Article tiré du numéro 9 de la revue Civitas (juin 2003) : La loi, le droit, la justice.

Sommaire

{mostoc}

L’homme est confronté à différents types de lois : la loi divine, la loi naturelle, et la loi humaine. L’auteur examine chacune de ces notions, puis leurs rapports mutuels.

Loi divine et droit naturel

A la base de tout il y a le droit divin et la loi éternelle. Le droit divin se confond avec la loi éternelle. D’après Saint Augustin (Lib. XXII, Contra Faustum) il est la raison divine, c’est-à-dire la volonté de Dieu, qui commande de conserver l’ordre naturel.

Puisque Dieu est le principe de tout être, tout part de lui et tout revient à lui. Le droit divin embrasse tout l’ordre créé, et de lui découlent toutes les autres lois : les lois naturelles et les lois humaines.

Le droit naturel qui se rapporte à la nature de l’homme dérive directement de ce droit éternel car l’homme doit inévitablement porter en lui la règle de vie émanant de son créateur et sans laquelle il ne serait plus un homme. Cette tendance procède d’un principe interne inhérent à la nature humaine et auquel l’homme accède en dehors de toute révélation, de tout enseignement et même de toute recherche personnelle. C’est un droit antérieur à toutes les lois positives (c’est-à-dire décrétées par l’homme), à toutes les coutumes des peuples, à toutes les jurisprudences des tribunaux et à toutes les opinions doctrinales.

Même les civilisations antiques païennes connaissaient l’existence de ce droit naturel. On le trouve chez les chinois avec Confucius et la notion de « nature rationnelle », chez les philosophes grecs avec Socrate, Sophocle et surtout Aristote, chez les romains avec Sénèque ou Cicéron. Sophocle donne d’ailleurs dans une de ses répliques les plus connues et les plus remarquables de son Antigone une excellente illustration de l’enracinement profond de ce droit naturel dans le cœur humain. « Oui j’ai transgressé tes ordres, car je ne croyais pas que ton édit eut assez de force pour donner à un être mortel le droit d’enfreindre les décrets divins qui n’ont jamais été écrits mais qui sont immuables… »

Ce droit naturel est aussi présent dans la Bible même s’il ne doit pas être confondu avec les prescriptions spéciales que Dieu donne à son peuple en fonction de la mission qu’Il lui a confié.

Évidemment, le droit naturel trouve sa juste place dans la tradition chrétienne, chez les premiers chrétiens (St Paul, Tertullien), chez les Pères de l’Église (St Jean Chrysostome, St Augustin). Tous ces maîtres fondamentaux de la pensée humaine qui, au cours des siècles, ont forgé notre civilisation, ont insisté sur le fait que le droit naturel, contrairement à la conception d’Ulpien, qui y voyait une construction de l’esprit, est une norme inscrite dans le cœur de l’homme depuis le début de l’humanité.

Le droit naturel issu de la loi éternelle doit avoir une influence déterminante sur tous les droits positifs qui en dehors de lui ne peuvent être que sans valeur. Le droit naturel est donc gravé dans la conscience de chaque individu et s’impose à l’ensemble de l’humanité. Il ne peut souffrir aucune dispense car étant l’œuvre de Dieu, nulle autorité humaine laïque ne peut le supprimer ou le faire oublier.

Un droit sanctionné

Comme toute disposition juridique, le droit naturel est sanctionné.

Du point de vue religieux, les manquements ou le respect à la morale religieuse ont leurs conséquences dans les Fins Dernières après la mort. Du point de vue d’une simple morale laïque (si toutefois on peut appliquer ce terme à une morale malgré elle héritière d’une vieille tradition chrétienne), on peut aussi dire qu’elle sanctionne le droit naturel dans la mesure où elle inclut les principes généraux de la vie sociale et individuelle qui sont à la base de la vie privée et de la vie publique dans toute société organisée. Il est bien connu par exemple qu’au début de la troisième république, à l’époque de Jules Ferry, malgré l’anticléricalisme féroce du gouvernement, l’école et ses instituteurs enseignaient une morale très stricte. Celle-ci coïncidaient sur bien des points avec le droit naturel.

Le droit naturel trouve aussi un écho en termes de droit positif. Ce droit positif (la loi ou les lois) en effet ne peut pas ne pas retenir et prendre pour base de ses prescriptions la nature humaine. C’est ainsi, que l’interdiction de tuer ou de voler, celle de commettre l’adultère, le respect de la parole donnée, l’obligation de réparer le dommage causé à autrui, la protection des plus faibles, la nécessité d’une volonté libre et consciente pour se marier… sont des règles de droit naturel (correspondant aux principes du Décalogue) qui ont été transcrites dans la quasi totalité des droits positifs de l’humanité.

Ainsi, le droit naturel apparaît comme un lien indispensable, un pont entre, d’une part le droit divin et la loi éternelle et, d’autre part, le droit positif et la loi humaine.

Différentes formes de lois

De tout cela découle le fait que le droit naturel doit jouer un rôle essentiel dans la société civile. L’autorité des lois civiles vient en effet de ce qu’elles sont l’application de ce droit naturel appelé « loi naturelle » dont Dieu est l’auteur. Aussi Cicéron dit « L’origine du droit vient de la nature, puis certaines dispositions jugées utiles par la raison deviennent coutumes. Enfin ce que la nature avait établi et la coutume confirmée, la crainte et la sainteté des lois l’ont sanctionné. » (De Invent. Thetor. 2, 33)

Saint Thomas dit que la loi humaine est nécessaire. En effet, si l’homme porte en lui une certaine aptitude à la vertu, une certaine discipline lui est cependant nécessaire pour que sa vertu arrive à la perfection, cette perfection consistant à l’éloigner des plaisirs défendus. C’est pourquoi il faut que les hommes reçoivent d’autrui une discipline par laquelle ils parviennent à la vertu. « Une discipline de ce genre qui oblige par la crainte de la peine est la discipline des lois » (Saint Thomas, Somme Théol., I-II, 9. 1). La loi, application du droit naturel voulu par Dieu ayant pour but de conduire les hommes à la vertu a donc pour objet le bien commun.

Lois justes et lois injustes

Parmi les choses humaines, une chose est dite « juste » parce qu’elle est conforme à la règle de la droite raison qui est la loi naturelle et qu’elle s’applique donc en vue du bien commun. Si la loi humaine dérive en quelque point de la loi naturelle, elle n’est déjà plus une loi mais une corruption de la loi. Selon Saint Thomas, les lois d’institutions humaines sont justes ou injustes.

Les lois sont justes :

  • soit en raison de leur fin (si elles concourent au bien commun)

  • soit en raison de leur auteur (la portée de la loi n’excède pas le pouvoir de celui qui la fait, ou alors ce pouvoir n’est pas légitime)

  • soit en raison de leur teneur (les charges imposées en vue du bien commun doivent l’être dans une égalité de proportion)

Mais les lois peuvent être injustes de deux façons : d’abord en étant contraires aux points déjà indiqués,

  • soit par leur fin (le chef ou le tyran impose des lois non pas en fonction du bien commun, mais de son intérêt propre : cupidité, gloire, …)

  • soit par leur auteur (qui outrepasse son pouvoir)

  • soit par leur teneur (si les charges sont inégalement réparties)

De telles lois sont plus des violences que des lois et n’obligent pas au for de la conscience, sauf peut-être pour éviter le scandale ou le désordre. En ce cas l’homme est tenu de renoncer à son droit.

Les lois peuvent être injustes d’une autre façon : en étant contraires au bien divin. Il n’est jamais licite d’observer de telles lois. Ainsi que le dit Saint Paul « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Actes des apôtres, 5, 29). Ces définitions établies par Saint Thomas nous permettent de déduire que les lois de nos sociétés modernes sont perverties dans leur essence. Nous avions déjà pu constater ce fait. Le premier problème et non le moindre réside dans le fait que depuis 1789 et la déclaration des droits de l’homme, la loi humaine au lieu d’être l’application du droit de Dieu est « l’expression de la volonté générale ». C’est la seule définition, et peu importe que cette loi soit ou non conforme à la loi naturelle, peu importe qu’elle vise ou non le bien commun. La loi humaine s’est déclamée affranchie de l’obligation d’être une traduction concrète des principes généraux de la loi de Dieu. S’il lui arrive de ne pas la contredire, ce sera par l’effet d’une coïncidence et non par celui d’une dépendance librement acceptée. La « modernité » méconnaît entièrement le fait qu’il existe une loi de Dieu énoncée dans le Décalogue et l’Evangile. En matière religieuse, elle ne reconnaît en somme que des opinions, toutes respectables, toutes facultatives; il n’y a d’obligation morale que subjective, celle que chacun s’est formée selon son expérience et sa réflexion. Entre ces subjectivités il est souhaitable que s’établisse un dialogue permettant les échanges, les remises en cause, des enrichissements réciproques. De même, dans notre société, la loi civile est l’expression de la volonté générale et il n’existe rien au-dessus de la loi civile 1.

Enumérer ici les conséquences d’une telle doctrine serait trop long et hors de propos. Il nous suffit d’ouvrir les yeux pour constater l’importance de ces lois injustes auxquelles la vraie loi, celle découlant du droit naturel, nous oblige à résister : divorce, avortement, Pacs…

La loi humaine qui, quand elle est juste, a pour objet le bien commun et dont la discipline est un instrument de perfectionnement, devient au contraire, quand elle est injuste, un instrument fondamental de la perversion de la société.

Bibliographie

MADIRAN (Jean), Court précis de la loi naturelle, Ed. Difralivre.

Marie d’Azens

1

Jacques CHIRAC : « non à une morale qui primerait sur la loi civile et justifierait qu’on se place hors la loi » in Le Monde du 4 avril 1995