; et rien ne pourra contribuer davantage à restaurer parmi nous le règne de Dieu et à sauver la foi d’un grand nombre. Le zèle de nos Évêques leur fera, s’il le faut, mépriser le danger comme les incommodités d’une vie pauvre, telle que celle des premiers disciples de Jésus-Christ. Et de leur côté les fidèles se croiront obligés, par amour pour la religion, de pourvoir à leurs dépens et même au risque de leur vie, à tout ce qui est nécessaire pour que puisse s’exercer le ministère pastoral.

Un soin non moins important sera de procurer à ce malheureux pays un nombre suffisant de prêtres, et il ne saurait y avoir oeuvre plus essentielle que de ménager aux aspirants du Sacerdoce les moyens de s’y préparer parfaitement. Il faudra encore que tout soit fait pour entretenir et accroître dans le clergé, et aussi parmi les fidèles, le zèle du salut. Un chrétien, et surtout un prêtre, doit être prêt à se sacrifier pour le bien spirituel de ses frères, surtout quand les nécessités sont plus urgentes. S’ils n’ont pas le courage de le faire, ils se rendent responsables devant Dieu d’une suite de maux qu’avec un peu plus de zèle ils pourraient arrêter. Que ceux-là se hâtent qui s’y sentent plus fortement attirés de Dieu, car les premiers à donner l’exemple méritent une plus glorieuse couronne. Mais qu’ils ne se proposent pour fin que la gloire de Dieu et s’attendent à la souffrance. Il faut que leur courage soit tel qu’il augmente à mesure que se multiplient les obstacles, et qu’il se fortifie dans l’abandon total. Ceux qui se proposeraient des vues humaines et chercheraient le repos ne seraient pas propres à l’oeuvre de Dieu. Il y faut des ouvriers qui comptent uniquement sur Dieu et, sans souci des choses visibles, aient les yeux constamment tournés vers les éternelles. L’entreprise est grande, mais les secours d’En-Haut seront plus grands encore et, quel qu’en soit le succès, il ne peut être que très heureux pour ceux qui s’y dévouent. Et ce n’est pas assez de travailler pour la génération présente, il faut aussi songer aux générations futures pour leur préparer des moyens de salut.

On ne saurait trop recommander aux fidèles de veiller constamment à l’éducation de leurs enfants. C’est de ce soin que dépend la conservation du dépôt de la foi, et sans ce soin tous les autres deviendraient inutiles. Ce soin doit s’étendre sur tous les enfants de l’un et de l’autre sexe, depuis le plus bas âge jusqu’à ce qu’ils soient entièrement formés.

Il faut les instruire à fond des vérités et des preuves de la Religion chrétienne, et ne pas se contenter d’une instruction superficielle et de routine, comme on ne l’a fait que trop ; il faut que les enfants, suivant la portée de leur âge et de leur esprit, puissent sentir quelque chose de la beauté, de la sublimité, de l’accord admirable et de l’excellence de toutes les vérités chrétiennes, et concevoir en même temps combien est déplorable le sort et l’aveuglement de ceux qui rejettent ces vérités, pour embrasser le mensonge. Tous ceux qui, parmi les fidèles, auront quelques talents, ne pourront les employer d’une manière plus utile à la Religion et plus agréable à Dieu, qu’en les faisant servir à instruire la jeunesse et à lui inspirer des sentiments chrétiens, qui puissent la préserver de la corruption et de l’incrédulité du siècle.

Ce serait chose de grande conséquence, et bien désirable, qu’il n’y eût parmi nous qu’une même façon de voir, de parler, d’agir. Cela se réaliserait si tous restaient constamment attachés aux vrais principes, qui ne varient point et qui sont les mêmes pour toutes sortes de personnes. Mais comment l’espérer puisque, dès la naissance de l’Eglise, Saint Paul se plaignait que parmi même les ministres de l’Evangile, il y en avait un grand nombre qui le molestaient, qui préféraient leurs propres intérêts à ceux de Jésus-Christ et qui adultéraient la parole de Dieu.

La faiblesse, les sentiments humains, une fausse compassion, l’exemple, le poids de l’autorité de personnes elles-mêmes tombées dans l’erreur, détournent un grand nombre des vrais principes et les entraînent dans des écarts dont ils ont bien de la peine à revenir.

Ce que doivent faire alors ceux qui sont dans la pleine voie de la vérité, c’est de supporter patiemment ceux qui s’égarent, de ne point rompre l’unité tandis que l’Eglise ne les a point condamnés et que leur erreur n’est pas telle qu’elle conduise manifestement les âmes au précipice. Mais la condescendance des amis de la vérité ne peut pas aller jusqu’à conniver à une doctrine erronnée et pernicieuse ; ils en doivent détourner le plus d’âmes possible ; ils doivent répandre la véritable lumière, confondre le mensonge et l’illusion ; tout cela en esprit de douceur et de charité, avec soin d’excuser le prochain et d’user d’indulgence envers ceux qui témoignent le désir de revenir à la vérité.

Les vrais principes se reconnaissent à ceci : ce sont ceux qui dans tous les temps ont été enseignés par l’Eglise catholique, ceux qui sont conformes à la doctrine du Souverain Pontife, ceux qui sont appuyés sur des raisons solides et lumineuses.

Ceux qui ne se tiennent point aux vrais principes prennent pour règle leur faiblesse ; leurs craintes, des exemples ou des décisions favorables à la nature. Le mal qui en résulte est incalculable ; on a trempé par là dans ce qui s’est fait de plus pernicieux, et, sans le prétendre, on a secondé les efforts des ennemis de la religion. Une conduite ferme et courageuse aurait, en partie, arrêté la contagion. La plupart ont erré par faiblesse plus que par malice. Puissent-ils reconnaître leur erreur. Nous aimons à les excuser autant que possible, et avec quelle joie nous les verrions revenir sur leurs pas et les aiderions à réparer le tort qu’ils se sont fait à eux-mêmes, et qu’ils ont fait aux fidèles, en s’éloignant. de la rectitude évangélique.

Que le passé serve à nous instruire ; l’ennemi ne cessera pas de nous tendre des pièges, de joindre la ruse à la force, afin de tromper par la séduction ceux qu’il désespère de vaincre par la crainte. Soyons très persuadés que l’unique moyen de nous préserver de ses embûches est de faire avec courage, selon les occasions, une profession ouverte de notre attachement à la religion, en acceptant d’avance et même regardant comme un grand bien tout ce que cette profession peut nous attirer de pénible.

Vertus nécessaires dans les temps troublés

Dans un temps où l’Eglise n’est pas moins en butte à la fureur de ses ennemis que dans les premiers âges, il ne faut pas une moindre vertu dans ses enfants ; une vertu médiocre ne saurait leur suffire pour rester disciple de Jésus-Christ ; ils ont besoin de grâces plus grandes, de lumières plus vives à mesure que se multiplient les ennemis visibles et invisibles dont ils doivent partout se garder. La fin que ceux-ci se proposent étant évidemment mauvaise, ils seraient trop faibles s’ils ne s’armaient de mensonge. Enfants de l’ancien serpent, ils en imitent les replis, ils s’enveloppent dans des termes qui ne présentent au premier aspect rien de bien mauvais, et se servent d’équivoques comme de filets pour s’attacher les imprudents. Il faut encore un grand discernement pour reconnaître, parmi ceux qui jouissent de quelque réputation de science et de piété, ceux qu’il faut consulter, quel degré de confiance ils méritent et jusqu’où doit aller la déférence à leurs avis. Faute de cela, plusieurs en suivant aveuglément des guides aveugles sont tombés avec eux. Pour les choses mêmes qui portent assez ouvertement l’empreinte du mal ou du mensonge, l’autorité de quelques-uns qui les embrassent ou les défendent, l’exemple du grand nombre, la crainte de se singulariser, tout porte à se faire des illusions. On commence par douter, ce qui paraissait vérité certaine ne semble plus que problématique, et on finit par adopter ce qui d’abord faisait horreur.

La lumière divine et une grande lumière, un secours très puissant, peuvent seuls nous mettre à couvert de tels dangers. Que faire pour obtenir ces vives lumières, ces grâces fortes et abondantes ? Dans des temps où la Justice de Dieu est provoquée par une plus débordante mesure de crimes, il est selon les règles de l’équité que nous fassions de notre côté ce qui dépend de nous pour satisfaire cette divine Justice, et nous ne pouvons espérer que Dieu nous distingue par des effets particuliers de sa miséricorde, si nous-mêmes ne nous distinguons à son service par une fidélité plus généreuse.

La gloire de Dieu, la charité pour le prochain nous y excitent. Si avec une vertu commune il est possible de nous sauver, nous ne sauverons pas les autres. Il faut que par une vie plus sainte nous acquerrions un plus grand crédit auprès de Dieu, que ferveur et confiance donnent poids à nos prières, et que par un généreux mépris de la vie et de tout ce que le monde estime, nous attirions les miséricordes du Seigneur. Un acte de zèle de Phinée obtint le pardon du peuple ; Aaron, l’encensoir à la main, arrêta la vengeance divine ; cinq justes auraient préservé Sodome. Certaines vertus sont plus particulièrement nécessaires dans les temps de persécution, pour les traverser sans faiblir. Et d’abord cette pauvreté d’esprit qui est si fort recommandée dans le Saint Evangile. Bien que le renoncement de coeur aux choses de la terre soit seul exigé de tous les Chrétiens, il est des circonstances où le renoncement effectif devient nécessaire. La chose était très fréquente dans ces premiers âges de l’Eglise, où les fidèles se voyaient menacés de perdre leurs biens et d’être réduits à la dernière indigence, s’ils n’adoraient les idoles. Nous voici maintenant dans un âge où l’esprit de pauvreté sera plus nécessaire qu’il ne l’a été depuis bien des siècles. La raison en est évidente, nous avons déjà sous les yeux les prémices des sacrifices nécessaires. D’un autre côté, combien qui se disaient chrétiens se sont rangés sous l’étendard de l’impiété, par crainte de pertes temporelles, l’amour de leurs biens dominant leurs coeurs. Il est donc très nécessaire d’entretenir un sincère mépris de ces biens qui ne rendent pas l’homme plus grand ; de les posséder sans attache, ce qui demande qu’on sache s’exercer à la privation ; d’en user avec sobriété et sans se rendre esclave de ses aises ; de savoir, quand il le faut, s’en occuper sans sollicitude inquiète, et d’être prêt à s’en séparer sans regret. Ces biens sont comme la toison des brebis, dont il est bon qu’elles soient déchargées quand elle devient trop forte. Pour le chrétien qui comprend et embrasse le trésor de la Pauvreté évangélique, le monde n’a plus les mêmes dangers et il remportera dans la tentation de glorieuses victoires.

Il ne lui faudra pas moins de mépris du monde et de ses honneurs, s’il veut rester libre et fort en face de la séduction ou de l’épreuve. Il est vrai cependant que élévation, honneurs, dignités, sont, par rapport à plusieurs, tout à fait dans l’ordre de Dieu. C’est une chose nécessaire au maintien de toute société soit civile, soit spirituelle, et par cette raison, nous ne pouvons douter que la divine Providence n’en ait destiné plusieurs parmi les hommes pour les placer au-dessus des autres, et qu’elle ne leur ait préparé les grâces dont ils ont besoin dans cette élévation. On peut donc accepter honneurs et dignités, quand c’est la Providence qui les présente, comme un moyen de procurer sa gloire et de servir les autres hommes. Mais afin de n’être point trompé par un orgueil secret et de ne pas prétendre à des honneurs qui seraient cause de notre perte, il ne faut ni les rechercher ni les désirer, il faut les craindre.

Ce que nous venons de dire, doit s’entendre spécialement de ces temps et de ces pays où règne la religion chrétienne ; le même ordre de Providence n’a pas lieu, du moins pour ce qui regarde le salut et par rapport aux emplois du siècle, dans ces temps et ces pays où règnent l’impiété, le schisme ou l’hérésie. Le Seigneur abandonne à leur sort les pays qui l’ont tout à fait abandonné, et l’ont comme forcé de les laisser à eux-mêmes et de retirer d’eux les soins d’une Providence spéciale. Jamais il ne s’éloigne entièrement d’eux ; il veille, mais comme cause première, comme moteur universel, et dans l’ordre de la nature. Parce qu’ils ont fui la lumière, Il permet que, tombés dans les ténèbres, ils ne s’en aperçoivent même pas. On ne doit donc plus croire qu’il y ait des grâces spéciales et d’un ordre surnaturel, pour les emplois et les dignités, dans ces pays où le Christianisme sera persécuté, et qui seront livrés à l’erreur ou à l’oubli de toute religion. Les puissances de ténèbres, par un châtiment de la Justice divine, présideront à la forme de gouvernement qu’on y adoptera ; en conséquence toute la machine n’aura pour but que d’introduire et de faire régner la corruption et l’incrédulité. Les emplois n’y seront donnés qu’à ceux qui porteront « le caractère de la Bête » ; pour y être admis, il faudra faire profession d’impiété ou coopérer à toutes sortes d’injustices. C’est ce que nous avons déjà vu, c’est ce qui se verra encore.

Dans ce siècle ténébreux, qui cependant se vantera d’être un siècle de lumières, il y aura beaucoup d’hommes charnels et sans aucune notion des choses divines. Ceux-là sont les adorateurs du monde. A nous de nous garder de cet esclavage, en restant purs de toute ambition, comme de toute attache aux biens du monde et de toute recherche de ses plaisirs.

Luttes de l’Eglise et erreurs modernes.

De la méditation des prophéties de l’Ancien et du Nouveau Testament, il résulte plusieurs choses très propres à nous éclairer et à ranimer notre courage.

Loin de nous scandaliser, ce qui se passe sous nos yeux dans ces temps ne doit nullement nous surprendre ; il n’arrive rien que ce qui a été annoncé par les Serviteurs de Dieu, ses prophètes.

L’Eglise de Jésus-Christ devait être abandonnée, opprimée et persécutée par ces mêmes nations qui, pendant des siècles, se sont fait gloire de l’avoir pour Mère et pour Maîtresse.

Les maux que souffre l’Eglise seront vengés, en dépit de la folle prétention de ses ennemis de rendre vaines les promesses divines, et les gouvernements qui croiront détruire l’Eglise travailleront à sa gloire, mais à leur propre ruine.

Enfin, malgré le pouvoir plus grand laissé aux puissances des ténèbres, Dieu mettra un frein à leur fureur et il y aura une interruption dans l’exécution de leurs desseins. Mais à en juger par ce que nous voyons, il semble bien que cette interruption n’aura lieu qu’après un assez long espace de temps, et après bien des ravages causés parmi plusieurs peuples.

Nous avons vu une première épreuve, dans laquelle nos premiers pasteurs ont repoussé presqu’à l’unanimité, ce qu’on proposait de contraire à la fidélité due au Seigneur et à son Eglise.

Une seconde épreuve sera plus terrible encore, lorsque des chrétiens devenus infidèles ne se contenteront pas de renoncer à quelques points de la religion catholique, mais les attaqueront tous à la fois. Quelque désirable qu’il soit que ceux qui alors garderont le dépôt de la foi aient tous une égale constance, une parfaite unanimité, on ne peut l’espérer tout à fait. Le nombre de ceux qui résisteront sera néanmoins considérable.

Les Souverains Pontifes ne se borneront pas à exhorter vivement et d’une manière touchante ces incroyants, qui paraîtront tenir encore extérieurement à l’Eglise, mais ils lanceront contre eux l’anathème, parce que l’Eglise, qui aura longtemps souffert ces membres gangrenés, voulant préserver ses autres enfants d’une contagion d’autant plus dangereuse qu’ils sont exposés à être trompés par l’extérieur d’un même culte, sentira la nécessité de rejeter ceux qui s’obstineront dans leurs erreurs. Le Pape, éclairé d’une lumière céleste, fulminera contre eux des oracles…

Il faut observer aussi que le premier usage que les démons font actuellement de leur plus grand pouvoir, le premier moyen dont ils se servent pour faire mourir les hommes d’une mort spirituelle et les entraîner ensuite dans la mort éternelle, c’est de les priver, autant qu’il dépend d’eux, de tout secours spirituel. Ils ne peuvent rien directement sur ces secours intérieurs que Dieu donne par lui-même, mais ils espèrent en interrompre le cours en ôtant à l’âme les moyens extérieurs de salut, en coupant ces canaux ordinaires par lesquels Dieu se plaît à répandre ses grâces. Ces moyens sont les Sacrements, la parole de Dieu, la hiérarchie ecclésiastique, l’éducation chrétienne.

Mais la mort spirituelle que ces mauvais génies prétendent donner aux hommes a encore un autre et terrible sens : il s’agit d’une mort spirituelle absolue, telle que dans le cours ordinaire de la grâce elle ne laisse aucun germe de vie. Les chrétiens pécheurs conservent en général la foi et l’espérance, qui peuvent les rappeler à la vie. Ceux mêmes qui se sont séparés de l’Eglise ont encore quelque ressource dans la croyance, quoique seulement naturelle, à certaines vérités révélées ; mais la mort spirituelle qu’en ce temps les démons s’efforceront de donner aux hommes, consiste à leur ôter, autant qu’il se peut, toute possibilité de retrouver la vie surnaturelle, par le renoncement général à toutes les vérités révélées, et en particulier à la divinité de Jésus-Christ.

Pour mieux perdre les hommes, ces esprits mauvais sembleront se mettre à leur service et favoriseront tous leurs penchants. Bien que leur intention perverse ne doive jamais être entièrement remplie, cependant elle le sera en trop grande mesure.

En un autre endroit, notre auteur, revenant sur l’action des démons dans le monde, particulièrement à notre époque, parle aussi du rôle de ceux qui se font leurs suppôts. Le passage que nous allons citer s’inspire de quelques versets de l’Apocalypse, Ch. IX, 16-19.

« L’armée équestre était de myriades de myriades. J’en entendis le nombre ». On ne doit pas s’étonner du nombre de ces légions représentées sous la figure de l’armée équestre, parce que, vu la facilité donnée à l’homme d’opposer sa volonté aux efforts de l’enfer et les nombreux secours qui lui sont accordés pour cela, il faut pour le combattre le concours d’un grand nombre d’esprits malins, même à l’égard d’un seul homme.

Ce sont ces démons eux-mêmes qui sont représentés sous la figure de chevaux, parce que pour perdre les hommes ils semblent se mettre à leur service et leur obéir. Mais ici ce n’est pas le cavalier, c’est la monture qui mène où elle veut. « Leur force est dans leur bouche », est-il dit, et c’est la troisième fois qu’il en est fait mention, répétition qui a pour objet de nous inculquer que les démons n’ont d’autre moyen de nous nuire que la persuasion. Mais comme leurs suggestions intérieures n’agiraient pas sur la multitude, ils se servent d’hommes qui leur sont livrés et dont l’éloquence entraîne le peuple, accrédite le mensonge et souffle la haine. Ces hommes peuvent à juste titre être regardés comme la bouche et l’organe des esprits de ténèbres.

Le même texte ajoute que leur puissance est aussi « dans leurs queues, car ces queues, semblables à des serpents, ont des têtes par lesquelles elles nuisent ».

Ces queues nous représentent des hommes attachés aux esprits de malice et en recevant le mouvement, sans leur être unis aussi étroitement que ceux qui sont figurés par la bouche, et sans être animés de la même haine. Ce sont des subalternes qui exécutent aveuglément les ordres, quelqu’injustes qu’ils puissent être. Ce sont des hommes tenus en esclavage, par Ia crainte de perdre des biens ou par l’ambition des honneurs. Ce sont des gens semblables à des serpents, parce qu’ils en ont la souplesse pour se rendre utiles et agréables à leur parti, se prêtant à tout et prenant toutes les formes, se repliant en sens divers. Ces queues ont des têtes, parce que le mal qu’elles ont ordre de faire, elles s’y portent de leur plein gré, et qu’elles applaudissent à tout le mal qui se fait (c’est ainsi qu’elles sont nuisibles, et sans elles les esprits de ténèbres ne viendraient pas si facilement à bout de leurs desseins).

Devoirs envers la Vérité

Il se trouve toujours, même au sein de l’Eglise, des hommes qui se rapprochent du monde et de la manière de penser du monde, des hommes qui font consister leur force d’esprit à contester les vérités les plus plausibles quand elles ne sont pas selon le goût du monde ; il y aura donc des fidèles qui, sans examen, se conformeront au jugement des sceptiques et des propagateurs d’incrédulité. Plusieurs même de ceux qui d’abord se sont montrés défenseurs de la vérité, et dont l’opinion entraîne celle du grand nombre, deviendront partisans du mensonge.

Les fidèles doivent toujours se souvenir de la haine que Dieu a pour l’erreur, et se tenir en garde contre les sentiments des incrédules, sachant bien qu’ils sont guidés par l’esprit de ténèbres. Quand surtout des systèmes impies dominent, combien de fois ne se croit-on pas comme forcé, par une lâche et molle condescendance, de trahir les intérêts de la foi ? Le remède à ce mal est une foi sincère, une humilité véritable et le mépris du monde.

Un autre danger est d’abandonner une vérité après l’avoir reconnue, par la crainte du mal auquel on s’expose en la défendant. Qu’on réfléchisse bien que défendre une vérité, surtout quand elle touche à la foi, c’est défendre la cause de Dieu ; l’abandonner, c’est s’éloigner de Dieu pour se ranger du côté du Père du mensonge. C’est toujours quelque chose de grave et dont les conséquences sont funestes : une première faute en attire une seconde, et tel croyait n’avoir à se reprocher qu’un faux pas qui se voit en peu de temps entraîné dans un abîme. Il faut donc être dans la ferme détermination de ne jamais reculer dans tout ce qui concerne la vérité, et de compter pour rien son repos, ses intérêts, sa vie même, quand il s’agit de la défendre.

Un autre danger encore, qui regarde ceux qui se seraient préservés des deux premiers, ce serait de suivre aveuglément les autorités particulières qui, dans des temps de troubles et de persécution, penchent la plupart, pour l’ordinaire, du côté qui favorise la nature quoiqu’opposé à la vérité. Qu’on s’en souvienne bien, la vérité demeure toujours la même, elle ne varie pas avec les circonstances ; ce que dans un temps on a vu être vrai n’a pas cessé de l’être, quoique tels ou tels aient changé de sentiment ; il faut s’en rapporter à ce qu’on pensait lorsque rien n’offusquait le jugement, et non aux doutes survenus depuis que des motifs terrestres et des craintes humaines ont ôté à l’entendement une partie de sa force et de sa liberté. Qu’on pèse les raisons de ceux dont l’opinion tient les esprits en balance, plutôt que leur nombre, et ces raisons se trouveront bien faibles. D’ailleurs leur autorité s’éclipse et disparaît devant celle de l’Église et du Souverain Pontife.

L’Église devant subsister jusqu’à la fin des siècles, ne pouvait se maintenir sans un chef visible, et ce chef visible, pour être utile à l’Église, devait avoir tous les privilèges conférés à Pierre. La plénitude de sa puissance, de son sacerdoce, de sa juridiction, est l’émanation la plus parfaite de celle de Jésus-Christ. L’Esprit de sainteté et de vérité qui le dirige dans le gouvernement de l’Église lui communique, autant qu’il est nécessaire, son infaillibilité, pour qu’il n’induise le troupeau de Jésus-Christ dans aucune erreur soit pour le dogme, soit pour la morale. Les lettres et les décisions qui émanent du Souverain Pontife pour le gouvernement et le bien universel de l’Église s’adressent à tous les temps et aux hommes de tous les pays. L’Esprit Saint y préside, et jamais il n’a permis qu’il s’y soit glissé rien de contraire aux vérités révélées ni aux principes de la morale, jamais il ne le permettra. Leur autorité suffit pour terminer toutes les controverses.

Motifs d’espérance

Pour relever le courage de ceux qui demeurent fidèles, il faut leur rappeler les promesses divines dont l’accomplissement sera entremêlé aux calamités des derniers siècles.

L’alliance de J.-C. et de son Église est éternelle, il sera toujours avec elle comme Dieu de vérité et de sainteté, il l’a établie sur Pierre et ses successeurs comme sur un roc inébranlable. Les marques distinctives de la véritable épouse de J.-C. subsisteront toujours en elle. Le sacrifice de l’autel s’offrira toujours et les aigles, les vrais fidèles, se rassembleront autour du Corps de l’Homme-Dieu. La Chaire de Pierre restera toujours leur point de ralliement, et quelque grande que devienne la perversion, elle ne sera pas telle que Dieu ne conserve encore en chaque pays des fidèles, des prêtres et des pontifes. Quand des nations se séparent d’elle, l’Église pleure cette défection, mais elle ne cesse pas d’être la mère d’un grand nombre d’enfants.

J’ajoute que l’extinction des sectes hérétiques et schismatiques d’une part, et de l’autre la confusion et les absurdités où tomberont les nations qui auront apostasié la religion chrétienne, ne serviront pas peu à distinguer glorieusement la sainteté de l’Église de J.-C.

Cette ignorance profonde, ces ténèbres en quelque sorte palpables et sensibles à tous ceux qui veulent faire usage de la simple lumière de la raison, et joint à cela, les moeurs cyniques, l’impudence et le désordre qui caractériseront ces peuples à mesure qu’ils s’éloigneront davantage du Soleil de Justice, toutes ces choses seront un antidote contre les scandales de ce temps.

Lorsque l’Église fait quelques pertes, Dieu daigne les réparer souvent d’une manière éclatante. C’est ce qui doit arriver au temps de la Révolution générale. Jamais les pertes de l’Eglise n’auront été plus grandes, elle sera en quelque sorte réduite à l’état où elle était à l’heure de la Passion du Sauveur, mais ce sera pour reparaître avec un nouvel éclat et propager plus loin qu’auparavant l’empire de J.-C. Sa jeunesse sera renouvelée, et l’Esprit-Saint répandra sur elle une plus grande abondance de dons. Les Juifs ouvriront enfin les yeux à la lumière, ils adoreront Celui qu’ils ont si longtemps méconnu, et devenus les apôtres de la divinité de J.-C., ils la publieront chez les nations infidèles, de sorte que jamais l’Église n’aura été si étendue. Un grand nombre de ses enfants seront éminents en sainteté, et leur courage paraîtra surtout quand viendra le jour où il faudra qu’ils souffrent une cruelle persécution.

Des conditions d’un relèvement durable

Des devoirs d’un gouvernement catholique

2 juillet 1794.

Nous espérons que Dieu, par un effet signalé de sa miséricorde, mettra une interruption aux maux de la révolution antichrétienne, quoique le temps paraisse en être assez éloigné, et nous supposons ici que la Providence rétablira parmi nous, de la manière qu’il lui plaira, un gouvernement catholique. Celui-ci aura de grands devoirs à remplir, car si le gouvernement civil n’était bien réglé, le gouvernement ecclésiastique n’aurait pas la liberté d’action nécessaire. Pour le bien de la chose publique comme pour rendre à la religion sa splendeur, il faut que ces deux pouvoirs s’aident mutuellement et s’appuient de l’autorité qui est propre à chacun. Tout ce que nous envisagerons ici suppose cet accord.

Nous ne portons nos vues que sur ce qui concerne la religion, il n’est pas de notre ministère de traiter des affaires purement civiles et politiques, et nous devons nous accommoder, pour notre conduite extérieure et selon les règles de la prudence chrétienne, aux changements qui, par une conduite particulière de la Providence, arrivent dans les états où nous nous trouvons. Bien des raisons portent à croire que la forme du gouvernement serait à peu près celle que nous avions avant la révolution et que la famille royale serait rétablie dans ses droits. Mais Dieu est le Souverain Maître de toutes choses, il dispose à son gré des sceptres et des empires et il donne aux peuples tels maîtres qu’Il juge à propos ; et comme la religion apprend aux peuples à recevoir de la main de Dieu le gouvernement légitimement établi, elle-même ne voit que la Volonté divine qui règle sa conduite et fixe, selon la diversité des pays et des circonstances, ses rapports avec l’autorité civile. Quoique peut-être il y ait des gouvernements dont la forme s’accommode plus aisément avec celui de l’Église, il n’en est point cependant auquel elle ne puisse se faire. Nous ne préviendrons donc pas les insondables jugements du Seigneur, et nous ferons ici abstraction de la forme du gouvernement.

Quel qu’il soit, dès lors que nous nous le supposons non seulement chrétien, mais encore catholique, il doit, avant toutes choses, se proposer pour fin la fin que Dieu Lui-même se propose, qui est sa propre gloire, celle de J.-C. et l’avantage de son Église ; et de cette première fin résulte le bien spirituel des peuples ; la seconde fin d’un gouvernement catholique, fin qui lui est commune avec tout autre gouvernement, c’est le bonheur temporel des peuples. Il serait facile de démontrer que le meilleur moyen de procurer cette seconde fin, c’est de ne pas perdre de vue la première ; l’histoire fournit des preuves évidentes de cette vérité, et la raison même le montre au grand jour, puisque le bonheur des peuples dépend nécessairement de Dieu, et que le soin de ce qu’ils doivent à Dieu rend les peuples et ceux qui les gouvernent plus éclairés et plus vigilants dans le soin de leur propre gloire et de leur véritable bonheur.

Dans un ouvrage tout consacré à la religion, nous ne considérerons que le premier objet, le bien spirituel des peuples, inséparable de la gloire de Dieu et de l’avantage de l’Église. Et comme tout cela dépend entièrement du rétablissement et de l’affermissement de la religion en France, nous examinerons ce que doit faire pour cela le gouvernement.

Quand il s’agit de rétablir l’ordre dans un État, après une grande et terrible secousse, qui a tout renversé, tout changé, il faut y procéder avec beaucoup de circonspection, pour ne point irriter des esprits accoutumés à la licence et ne pas donner aux mal intentionnés, toujours nombreux surtout en ces sortes de circonstances, l’occasion de réveiller des troubles seulement assoupis. Cette maxime de prudence devra sans doute guider celui ou ceux qui tiendront les rênes du gouvernement. Ils ne pourront d’abord tenter de faire tout le bien que permettrait une situation paisible et bien établie. C’est seulement pour faire le mal qu’on ose tout braver, parce qu’on est déterminé à ne garder aucune mesure et à mettre en oeuvre les moyens les plus illicites.

Quelle que doive être la circonspection de ceux qui gouvernent, il n’est pas douteux que leur premier soin doit être d’attirer sur eux et sur le peuple la protection divine. On ignorerait étrangement les premiers principes de toute politique chrétienne, si on n’était pas intimement persuadé que tout homme à la tête d’un gouvernement quelconque, doit d’abord se proposer de se rendre favorable Dieu, le Souverain Seigneur. Mais ce devoir, commun à tous les peuples et à tous les temps, acquiert une nouvelle force dans les circonstances dont nous parlons. En effet, un grand changement en faveur de la religion ne pourra se faire sans que les peuples, revenus comme d’un sommeil léthargique, reconnaissent l’aveuglement et le précipice où ils se sont laissés entraîner. Voyant enfin dans quels maux ils sont tombés, ils comprendront la nécessité de se tourner parfaitement vers Dieu, et les miséricordes dont Il les aura prévenus leur feront sentir plus encore cette obligation…

Avant l’effroyable exemple que notre nation en a donné, on n’avait point encore vu de peuple chrétien renoncer au christianisme et faire une profession publique d’irréligion ; plusieurs avaient abandonné la foi en rejetant quelques-uns de ses dogmes, mais ils protestaient encore de leur respect pour la personne adorable de Jésus-Christ. Nous avons porté l’impiété beaucoup plus loin, et si nous revenons à la lumière de la Vérité, nous devrons confesser que le Seigneur a usé envers nous de sa plus grande miséricorde, d’une miséricorde dont les siècles passés n’offrent pas d’exemples. On n’a point encore vu de peuple revenir à l’Église après être sorti de son sein par l’hérésie, quoique ce crime soit moindre que le nôtre 1.

Une faveur si grande ne le sera pas moins par la manière dont elle nous sera faite. Dieu pourrait se servir des moyens humains, il le fait d’ordinaire, même dans le cours des choses surnaturelles, et ses plus grandes faveurs semblent le plus souvent être amenées par la suite des événements naturels. Nous ne croyons pas cependant qu’il en use seulement ainsi avec nous ; du moins tout ce que nous avons vu porte à le conjecturer. Rien dans cette révolution n’a été selon le cours ordinaire des choses humaines ; les projets les plus mal concertés ont réussi au gré des impies ; avec les moyens les plus faibles et les mesures les plus contraires à toute saine prudence, ils sont venus à bout de renverser ce qu’il y avait de plus fort, tout a tremblé devant eux. L’action des puissances de ténèbres a été sensible, le secours divin le sera aussi ; et quoique nous ignorions de quelle manière et en quel temps il se manifestera, nous sommes portés à croire que ce sera d’une manière telle qu’on ne pourra pas méconnaître les effets de la puissance divine, et que tous seront unanimes à s’écrier qu’un tel changement n’a pu être que l’œuvre de Dieu. Dans le temps même où, persuadés que rien ne peut leur résister, ils se porteront à de plus grands excès contre la religion de J.-C., les impies se verront confondus ; les fidèles, qu’on regardait comme anéantis, relèveront la tête et seront pleins de courage et de force. C’est d’après cette supposition que nous parlons.

II y a lieu de penser que l’œuvre de Dieu ne restera point imparfaite et que ceux à qui l’autorité sera confiée alors seront propres à ses desseins de miséricorde. Catholiques, ils auront le désir de répondre à ses insignes faveurs. Que doivent-ils faire ? L’exemple des chefs fait la plus grande impression sur l’esprit des peuples. Nous l’avons assez vu pour n’en pouvoir douter : c’est en se livrant à tous les excès que les représentants du peuple, trop indignes de ce nom, ont en peu de temps perverti l’esprit du peuple et ses moeurs. De nouveaux chefs devront réparer le mal. Il faut que, pénétrés d’amour et de respect pour la religion, ils en fassent preuve non seulement par quelques discours et actes publics, mais dans toute leur conduite. Ceux qui, parmi les fidèles, sont d’un rang plus élevé, ont aussi un devoir spécial de réparer les pernicieux exemples des grands, qui ont été une des sources principales de nos maux. Mais tout cela doit être sincère et non le fait d’un esprit politique qui ne pourrait plaire à Dieu. Quand Josias voulut détourner de la maison de Juda les maux dont la maison d’Israël avait été frappée, les grands parurent entrer dans ses vues, jamais la Pâque n’avait eu tant de magnificence. Cependant Dieu ne fut pas fléchi, et quelques années après, Jérusalem fut traitée comme Samarie, et Juda emmené captif comme Israël, parce que son retour n’avait pas été sincère 2.

Mais nous pouvons espérer que quand le temps sera venu, les esprits auront été bien disposés par la vue des grandes miséricordes du Seigneur. Ceux qui auront en mains les rênes devront se hâter de profiter de ces bonnes dispositions et, après s’être assurés que les emplois publics, au moins les principaux, sont occupés par de bons citoyens qui secondent leurs intentions, ils devront publiquement inviter leur peuple à rendre grâces à Dieu et à réparer les erreurs du passé.

Si le peuple a écouté ses chefs lorsqu’ils professaient l’impiété, il est trop juste qu’il prête l’oreille à ceux qui, ne voulant pas le gouverner d’une manière absolue, mais plutôt le convaincre et le persuader avant de rien exiger de pure soumission, ne se servent de leur autorité que pour faire entendre le langage de la saine raison, conforme en tout à celui de la religion. C’est ainsi qu’il faut gouverner les êtres libres et raisonnables. C’est pour les chefs le moyen le plus efficace et le plus doux de remplir les obligations qu’ils ont contractées, à la fois envers Dieu même et envers leur peuple ; c’est marcher sur les traces des plus grands hommes, et parmi ceux que citent l’histoire profane ou l’histoire sacrée, on trouve même des princes païens tels que Cyrus.

II sera bon de remettre devant les yeux du peuple le tableau des maux où la révolution l’a entraîné. Pour ne parler que des maux de l’esprit et à ne les juger qu’avec le flambeau de la raison, ils sont extrêmes, car à cette seule lumière, la vérité et la vertu sont le trésor, l’ornement et le bonheur de l’humanité, et la révolution a sapé l’une et l’autre. Dès le début et en moins de quatre années, les systèmes absurdes, incohérents et contradictoires se sont succédé. A un schisme qui n’était qu’un fantôme politique de christianisme, a succédé un athéisme extravagant, puis une idolâtrie dont la Convention a donné solennellement l’exemple, le 10 août 1793, en offrant des sacrifices à la statue de la Liberté. Ensuite les législateurs ont décrété que le peuple français reconnaîtrait l’Etre Suprême et l’immortalité de l’âme, mais quel Etre Suprême ? Ils l’ont déclaré, « ce n’est pas le Dieu des prêtres ». C’est un Dieu qui n’exige ni prières ni sacrifice, un Dieu indifférent entre le mensonge et la vérité, un Dieu pour qui tous les cultes sont égaux. Ils n’ont admis cet Etre Suprême que par des raisons de politique, et en le confondant avec la nature, ils font assez voir ce qu’ils en pensent. Et quelle immortalité de l’âme ? Ils ne la définissent pas, et une âme immortelle, soumise au jugement d’un Dieu infiniment saint, ne serait pas de leur goût.

En substituant le mensonge à la vérité, la révolution a pareillement corrompu la vertu. La vertu véritable demande que l’homme se fasse violence, et les principes révolutionnaires lui ôtent les motifs les plus puissants de s’imposer cette violence.

C’est pour faire cesser le despotisme, l’oppression, la cruauté, que la révolution prétend s’être élevée, et ne voyons-nous pas qu’elle les a portés plus loin que quelque gouvernement que ce fût. Le despotisme est un gouvernement arbitraire, où le Souverain fait et défait les lois à son gré, et leur fait dire ce qu’il veut. Peu importe que la souveraineté réside dans un seul ou dans plusieurs. Or le gouvernement auquel nous avons été assujettis a renversé toutes les lois : lois anciennes, lois justes, lois utiles, rien n’a été respecté. Il n’a pas eu égard à ses propres serments. Si ce n’est pas là du pur despotisme, qu’on me dise ce que c’est !

Il faudra surtout attirer l’attention du peuple sur la perte de la religion et sur ses suites fatales ; puis lui faire sentir combien il est redevable à la bonté divine qui, par une miséricorde inouïe, le délivre de tels maux et le ramène à la religion de ses pères ; enfin faire comprendre quel repentir sincère et quelle reconnaissance doivent répondre à de tels bienfaits.

Et comme la réparation doit être aussi publique et solennelle que le scandale l’a été, les chefs devront faire, au nom de la Nation, l’aveu de ses crimes ; ils reconnaîtront qu’en renonçant à la religion de J.-C., elle avait mérité que Dieu l’abandonnât et que c’est par un pur effet de sa bonté qu’il a daigné jeter encore les yeux sur elle. Ils protesteront d’un retour parfait à la foi catholique, d’un dévouement sincère à I’Eglise, d’une soumission filiale au Souverain Pontife comme Père de tous les fidèles… Ils déclareront nulles les lois portées contre la religion et rétabliront dans ses droits le gouvernement ecclésiastique…

Il faudrait ajouter à cela quelque chose de particulier par rapport au dernier roi. La Convention Nationale et le peuple se sont portés contre lui à toutes sortes d’indignités. Un l’a chargé de calomnies, on ne parlait de lui que dans les termes les plus outrageants, on l’a fait mourir quoiqu’il ne se fût jamais appliqué qu’au bonheur de ses sujets et qu’il ait répondu victorieusement à toutes les fausses imputations. On a voué sa mémoire à l’exécration. Il est de la justice de réparer de tels outrages, et, en attendant qu’on puisse publier juridiquement la réfutation du procès de Louis XVI, de rendre à sa mémoire les hommages qui lui sont dus. Avec une bonté héroïque, ce prince s’est offert pour des sujets qui le faisaient mourir, ce qui donne une haute idée de la gloire dont il est maintenant couronné. Peut-être est-ce à son voeu du 15 août 1792, ainsi qu’à ses prières, que la France devra en partie son retour à la religion.

De l’abolition des lois contraires à la religion

Le premier soin d’un gouvernement catholique aura dû être de supprimer et d’abolir totalement toutes les lois directement contraires au Christianisme, de rétablir la religion dans ses droits et son exercice public, et d’assurer la pleine liberté du ministère sacerdotal.

Mais comme les principes du gouvernement antichrétien ont laissé de funestes impressions dans l’esprit de plusieurs, il parait convenable pour confirmer l’abrogation des lois mauvaises de les examiner en détail, de mettre en lumière combien ces lois étaient injustes et préjudiciables, de montrer qu’on n’avait même aucun droit de les porter. En effet, indépendamment de la violation des droits de Dieu, on avait trompé le peuple en les portant, on n’avait même pas reçu réellement du peuple mandat de les porter ; on a été manifestement contre les désirs et la volonté de la grande majorité, à qui la crainte et l’oppression ont seules fermé la bouche. Ce n’est qu’à la longue et à force de séductions que les peuples se sont familiarisés avec les lois contraires à la religion. On n’a pu mettre de telles lois à exécution sans violer les lois supérieures de la justice et de l’humanité.

Outre les lois manifestement dirigées contre la religion, il s’en trouve un grand nombre qui sont incompatibles avec elle, et qui tendent en réalité à en éloigner les esprits et à rendre son exercice impraticable. Il ne faut pas moins les abolir, ou du moins les modifier de telle sorte qu’il ne s’y trouve rien d’opposé à la religion. Telle est, par exemple, la loi qui soumet tous les Français au service militaire. Sans parler des difficultés sans nombre et vraiment tyranniques qu’elle impose à toutes les professions, il est évident que cette loi est incompatible avec l’état ecclésiastique.

Nous ne pouvons manquer de parler de ces principes et de ces maximes impies que les maîtres de la Révolution ont répandus partout, et en particulier de ce qu’ils ont appelé la « Déclaration des Droits de l’Homme ». S’ils l’ont publiée avec tant de solennité, s’ils ont pris tant de soin de l’inculquer et la graver profondément dans les esprits, c’est qu’elle contient tous les principes sur lesquels pose la Révolution antichrétienne. II est nécessaire d’en dévoiler la fausseté, de montrer au grand jour ce que les législateurs ont entendu par la liberté et l’égalité, dont ils ont fait la base de ces droits, mais sans jamais préciser le sens de ces mots. Il faut faire remarquer les contradictions que ces droits renferment et constater les suites funestes qui en résultent.

Nous ne conseillerons point certes d’imiter les chefs de la Révolution et de faire, même pour empêcher le mal, ce qu’ils ont fait pour empêcher le bien, car ce serait comme eux vouloir subjuguer l’opinion et tyranniser les consciences. Mais ces prétendus Droits de l’Homme sont chose si pernicieuse qu’il ne suffirait pas d’en avoir découvert le venin, il faudrait, autant que la chose est possible, les ôter en quelque sorte des mains et de la vue des peuples, les vouer à l’exécration, et surtout veiller à ce que de malheureux instituteurs ne s’en servent pas pour empoisonner l’esprit de leurs élèves.

L’abolition des lois mauvaises ne saurait suffire, il n’est pas moins nécessaire d’en rétablir de favorables à la religion, autant que les circonstances pourront le permettre. Il y avait dans le passé des lois dont l’objet propre était de soutenir la religion ; il y en avait d’autres qui sans tendre aussi directement à ce but, renfermaient des dispositions qui pouvaient y contribuer.

Peu de nos lois qui ne continssent quelques dispositions favorables à la religion, car ces lois, faites en un temps où la religion florissait et par des hommes qui la respectaient et l’aimaient, en portaient l’empreinte, étaient animées de son esprit et dirigeaient en son sens les mœurs des citoyens. Mais à mesure que l’irréligion gagnait du terrain parmi nous, les dispositions les plus favorables de ces lois étaient oubliées et tombaient en désuétude, comme des formules de nulle valeur. Cette négligence est en partie cause de nos maux. II est donc nécessaire de remettre en vigueur de telles lois, bien que les circonstances puissent demander qu’on modifie ce qui ne conviendrait plus. Mais comme les devoirs du chrétien ne varient pas et que la plupart de nos lois étaient conformes à ces devoirs, il serait maintenant plus utile que jamais d’en recueillir les principales dispositions, d’en montrer l’excellence et la valeur et de veiller à leur exécution.

Les lois civiles qui garantissent le respect des préceptes de l’Eglise devraient être l’objet d’une attention particulière, car il faut qu’il y ait une différence entre un pays catholique et ceux qui ne le sont pas. Un gouvernement ne répond pas, il est vrai, des transgressions de chaque particulier, mais il est responsable des transgressions publiques et générales qu’avec un peu de vigilance il pourrait prévenir ou réprimer. Les lois qui regardent le repos du Dimanche doivent être d’autant plus religieusement gardées que presque tout l’exercice extérieur de la religion dépend de cette observation. C’est chose qui est extérieure et publique, et par conséquent du ressort du gouvernement.

De la restitution des biens ecclésiastiques

L’Eglise a été dépouillée, ses biens divisés et dilapidés. L’Etat doit-il tout restituer et comment ? L’Eglise doit-elle exiger cette restitution, ou peut-elle céder une partie de ses droits, et convient-il qu’elle le fasse ? A considérer le premier devoir de la justice qui oblige à rendre à chacun ce qui lui est dû et à rétablir l’ordre violé, on ne peut balancer à dire que l’Etat ne doive restituer à l’Eglise tout ce qu’il lui a enlevé ; et comme jamais usurpation n’a été plus manifestement injuste, il s’ensuit que l’Etat est dans le cas de tout possesseur de mauvaise foi et qu’il serait tenu non seulement de restituer les biens spoliés, mais encore les fruits dont l’Eglise a été privée et de réparer les dommages qu’elle a soufferts dans son temporel. Si d’un autre côté on considère la nature des biens de l’Eglise dont elle n’est pour ainsi dire que la dispensatrice, l’intention de ceux qui lui ont donné ces biens et l’usage auquel ils doivent être appliqués, il semblerait que l’Eglise ne peut se désister de ses droits, et qu’ainsi elle devrait réclamer une restitution totale. Cependant bien des raisons persuadent que l’Etat pourrait être déchargé en partie d’une obligation si stricte, et que l’Eglise pourrait l’en dispenser, qu’il conviendrait même qu’elle le fît. La plupart des biens ne pourraient être ôtés des mains de ceux qui les ont acquis de l’Etat et sous la garantie de l’Etat, sans que l’Etat, fût tenu de les rembourser de ce qu’ils ont payé. L ‘Etat resterait donc chargé de toute cette énorme restitution. Et comment calculer la dilapidation d’une foule de biens ? Une restitution parfaite serait donc comme impassible de la part de l’Etat, vu surtout l’épuisement où l’aurait jeté la guerre la plus terrible que la France ait eu jamais à soutenir.

Cette considération, à elle seule, porterait l’Eglise à se relâcher de ses droits et l’autoriserait à le faire, puisqu’elle-même quant à son temporel fait partie de l’Etat et doit participer à ses charges financières. Mais d’autres considérations encore doivent l’y porter. Il serait à craindre que si elle se montrait trop rigide en ce qui concerne ses droits, les malintentionnés n’en prissent occasion de réveiller des troubles mal éteints. Elle peut espérer que le sacrifice d’une partie de ses droits temporels, avec le consentement du Vicaire de J.-C., lui conciliant la vénération des peuples, ferait rentrer dans son sein la plupart de ceux qui l’ont abandonnée. Elle n’a point à craindre qu’un sacrifice fait principalement en vue du salut des âmes puisse déplaire à son divin Chef, surtout si l’intérêt des pauvres est ménagé, la dignité du culte sauvegardée, et si les ministres da son Eglise se trouvent seulement par là dans la nécessité de mener une vie frugale et modeste.

Si, avant la révolution, les règlements du Saint Concile de Trente excluant le luxe mondain de la vie du clergé, avaient été mieux observés, l’Eglise ne se serait pas vue dans une si grande désolation… Les richesses qui de temps immémorial avaient été données à l’Eglise se trouvaient trop inégalement partagées en ce qui concernait ses ministres, et nombre de ceux qui étaient abondamment pourvus, croyaient devoir, par un abus de la coutume, soutenir leur rang par des dépenses fastueuses. Ce que Dieu dans le passé avait disposé pour le plus grand bien, était ainsi devenu par une suite de la faiblesse du coeur humain, une pierre d’achoppement.

Il a donc plu à Dieu de réduire l’Eglise à sa pauvreté primitive, et dans ses desseins impénétrables, il s’est servi pour cela des efforts de l’impiété. Il a permis que tout fût renversé, détruit, saccagé, que tout fût réduit à la plus étrange confusion et c’est afin de faire tout rentrer dans l’ordre.

De l’Instruction publique

Nous avons déjà remarqué, et il serait facile d’en citer grand nombre de preuves, de quel poids est l’exemple des chefs et leur manière de penser, pour agir sur la nation, soit en bien, soit en mal. Le règne de Constantin a ouvert celui du Christianisme, la conversion de Clovis et celle de Récarède ont entraîné celle de leurs peuples. Saint Etienne a gagné la Hongrie au Christ, mais Henri VIII lui a, en peu de temps, arraché l’Angleterre. Ceux qui sont à la tête d’un gouvernement doivent avoir une grande idée de l’ascendant que leur donne le pouvoir et de l’usage qu’ils sont obligés d’en faire. Ministres de Dieu pour le bien des peuples, ils n’ont pas le droit de perdre de vue que le salut de leurs sujets est le grand objet que Dieu poursuit dans la conduite du monde, et cette vérité doit les diriger dans toutes leurs entreprises.

Cette obligation concerne en particulier l’instruction publique, qui est comme la source de tout le bien et de tout le mal de la société civile. Or à ce sujet, une chose très importante et de nature à produire les fruits les plus salutaires, ce serait de placer à la base de l’instruction publique un exposé doctrinal des vérités qui conduisent à la religion chrétienne et à la catholicité. Nous parlons de ces vérités qui, par leur enchaînement, établissent et démontrent d’une manière lumineuse et invincible quelle est l’unique religion à laquelle il faut inviolablement s’attacher, pour rendre à Dieu la gloire qu’il attend de l’homme et pour parvenir à la fin de sa création. Il ne s’agit point ici d’un symbole de foi ; ce n’est pas précisément l’autorité de Dieu et sa parole qui sont proposées pour motifs de crédibilité, comme on le fait en matière de foi, parce que, quoique plusieurs de ces vérités soient l’objet de la foi du Chrétien, ce n’est pas sous ce rapport qu’elles sont présentées, mais comme des vérités appuyées sur les lumières naturelles de la raison, et dont un homme qui veut consulter et écouter la raison ne peut s’empêcher de convenir. Il est nécessaire de les présenter ainsi, surtout en s’adressant à des hommes parmi lesquels plusieurs ne veulent point reconnaître d’autre lumière que celle de la raison. Et parce qu’on a osé contester jusqu’aux principes que la généralité des hommes a toujours regardés comme évidents, afin de ne rien laisser à désirer, on examinera même ces principes, et on aura soin de les établir sur une base dont ou ne pourra révoquer en doute la certitude sans tomber dans l’extravagance et la contradiction. Si donc il paraît convenable que le Gouvernement fasse dresser cet exposé par des mains ecclésiastiques, avant d’y mettre le sceau, non de son approbation, mais de son autorité, ce n’est pas qu’il ne puisse le dresser lui-même, c’est afin de donner plus de poids à ce document par le concours des deux autorités ecclésiastique et civile.

Dans l’exposé dont nous parlons, il ne doit rester rien de faible et de douteux ; tout y sera certain et même évident, et si ce n’est pas de cette évidence qui frappe d’abord par elle-même et qui subjugue tout à coup l’entendement, ce sera de cette évidence naturelle, qui est la suite du raisonnement le plus juste et le plus concluant. Une seule proposition évidente par elle-même sera la base de toutes les autres, et, dans toute la chaîne des propositions, il n’y en aura aucune qui ne soit appuyée sur la première, de manière qu’on ne pourrait y refuser son adhésion sans la refuser en même temps à toutes les propositions qui la précèdent, et par conséquent sans contredire les choses les plus certaines et les plus évidentes, sans se contredire soi-même.

Il n’appartient qu’à ceux qui sont en possession de la vérité d’entreprendre un pareil exposé, mais un catholique est bien assuré de la posséder. Tout autre qu’un gouvernement catholique essaierait en vain de faire ce que nous disons. Il faudrait nécessairement que l’ombre prît la place de la lumière et le sophisme celle de la raison, dès le point où l’erreur s’éloigne de la vérité catholique, parce que le mensonge ne peut être étayé que sur le mensonge. C’est pourquoi, pour ce qui regarde la doctrine de la vérité, un gouvernement catholique aurait toujours un avantage incomparable sur ceux qui ne le sont pas. Nous en avons une preuve très frappante dans tout ce qu’a fait le gouvernement anti-chrétien. Qu’on fasse seulement attention à la Déclaration des Droits de l’Homme, dont il parlait comme d’un chef-d’oeuvre, et qui, selon lui, devait être le code du genre humain et faire régner la raison sur toute la terre. Quoi de plus obscur ! Les termes sont équivoques, ceux surtout qui sont les plus essentiels. Au contraire, il n’y aura rien que de simple et de lumineux dans l’exposé. La lumière y naîtra de la lumière. Une proposition produira celle qui la suit, et celle-ci servira à fortifier celle qui la précède. Toutes se prêteront mutuellement de la clarté ; on ne hasardera rien, on y marchera pas à pas, parce que tout sera prouvé, défini, mis à la portée de tout esprit capable de saisir le vrai.

C’est ainsi, ce me semble, qu’il faut parler à des hommes, dans un siècle où l’on se pique d’écouter.

De ce que je viens de dire, un plan avait déjà été tracé d’après les vues que le Dauphin, père de Louis XVI, en avait données par écrit. Je crois même qu’il en avait été donné connaissance au dernier monarque, mais on conçoit que l’exécution devait rencontrer bien des obstacles et que, pour les surmonter, il eût fallu un prince qui voulût régner par lui-même.

Les obstacles ne seraient plus les mêmes dans un temps tel que celui que j’aime à me le représenter. L’exposé montrant l’accord de la révélation et de la raison, émanées l’une et l’autre du Dieu de Vérité, pourrait donc devenir, une fois revêtu de l’approbation ecclésiastique et de la sanction du gouvernement, la base et la règle de tout enseignement public.

Les Universités doivent se trouver conjointement sous la surveillance des Évêques pour le spirituel et de l’État pour le temporel.

Nous n’aurions pas vu la religion dépérir si promptement parmi nous si la jeunesse eût été élevée d’une manière plus chrétienne, et si cette partie de l’éducation qui regarde plus directement la foi n’y eût été trop négligée. Ceux qui se sont servis de leur pouvoir pour établir le règne de l’impiété ont bien senti cette influence de l’éducation, et pour établir solidement leur œuvre mauvaise, pour en perpétuer les effets, ils se sont emparés de tout ce qui regardait l’instruction publique.

Ce qu’un gouvernement antichrétien a fait en faveur de l’impiété, un gouvernement catholique ne le ferait-il pas pour rendre à la religion ses droits ? Le zèle de la vérité sera-t-il moins vigilant que le faux zèle du mensonge ? Les enfants de lumière feront-ils moins pour propager la lumière que les fils de ténèbres pour répandre les ténèbres ? Le soin de l’éducation chrétienne de la jeunesse appartient, il est vrai, plus directement encore à ceux qui sont préposés an gouvernement ecclésiastique, mais ils ont besoin d’être secondés par les chefs du gouvernement civil, et ceux-ci doivent faire observer les lois protectrices de l’éducation. Toute école devrait avoir affichée dès l’entrée, outre le règlement général, un tableau des principes qui s’y enseignent, en termes clairs, brefs et faciles à retenir, même par les enfants. Ce serait un résumé élémentaire de l’Exposé dont nous parlions plus haut.

Il faut que le choix des maîtres et la manière d’enseigner soient propres à former des chrétiens, car en formant des chrétiens, on est assuré de former en même temps des citoyens fidèles et utiles à leur patrie. L’étude de la religion et des préceptes de la morale doit donc tenir le premier rang.

Outre les écoles élémentaires, il devrait y avoir des écoles destinées aux arts mécaniques, où les enfants apprendraient les choses convenables à leur sexe et à leur profession ; l’enseignement de la religion y garderait le premier rang et serait plus approfondi, l’âge des enfants le permettant.

Enfin, comme c’est dans les écoles où s’enseignent les Belles-Lettres que se forment ceux qui sont destinés, soit à l’autel, soit aux principales situations de la vie civile, on ne doit rien négliger pour leur donner toute leur perfection.

Tout livre suspect doit être sévèrement banni, et il faut veiller avec grand soin au choix et à la composition des ouvrages qui seront entre les mains de la jeunesse.

De la Réforme des moeurs

Ceux qui ont en mains l’autorité ont une grande influence sur les moeurs d’une nation, on ne l’a que trop éprouvé dans la Révolution. Avec quelle rapidité ses fauteurs ont rendu le peuple matérialiste et animé les coeurs d’un courage féroce, dont le génie national ne semblait pas susceptible. Ils ont parlé de vertus républicaines, et le peuple n’a pas tardé à prendre quelque teinture de ce qu’ils veulent faire entendre par là, tandis qu’ils suppriment tout ce qui pourrait faire naître l’idée et l’amour des véritables vertus.

Ce qu’ils ont fait d’une manière prodigieuse pour le mal, des hommes vertueux, revêtus de l’autorité, ne le pourraient-ils pour le bien ? Je conviens que les apôtres du mal ont d’ordinaire plus d’activité que la nature viciée est d’intelligence avec eux, et que, pour les seconder, les génies malfaisants ont eu en notre temps un puissant ascendant.

Mais dans les circonstances où nous nous plaçons, tout sera propre à donner à nos chefs ardeur et activité pour le bien. Ils seront assurés du secours puissant de ce grand Maître qui, après avoir donné cours à de justes vengeances, montrera de nouveau son visage par ses grandes miséricordes. Les peuples seront disposés à revenir au bien par l’expérience des maux où ils sont tombés. Les démons eux-mêmes verront leur puissance limitée. Si donc les chefs usent, comme ils le doivent, de leur pouvoir pour opérer un heureux changement dans les moeurs, ce changement n’aura sans doute pas la rapidité qu’a eue le mal, mais il n’en sera que plus solide.

Leur influence sur les mœurs privées n’est pas aussi directe que sur les mœurs publiques, mais elle n’importe pas moins. Ils peuvent, sous mille formes différentes, propager des exhortations générales C’est le moyen qu’ont employé les prétendus représentants du peuple pour séduire la masse. Ils insinuaient leurs pernicieux principes dans les discussions, les discours, les rapports, dans les publications de journalistes à leurs gages et les instructions secrètes de leurs délégués dans les provinces ; affiches, chansons, cris publics, tout, leur a servi, et il n’était fête ni chose aucune qui n’eût pour but d’instruire, ou plutôt d’aveugler le peuple. Une pareille affectation désignait bien les apôtres du mensonge, elle ne conviendrait pas à des chefs qui doivent soutenir la Vérité, mais n’ont pas pour principal devoir de l’enseigner. On ne leur demande pas qu’ils entrent dans des discussions sur des points de dogme et de morale, ni même qu’ils fassent des instructions formelles sur les matières de foi. Mais ce que la religion enseigne généralement, ce que tout chrétien doit connaître et pratiquer, qu’ils en inculquent l’observance. Les peuples sont comme leur famille, ils leur doivent ce qu’un père de famille doit à ses enfants. Le gouvernement qu’ils ont à exercer demande qu’ils fassent des ordonnances et des édits, qu’ils promulguent des sanctions diverses. Ce sont là des occasions fréquentes pour eux d’inculquer des instructions qui feront d’autant plus d’impression qu’elles se présenteront comme naissant de la nature même des choses. Que les chefs sachent en toute occasion faire preuve de leur respect pour Dieu et les choses de Dieu, de leur zèle pour son honneur. Qu’ils fassent comprendre que le bonheur et la gloire d’un peuple dépend de la protection divine, et qu’ils inculquent en toutes manières que pour être bon citoyen, il faut être fidèle à Dieu, exact observateur de sa loi, loyal dans ses devoirs d’état. Qu’ils montrent qu’on ne peut servir utilement sa patrie sans être vertueux, que le véritable courage, le seul qui mérite des louanges, est fondé sur les principes de la religion, et que celui-là est le plus brave qui ne craint rien sinon de manquer à Dieu et à son devoir.

Ces principes mis souvent sous les yeux du peuple par ceux qui ont l’autorité, auront d’autant plus de force qu’ils sont lumineux par eux-mêmes et n’ont pas besoin, comme le mensonge, d’être enveloppés de phrases pompeuses.

Le gouvernement civil possède un second moyen, plus efficace encore, c’est d’animer et de seconder le zèle des pasteurs et des ouvriers évangéliques. II est nécessaire que la puissance civile entre dans leurs vues, les aide dans l’exécution de leurs saints projets, et use de son autorité pour lever les obstacles qu’on ne manquera pas de leur opposer, non pas qu’elle doive intervenir en toute occasion, mais seulement quand les obstacles sont considérables et de son ressort.

Pour perfectionner l’heureux changement des moeurs et le rendre durable, il faut faire disparaître les scandales publics ; c’est là l’objet propre de la vigilance des pouvoirs publics. Ces scandales regardent Dieu et les choses de la religion, ou bien la conduite de l’homme par rapport à lui-même et par rapport aux autres. Les uns et les autres sont également contraires aux bonnes mœurs et au bien de la société civile. La principale attention du pouvoir doit aller à écarter la première sorte de scandales, parce que les premiers devoirs de l’homme sont ceux qui regardent Dieu plus directement, parce qu’il n’en est point dont l’infraction soit plus funeste à la société, parce que cette infraction entraîne avec elle tous les autres désordres. De plus, les législateurs impies ayant mis tout en oeuvre pour accréditer ces sortes de scandales, un gouvernement chrétien se doit de détruire leur oeuvre et de réparer l’outrage fait à la divine Majesté. Les lois à cet égard devront s’accommoder à la faiblesse du siècle présent, mais il faudra y tenir fermement la main.

Les scandales qui concernent la pureté des moeurs publiques s’étendent à un grand nombre d’objets. Il est inutile sans doute de parler de ces lieux prostitués à la débauche que proscrivent à la fois la raison, l’honnêteté, le bon ordre des familles et le bien général de la société ; les raisons qu’on allègue pour les tolérer se détruisent d’elles-mêmes, et ces sortes de tolérances sont l’opprobre de tout gouvernement, à plus forte raison d’un gouvernement chrétien.

D’autres maisons, sans être mauvaises, doivent être l’objet d’une surveillance spéciale, faute de quoi elles sont exposées à devenir des foyers de corruption. Telles sont les maisons de jeux. Le nombre doit en être limité proportionnellement à la population des différents endroits. Il faut avoir égard à la nature des jeux, encourager ceux où le corps trouve un exercice favorable à la santé, et discréditer ces sortes de jeux qui ne servent ni au corps ni à l’esprit.

Les spectacles sont souvent une source de corruption pour les moeurs. Il faut donc veiller sévèrement à ce qu’ils ne soient point préjudiciables, et viser à ce qu’ils puissent même être de quelque utilité pour le bien public. Que pour cela on ait égard : 1° aux pièces représentées : qu’il ne s’y trouve rien qui soit ouvertement, soit de manière voilée, attaque la religion ou les moeurs ; 2° aux acteurs et actrices : qu’il ne monte sur le théâtre personne qui soit décrié pour ses moeurs.

La suppression des mauvais livres est peut-être, de tous les moyens, le plus efficace pour protéger la pureté des mœurs publiques, et il est facilement entre les mains du gouvernement. Qu’on laisse sans doute une certaine liberté à la presse, mais cette liberté doit avoir les bornes prescrites par la loi naturelle même.

De ceux qui sont un danger pour l’Eglise et l’État

Nous appelons la Franc-Maçonnerie secte ténébreuse à cause des ténèbres où elle aime à s’envelopper, mais plus encore à cause des noirs mystères qui s’opèrent en elle et qui ne sont pas également connus de tous les initiés. Ils ont la première et principale part dans la révolution antichrétienne, c’est parmi eux que le plan en a été conçu, ils s’y étaient préparés et n’attendaient qu’une occasion pour la faire éclater. Cette occasion ne pouvait naître que quand l’impiété aurait fait de grands progrès dans toutes les conditions, et c’est là que visaient leurs travaux, en s’efforçant d’abord de jeter le ridicule sur le Christianisme. Leurs moyens étaient d’avance les mots de liberté et d’égalité, entendus à leur manière, et tandis qu’ils n’avaient à la bouche que le nom de fraternité, ils inspiraient aux leurs un courage farouche pour en faire les instruments de leurs ambitions.

C’est donc à cette détestable secte que la France doit ses malheurs, et si le Seigneur, touché de compassion, arrête le succès de ses projets, sachons cependant que sa malice est. toujours la même, que ses défaites ne la rebutent pas et qu’un gouvernement qui la supportera devra s’attendre à éprouver de sa part de plus grands et durables excès.

Le gouvernement devrait non seulement interdire les loges et leurs assemblées sous des peines graves, mais encore dévoiler publiquement et avec preuves à l’appui, les crimes de la Franc-Maçonnerie, ses trames perfides, les maux qu’elle a causés.

Il serait de la sagesse de s’entendre avec les autres gouvernements pour qu’ils prennent de concert les moyens d’abolir une secte si pernicieuse au genre humain. Il faudrait flétrir la mémoire de cette organisation vouée à l’enfer et déclarer infâmes et traitres à la patrie ceux qui à l’avenir en seraient les fauteurs.

Et ce qu’on dit de la Franc-Maçonnerie doit s’étendre à toutes les sectes qui ont des rapports avec elle, tels que les Sundenbergistes, les Illuminés proprement dits et autres, dont le nombre est grand dans cette capitale.

On sait ce qu’il faut entendre par la fausse philosophie qui n’est autre chose que l’impiété et l’incrédulité. Nul besoin de science ni d’étude pour l’embrasser, et parmi les hommes qui s’y montrent attachés, le nombre de ceux qui le sont par conviction et par suite de faux principes qu’ils se sont faits à eux-mêmes, est en réalité peu considérable. La plupart ne sont ni philosophes ni savants, ils font seulement profession de ne plus croire des dogmes qu’ils n’ont pas étudié à fond, ils n’en seraient pas capables, et nombre d’entre eux ignorent des vérités qui n’échappent pas aux simples fidèles. Le mépris qu’ils font de la religion a couvert leur grossière ignorance et les a mis de niveau avec des hommes qui passent pour des gens d’esprit et donnent le ton. C’était aussi un bon moyen de s’avancer vers les places convoitées. L’orgueil et l’intérêt ont été fabricants de philosophes.

Tous ne sont pas de la secte dont nous avons parlé, plusieurs même la méprisent à cause du ridicule de ses cérémonies, mais ils ont été les premiers à seconder ses desseins, en haine de la religion, et ceux qui étaient des hommes en place se sont vus entraînés beaucoup plus loin qu’ils ne l’auraient voulu, dans la voie de la révolution.

Quand des hommes se sont montrés nuisibles à l’État aussi bien qu’à la Religion, et contempteurs de toute subordination, il est de saine politique de les affaiblir et de les mettre hors d’état d’intriguer et de nuire. Lorsqu’ils ne forment point corps, qu’ils sont isolés et que chacun d’eux a ses intérêts particuliers, ils sont moins dangereux, et il ne serait pas de la prudence de les attaquer directement, car ce serait les porter à s’unir plus étroitement et à s’obstiner dans leurs opinions. D’ailleurs comme dans les choses extérieures ils se conforment à la religion du pays, ils ne manqueraient pas de dire qu’on les persécute et de jeter l’odieux sur les gouvernants. Des moyens indirects suffiront, sinon à les ramener, du moins à les retenir dans des bornes étroites et à priver leurs idées de ce brillant qui séduit.

Ces moyens indirects sont de faire voir le peu de cas qu’on fait de leurs faux principes. Il ne faut sans doute pas soupçonner ceux-ci ou ceux-là d’en être imbus, mais il est aisé de les reconnaître dans ceux mêmes qui par politique se dissimuleraient. Ils ne se prononcent jamais d’une manière bien franche en faveur de la vérité ; ils accomplissent les actes de religion de sorte qu’on peut voir que c’est pure cérémonie ; ils vantent beaucoup ceux qui sont incrédules et ne vantent que ceux-là ; la plupart de ceux qu’ils fréquentent sont dans les mêmes sentiments. Il faut se conduire vis-à-vis de tels hommes comme avec des suspects, ne pas croire légèrement à leurs protestations de dévouement ou offres de services, non plus qu’aux éloges qu’on fait de leurs belles qualités et de leur mérite. Leurs talents ne peuvent que les rendre plus dangereux. Que ceux qui ont l’autorité et qui disposent des places ne les admettent point inconsidérément dans leur confiance et leur amitié, et qu’ils aient soin de ne pas les promouvoir à des postes qui leur donneraient trop de crédit ; si les circonstances rendaient la chose inévitable, il faudrait y mettre un contrepoids et garder les yeux sur eux.

D’un ouvrage de Crillon, je me rappelle un certain conciliabule de coryphées de la philosophie de ce temps, fait réel ou fiction de l’auteur. Diderot, d’Alembert et quelques autres s’y trouvent avec Rousseau. Les premiers proposent les moyens qu’ils croient efficaces pour propager leurs principes et les faire régner partout ; mais Jean-Jacques qui les a écoutés s’exprimer ainsi triomphalement, leur dit qu’il sait un moyen de déconcerter leurs desseins et de ruiner la philosophie, et ce moyen est à peu près celui que nous venons d’exposer. Il faudrait, leur dit-il, vous priver de toutes vos pensions, ne vous rendre aucun honneur et vous traiter avec indifférence. Ce philosophe connaissait bien ses collègues en philosophie ; il savait combien ils étaient amateurs d’eux-mêmes, avides d’honneurs et attachés à un sordide intérêt ; les prendre par là, c’est les toucher au point sensible et les forcer à abandonner la partie.

Ce n’est point par des motifs semblables que se conduisent les hommes d’honneur et de vertu ; mais le bien public comme la justice demandent qu’on leur donne la préférence et que les charges aillent aux plus dignes. Il n’y a qu’un homme vertueux qui soit capable de toujours se sacrifier plutôt que de manquer à son devoir, et de préférer le bien public aux divers intérêts particuliers qui peuvent le toucher. Ceux qui ne sont pas encore assez vertueux seront soutenus par les motifs de la gloire, en voyant quel chemin de probité il faut prendre pour y parvenir, et cela les aidera beaucoup à rejeter les suggestions pernicieuses.

Des Ordres religieux

Tous les Ordres religieux ont servi pendant longtemps à la gloire et à l’édification de l’Eglise ; ils ont produit un grand nombre de saints, et offert à ceux que Dieu appelait plus particulièrement à la perfection, les moyens de pratiquer les conseils évangéliques. C’est ce que faisaient en France un grand nombre de maisons religieuses, où régnait encore beaucoup de ferveur et de régularité, lorsque le violent orage, excité par l’enfer, a renversé à la fois tous ces saints établissements, épargnant à peine quelques-uns qui servaient au soulagement des malheureux.

On est obligé d’avouer cependant que, dans un assez grand nombre d’ordres religieux, la discipline s’était relâchée, l’esprit religieux affaibli ; on se bornait trop à l’appareil extérieur du culte ; dans certains monastères l’erreur s’était glissée, d’autres n’étaient guère plus que l’apanage d’abbés de condition ; et enfin, de nombreux religieux sont devenus les victimes volontaires de la révolution, car ils ont donné dans le schisme et dès les premières secousses, ils ont d’eux-mêmes offert à la chose publique les biens de leurs monastères, dont ils ne pouvaient disposer.

II n’en est pas moins vrai qu’il n’est point un de ces Ordres qui ne renferme encore un certain nombre de vrais religieux ; et ceux-ci peuvent exiger qu’on leur restitue ce qu’on leur a injustement enlevé et qui est nécessaire à leur état. On le devrait faire aussi par reconnaissance pour leurs anciens services, et pour n’être pas privé de ceux qu’ils peuvent rendre de nouveau.

Si tout ce que nous avons supposé pour le bien de la religion s’accomplissait avec toute la perfection que nous désirons, si l’une et l’autre puissance s’accordaient ensemble pour réparer les maux passés, pour rétablir l’ordre et faire refleurir la religion dans sa première splendeur, on verrait alors les Ordres religieux renaître glorieux de leurs cendres, une foule de saintes âmes s’empresseraient pour y entrer, et dans assez peu de temps, ils seraient aussi fervents, aussi étendus que jamais. Tels sont nos voeux, tel est le but auquel nous devons tendre ; pour y parvenir, n’omettons rien de ce qui dépend de nous.

Si Dieu daignait bénir nos travaux et remplir nos désirs, la religion serait alors affermie parmi nous, au moins pour un grand nombre d’années. Mais quelque désir que nous en ayons, nos espérances n’ont point de fondement bien solide, ce que nous avons vu, ce que nous voyons encore nous donne tout sujet de craindre, tout nous présage encore dans l’avenir quelque chose de terrible et de funeste pour la religion, non seulement pour ces pays, mais encore pour tout le monde chrétien. Dans ce cas, le changement heureux que nous supposons serait peu durable, les établissements religieux, ainsi que la plupart de ceux que nous avons indiqués comme devant être faits en faveur de la religion, auraient peu de consistance… Il faudrait donc que les ordres religieux puissent subsister, en dehors de tout ce qui les asservirait nécessairement, en tant que tels, à l’ordre civil.

Du zèle pour la restauration chrétienne du pays

Il ne suffit pas d’inculquer aux enfants les premiers éléments de la doctrine chrétienne, il faut déraciner de leur esprit et de leur coeurs les fausses notions qu’on y a jetées. Il faut accoutumer au joug des esprits qui n’en ont jamais connu, leur inspirer l’horreur pour le péché dont ils ont été habitués à ne faire aucun cas. Il ne s’agit pas seulement d’annoncer la foi à des hommes qui ne l’ont jamais reçu, mais d’y ramener une nation qui publiquement y a renoncé ; il faut l’amener à s’avouer coupable d’apostasie, alors qu’elle se glorifiait de porter la lumière chez les autres peuples. Entreprise difficile, très au-dessus du pouvoir de l’homme, et où il faut s’attendre à beaucoup de contradictions de la part du monde et du démon, mais aussi espérer un secours extraordinaire de Dieu.

Le zèle des ouvriers devra suppléer au nombre. Les fidèles demeurés constamment attachés à la foi sont le premier objet du zèle. Ceux qu’il faut gagner, dans le cas où nous nous plaçons, se tiendraient sur leurs gardes, ou bien ils se joindraient aux fidèles sans conviction et sans changement réel, comme si la religion était affaire de politique. C’est donc chez les fidèles d’abord qu’il faut que s’opère un heureux changement, afin que les incroyants, touchés, soient par là disposés à recevoir les vérités du salut et à revenir sincèrement au Seigneur. II faut aller à ceux qui seraient prêts à embrasser la vérité si elle leur était montrée d’une manière propre à les convaincre. Mais nous ne croyons point qu’il soit à propos d’entrer dans les discussions profondes et subtiles qu’on trouve dans beaucoup de livres, discussions qui ne sont ni bien comprises ni goûtées du grand nombre. Faute d’être bien saisies, elles feraient même naître des difficultés sans fin et perdre le temps en disputes inutiles. Nous ne croyons pas que les Apôtres se perdissent dans des spéculations stériles.

La religion chrétienne a des preuves simples, mais fortes et convaincantes : qu’on les expose avec clarté, qu’on fasse saisir comment elles s’enchaînent et se soutiennent mutuellement. Elles portent la lumière dans tout esprit droit. Ceux qui refusent de s’y rendre ne se rendront pas davantage à des preuves plus compliquées : ce sont gens qui se roidissent contre la vérité, et on perd son temps à parler à ceux qui ne veulent pas entendre.

Un point important en cette matière, c’est de gagner le cœur. C’est pourquoi, après avoir exposé les preuves métaphysiques et physiques de l’existence de Dieu, et celles qui sont tirées du témoignage universel des peuples, qu’on en vienne aux preuves de sentiment, qui sont en grand nombre, et qu’on les développe d’une manière pénétrante. Allez jusqu’au fond des cœurs, sondez-en les replis, faites voir à chaque homme le sentiment qu’il a de sa propre noblesse et de sa grandeur, sentiment intime qui précède toutes les leçons qu’on a pu lui en faire, sentiment qui conduit droit à Dieu, auteur de tous les êtres qui, par sa seule volonté, a donné à l’homme un être supérieur à ce qui n’est que matière et des traits de ressemblance avec lui. Demandez-lui s’il ne porte pas en lui-même l’idée du bien et du mal, du juste et de l’injuste, et s’il ne sait pas bien qu’il est libre d’agir ou de n’agir pas. Que signifie en lui ce témoin secret qui l’accompagne partout, et qui, juste censeur de toutes ses actions, les approuve ou les blâme ? Peut-il se dissimuler que c’est un juge souverain qui a placé au fond de lui-même ce tribunal qui, malgré lui, intime des arrêts qu’il est impossible de ne pas entendre.

Personne qui ne retrouve en soi ces preuves de la Divinité. Ces preuves méritent d’autant plus qu’on s’y arrête qu’elles démontrent spécialement ce que Dieu est à notre égard : le Tout Puissant qui nous a faits tels que nous sommes, l’infiniment Sage qui nous investit des lumières de la raison, la Sainteté infinie à qui on ne peut plaire que par la sainteté, le Maître à qui nous devons tout, de qui nous dépendons en tout, et qui nous récompensera ou nous punira en Dieu, selon nos oeuvres.

Ce sont là choses qu’il ne faut pas séparer des preuves de l’existence de Dieu, afin que le coeur soit ému en même temps que l’esprit éclairé. Il faut que l’homme comprenne comment tous ses devoirs découlent de l’idée même de Dieu, comment Dieu est nécessairement sa fin…

Et comme c’est au culte qu’Il veut des êtres libres et intelligents que Dieu dirige principalement ses autres oeuvres, il est digne de sa Sagesse de leur donner la religion révélée. Cette convenance une fois prouvée, on en vient à démontrer que Dieu a, en effet révélé à l’homme sa religion et on le démontre singulièrement par les preuves qui ont accompagné la mission de Moïse et celle de N.S.J.C. Il sera surtout nécessaire de donner une juste idée des grandeurs de l’Homme-Dieu. Il ne restera plus ensuite qu’à enseigner à l’homme convaincu ce qui regarde les sacrements qu’il doit recevoir. Pour fermer la bouche à la fausse philosophie et pour conduire à la vérité tout homme qui veut faire un sain usage de sa raison, il n’est rien en effet de plus convenable que de faire voir l’enchaînement des vérités naturelles avec celles que la sainte Eglise enseigne dans le catholicisme. Les auteurs de la Révolution antichrétienne, en rejetant les dogmes du Christianisme, ont en même temps rejeté la morale qui en fait partie ; plus directement, quelques points de la morale soit naturelle, soit évangélique, comme étant plus opposés à leur doctrine de liberté et d’égalité. Ils ont donné de fausses idées de la loi en la faisant dépendre de la volonté générale des hommes ; ils ont détruit l’obéissance aux autorités légitimes, soit dans l’ordre naturel et civil, soit dans l’ordre surnaturel et ecclésiastique ; ils ont prétendu abolir la nécessité du culte extérieur ; ruiné le mariage en lui ôtant son indissolubilité ; regardé comme nuls et illicites les voeux de religion ; méconnu toute distinction entre le sacré et le profane. Il est donc nécessaire de condamner et de combattre en particulier ces erreurs, et de faire voir quel est et quel a toujours été le sentiment de l’Eglise en ces matières.

Séparé de J.-C., le monde intellectuel tombe dans un état analogue à celui où serait le monde physique privé de la lumière et de l’influence du soleil. C’est le règne du chaos : confusion dans les idées, erreurs dans les principes ; fausseté dans les jugements, mensonge dans la manière de parler et d’agir. Des systèmes absurdes sont adoptés et les vérités les plus manifestes rejetées. Par un prestige devenu presque universel, on fabriquera sur la Divinité, sur l’homme, sur l’existence du monde, les systèmes les plus incohérents.

J.-C. est appelé le soleil de Justice ; et il en remplit d’une manière divine toutes les fonctions. II est, dans le monde intellectuel, ce que le soleil est dans le monde matériel, et, dans l’ordre surnaturel il donne à l’homme la vie, la force et le mouvement, il l’anime de son esprit, fait germer en lui sa parole et lui donne de porter des fruits de salut. Auteur de la lumière, source et maître de vérité, il est lui-même la Vérité.

Et comment celui qui est essentiellement Lumière pourrait-il admettre la moindre obscurité ? Certes, J.-C. Lui-même, de quelque manière qu’on l’envisage, soit comme Dieu ; soit comme homme, ne peut jamais rien perdre de sa clarté. Il n’en est pas ainsi quand on le considère par rapport à nous, Il s’obscurcit pour nous quand nous sommes nous-mêmes dans les ténèbres. Pour des hommes relégués au fond d’un cachot, le soleil est comme s’il n’était pas. Et si des insensés font voler autour d’eux des tourbillons de poussière, cette poussière retombe sur eux et les aveugle. Tel est le sort de ceux qui prétendent obscurcir la gloire du Sauveur du monde à force de blasphèmes, de railleries et de sophismes. J.-C. n’en est pas moins éclatant de lumière et de beauté ; leurs efforts n’aboutissent qu’à les plonger eux-mêmes dans les ténèbres. On ne peut concevoir plus grand mal que d’être privé de la lumière de la Vérité, d’être le jouet de l’erreur et du mensonge. Ce sera cependant le caractère de cet âge, où les ténèbres spirituelles seront plus grandes que dans les siècles passés et deviendront presqu’universeIles.

Semblable à son divin Epoux, l’Homme de douleurs, l’Eglise sera regardée comme si Dieu l’avait frappée et abattue, et son âme, comme celle de Marie, sera percée du glaive de la Justice divine « afin que les pensées de plusieurs soient découvertes ». Les desseins de Dieu sont impénétrables, ce qui paraît y être le plus contraire, devient dans ses mains un moyen de les accomplir d’une manière plus admirable. Purifiée et fortifiée par ces jours d’oppression et d’obscurité, l’Eglise reparaîtra plus brillante et plus étendue que jamais. Elle sera de nouveau reconnue pour la reine et la maîtresse des nations. Mais que les vrais fidèles restent fermes dans l’épreuve, et que ceux qui chancellent prennent garde de perdre le peu de lumière qui leur reste, qu’ils raniment leur foi, afin de ne pas se laisser éblouir par de fausses apparences, et d’aimer mieux être affligés avec les justes que de se réjouir avec les pervers.

Pierre de Clorivière

1

Ces paroles, Pierre de Clorivière les écrirait encore aujourd’hui, que la Révolution, aggravant ses méfaits antérieurs, a réussi à établir en France le régime de laïcité. Cependant les motifs d’espérer qu’il indique ici n’ont pas, croyons-nous, perdu leur force.

2

Une note d’un contemporain de Pierre de Clorivière nous apprend ceci : « Quand il vit que le gouvernement de Louis XVIII voulait encore balancer les partis, et se tenir comme indécis entre les catholiques et leurs adversaires, il n’augura pas bien de cette politique ; il disait qu’un roi doit suivre la justice, et compter sur la protection du Ciel, sans craindre les conséquences »