Revue de presse

https://news.vice.com/fr/article/un-samedi-la-fete-de-lhuma-de-lextreme-droite-francaise

 

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« C’est pas comme la Fête de l’Huma, c’est pas indiqué », grommelle un homme tout de velours vêtu et coiffé d’un béret. Nichée au fin fond d’une travée de la zone industrielle de Rungis, la « Fête du Pays réel » organisée par l’institut Civitas (un mouvement catholique intégriste français) se fait discrète. Trois garçons d’une vingtaine d’années apparaissent au bout de la rue déserte et proposent leurs services de guides. La petite troupe se met joyeusement en marche. Les meneurs portent des cravates bariolées de fleurs de lys. L’un deux pointe fièrement son pin’s orné d’une croix celtique (…)

À l’extérieur de l’espace Jean Monnet, en plein soleil, des hommes aux nuques soigneusement dégagées fument, discutent, distribuent des tracts monarchistes.(…) Après avoir passé les portiques de sécurité et déboursé dix euros, l’on découvre les premiers stands. À gauche, des tapisseries médiévales aux prix « bradés » pour l’occasion. À droite, les principaux journaux et écrivains de la droite nationaliste. Francis Bergeron, l’auteur notamment du Guide de l’Homme de Droite à Paris discute gaiement avec son avocat. Sa voisine feuillette un numéro du quotidien national-catholique Présent en piquant sa fourchette dans une assiette remplie de saucisses, de jambon et de pommes de terre. Les gens sourient, se reconnaissent.

(…) La présence d’un stand Radio Courtoisie — dont le slogan est « La radio libre du pays réel et de la francophonie » — va de soi. La formule-titre de l’évènement est née sous la plume de Charles Maurras. Sur le site de Civitas, ce « pays » est décrit comme « catholique et patriotique », et la France est celle « des terroirs et des clochers ».

Le Pays réel semble commencer dès l’assiette. Au fond du hall, les convives prennent place sur des chaises en plastique d’un restaurant improvisé. Au menu, de la bière, du jambon de pays, diverses charcuteries et des bretzels. Des bambins chahutent entre les tables. Attablés, on retrouve des abbés en soutanes, des jeunes filles en jupe mi-longue, des hommes aux crânes rasés et en treillis militaires, des familles au look versaillais et des moines en robe de bure. Au programme cet après-midi, la conférence de l’historienne (…) Marion Sigaut (…) est prévue à 14 heures.

« Ce n’est pas le Front qui peut défendre les Français. On ne peut pas combattre le système en adoptant son discours. »

Lorsqu’on lui demande ce que recouvre l’expression « Pays réel », Morgane, une jeune fille croisée dans les allées, répond immédiatement : « Le Pays réel, ce sont ceux qui se lèvent tous les matins pour aller travailler. Le charcutier, l’agriculteur, la fleuriste en bas de chez vous, l’ouvrier… » Elle refuse d’y voir une distinction droite/gauche et affirme qu’il s’agit d’une opposition entre « les élites d’en haut déconnectées de la réalité » et « le peuple d’en bas ». Morgane a un nom de famille, Bouzard et un père, Thierry : journaliste chez Présent, ancien élu FN, membre éminent de Civitas et ex-animateur de Radio Courtoisie (...)

Dans la grande salle qui jouxte la buvette, Thierry Bouzard tient un stand noyé d’affiches. Elles dénoncent en vrac l’avortement, « les faux réfugiés et les clandestins », et les « politiques corrompus ». Ses cheveux blancs et rares trahissent ses soixante et quelques années. D’une voix douce, il tient des propos radicaux qui le classent à la droite du FN. « Ce n’est pas le Front qui peut défendre les Français. On ne peut pas combattre le système en adoptant son discours. » Son admiration va à « Donald Trump, dont les premières décisions ont été de supprimer les subventions du planning familial. »

Le Pays réel désigne à ses yeux « les gens qui ne sont pas dans le virtuel, qui sont opposés au matérialisme, qui vont sur le terrain » et qui luttent contre « ces fous qui veulent faire croire qu’on peut changer de sexe. Le Pays réel, c’est dire que le sexe est dans nos gènes ». À chaque début d’argumentaire, il dégaine un « ça, c’est un truc qu’on ne dit jamais ». Lui aussi assure : « le clivage n’est pas entre gens de droite et gens de gauche ». Il suffit pourtant de jeter un œil aux alentours pour constater qu’entre le mouvement intégriste de la Fraternité Saint-Pie X, le Parti de France de l’ex-FN Carl Lang, les Cadets de France de l’ex-FN Roger Holeindre et Civitas, c’est toute l’extrême droite dite « hors les murs » qui s’est donné rendez-vous.

« Il faut retirer tous vos enfants de cette école publique, c’est une question de vie ou de mort. »

L’affiche de l’évènement promettait « de nombreux stands » pour célébrer « l’histoire, la foi, les coutumes, le patrimoine, la culture, le savoir-faire, la gastronomie et le dynamisme de ce Pays réel ». Écussons taillés dans du bois, assiettes faites main au slogan évocateur (« mon âme à Dieu, mon cœur au Roi, mon cul à la République »), portraits du maréchal Pétain. Dans la salle d’à-côté, Marion Sigaut conclut sa conférence en se dressant contre « l’école publique, pourrie par un État criminel qui fonctionne sous des ordres secrets ». (…) L’animateur reprend le micro et harangue la foule : « Il faut retirer tous vos enfants de cette école publique, c’est une question de vie ou de mort. » La salle applaudit à tout rompre.

Les ongles vernis et un foulard léopard noué autour du cou, Anne Le Baut (…) est « nostalgique » d’une France magnifiée « au passé glorieux et catholique »  (…) Anne le Baut sera candidate labellisée Civitas aux législatives. Son fils Ulrich se greffe à la conversation. (…) Avec ses cheveux gominés ratissés en arrière, sa barbichette en pointe et sa veste en cuir, il détonne. Puis finalement, son discours se remet dans les rails Civitas : « Il faut restaurer la France catholique, c’est mieux que la France maçonnique ». À la main gauche d’Ulrich brille une bague argentée, frappée de la fleur de lys.

« Que vive le Pays réel ! Et mort aux cons ! »

Les défenseurs du Pays réel ont beau affirmer ne pas lutter « contre quelque chose » mais « pour quelque chose », ils combattent ce que Maurras nommait le « Pays légal ». Ce dernier terme recouvre aujourd’hui « les médias » et autres « mondialistes pro-immigration », selon ceux qui participent au rassemblement de ce samedi.

L’idée que les médias traditionnels diffusent des « mensonges » est prégnante dans l’assemblée réunie. Rivarol, Sputnik, Egalité et Réconciliation, TVLibertés, Résistance Républicaine ou le Salon Beige sont autant de «sites de réinformation », cités comme des références par les participants. Qui confessent d’ailleurs ne consulter que ceux-ci pour s’informer.

À 16 heures, la salle de conférence est pleine à craquer. Trois personnalités « de marque » vont prendre la parole : Carl Lang, Alain Escada (le président de Civitas) et Jean-Marie Le Pen. Dans son discours, le président d’honneur du Front National dénonce « l’humanitarisme-globaliste », sans que l’on sache vraiment ce qu’il entende par là. Du haut de l’estrade, il déchaîne l’assemblée. Carl Lang persifle contre « le système médiatique » et Alain Escada en rajoute une couche contre « les vipères lubriques qui veulent museler le Pays réel ».

L’évènement de ce samedi est la vraie rampe de lancement de Civitas comme parti politique avec l’annonce du programme que défendront les candidats aux législatives de juin. Parmi les propositions : interdiction de l’avortement, annulation des mariages gays déjà contractés, préférence nationale. Alain Escada tonne : « Que vive le Pays réel ! ». Du fond de la salle, un homme ajoute : « Et mort aux cons ! ». En attendant les législatives de juin prochain, un chant s’élève tandis que la foule se disperse « Claquez bannières de chrétienté (…) Contre-révolution, entre honneur et fidélité, gardons la tradition (…) la France est aux Français, travail, famille, patrie ».

 

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