Article tiré du numéro 8 de la revue Civitas (mars 2003) : Les droits de l’homme.

Sommaire

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« Droits de l’homme », expression aussi floue qu’incapacitante, invoquée à tout propos, utilisée comme une arme, y compris par ceux qui devraient pourtant savoir ce qui se cache derrière : ils sont devenus la source de la légitimité institutionnelle, consacrés par la loi, sanctionnés par le juge. En France, depuis juillet 1971, le Conseil constitutionnel fait figurer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’août 1789 au nombre des textes servant à contrôler la constitutionnalité des lois. Sa démarche a cependant depuis longtemps quitté le terrain juridique, puisque les juges constitutionnels se font fort de déterminer, selon leurs propres dires, de « nouveaux droits » en application de ladite Déclaration. C’est, sans l’avouer, donner un caractère « religieux » aux droits de l’homme et entrer de plain-pied dans l’idéologie.

Jamais, à leur égard, le lumineux jugement de Mgr Gaume ne fut plus vrai :

« Si, arrachant le masque à la Révolution, vous lui demandez : Qui es-tu ? elle vous dira : «… Je suis la haine de tout ordre religieux et social que l’homme n’a pas établi et dans lequel il n’est pas roi et Dieu tout ensemble ; je suis la proclamation des droits de l’homme contre les droits de Dieu… » 1

L’homme-roi à la place du Christ-roi

L’article premier de la Déclaration des droits de 1789 proclame, on le sait, que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Affirmation réitérée, sous forme méthodologique, à l’article 3, « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation » et à l’article 6, « La Loi est l’expression de la volonté générale ».

Droits de Dieu ou droits de l’homme, ordre ou désordre : il faut choisir  !

Fonder la société sur la seule volonté des hommes, est une chimère dont les conséquences n’ont pas fini de se faire cruellement sentir : « C’est en vain que, inspiré par l’orgueil et l’esprit de rébellion, l’homme cherche à se soustraire à toute autorité ; à aucune époque, il n’a pu réussir à ne dépendre de personne » 2. L’homme ne peut être « libre » au sens de l’idéologie des droits, puisqu’il n’est aucunement autonome, ni quand il naît, ni quand il est adulte.

Animal social, l’homme ne se développe que grâce à la coopération d’autrui dans toute société. Seul le Bien commun peut permettre le bien particulier : « Ce qui réunit les hommes pour les faire vivre en société, c’est la loi de nature ou, plus exactement, la volonté de Dieu auteur de la nature ; c’est ce que prouvent avec évidence et le don du langage, instrument principal des relations qui fondent la société, et tant de désirs qui naissent avec nous, et tant de besoins de premier ordre qui resteraient sans objet dans l’état d’isolement, mais qui trouvent leur satisfaction dès que les hommes se rapprochent et s’associent entre eux » 3. Telle est la vraie science politique chrétienne, à l’exact opposé du « contrat social » de John Locke et de Rousseau.

De la « laïcité »…

Il s’ensuit que l’Etat laïque est un état dégradé, une « dissociété » (Marcel de Corte), oscillant en permanence entre désordre et césarisme, « l’anarchie plus le gendarme », selon Charles Maurras. La loi, livrée à l’arbitraire construction des hommes, en réalité, fruit de minorités organisées (sociétés de pensée, grands intérêts…), ne servira plus à canaliser l’homme vers sa fin surnaturelle, mais à assouvir ses passions déréglées.

L’Eglise catholique, par son Magistère, mère et maîtresse de vérité en matière de théologie et de morale, rappelle les principes devant gouverner les hommes : « En favorisant la prospérité publique, la société civile doit pourvoir au bien des citoyens non seulement en n’opposant aucun obstacle, mais en assurant tous les moyens possibles pour la poursuite et l’acquisition de ce bien suprême et immuable auquel ils aspirent. Le premier de ces moyens consiste à faire respecter la sainte et inviolable observance de la religion dont les justes actes unissent l’homme à Dieu. » 4

Cette vérité naturelle découle d’une vérité surnaturelle, que nous affirmons chaque fois que nous récitons notre Credo et que Saint Paul rappelle dans ses Epîtres : « Il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu » (Rom. 13,1). C’est la raison pour laquelle, il ne saurait y avoir de séparation de l’Eglise et de l’Etat (proposition n° 55 condamnée par le Syllabus), comme le prétendent la loi française du 9 décembre 1905 et l’article 2 de la Constitution actuelle.

… à l’apostasie

Le refus conjoint de MM. Chirac et Jospin en décembre 2000, de rappeler dans le préambule de la Charte européenne des droits fondamentaux, l’héritage chrétien de l’Europe (formule déjà insuffisante en soi), est une apostasie de plus dont les peuples et les dirigeants européens auront à répondre en ce monde… ou dans l’autre. Cette apostasie, officielle et institutionnelle, a des conséquences très pratiques. Si, aujourd’hui le sort de la Turquie, hier janissaire de l’Islam, aujourd’hui réislamisée, est en discussion pour savoir si l’Union européenne doit l’admettre en son sein, c’est parce que l’Europe « n’est pas un club chrétien », comme le dit le premier ministre grec 5.

Si en France et dans d’autres états d’Europe, les pouvoirs publics athées ou « catholiques » modernistes (M. Chirac, p. ex.) se refusent à endiguer les flots d’une immigration massive, c’est parce que celle-ci, qu’elle soit arabe ou africaine d’origine, est (très) majoritairement musulmane. Comment exiger de ces populations l’accomplissement de leur devoir d’état sur place, comment leur demander de se conformer aux principes de la civilisation chrétienne (monogamie, par exemple), comment assurer la paix civile dans ces pays aux ethnies nombreuses, si on les laisse dans l’ignorance de la Foi et des Commandements du Christ ou au minimum si on ne les contraint pas à se conformer aux lois découlant de l’ordre naturel ?

Faire de la France « un territoire de résidence » 6, où toute personne est admise en raison de son « appartenance à l’humanité », renvoie au mythe de la Tour de Babel et fut affirmé, dès l’origine, par la philosophie des prétendues Lumières dont découlent les droits de l’homme : « Le droit cosmopolitique doit se restreindre aux conditions de l’hospitalité universelle » 7. Sur le plan spirituel, l’immigration de masse que connaît aujourd’hui la France est la conséquence autant de son apostasie que de la liberté religieuse de Vatican II qui met sur le même plan, Vrai Dieu, fausses religions et pratiques démoniaques 8.

L’homme-législateur à la place du Christ-législateur

L’idéologie des droits de l’homme postule, on l’a vu, que la loi est l’expression de la volonté générale. C’est-à-dire, très clairement, qu’elle n’est pas le reflet de la loi divine mais découle de la « souveraineté du peuple » : « Quant à la souveraineté du peuple…, si elle est éminemment propre à flatter et à enflammer une foule de passions, elle ne repose sur aucun fondement solide » 9. L’autonomie de la loi humaine par rapport à la loi divine, sous couvert des droits de l’homme, entraîne la destruction de la famille et de la paix publique, bases des sociétés humaines.

Destruction de la famille

L’idéologie des droits de l’homme détruit la Famille, société surnaturelle et naturelle, société-mère de la société humaine et c’est de manière très prophétique que Léon XIII annonçait toutes les législations hostiles que nous connaissons depuis 40 ans : « La société domestique trouve sa solidité nécessaire dans la sainteté du lien conjugal, un et indissoluble ; les droits et les devoirs des époux sont réglés en toute justice et équité ; l’honneur dû à la femme est sauvegardé ; l’autorité du mari se modèle sur l’autorité de Dieu ; le pouvoir paternel est tempéré par les égards dus à l’épouse et aux enfants ; enfin, il est parfaitement pourvu à la protection, au bien-être et à l’éducation des enfants. Dans l’ordre politique et civil, les lois ont pour but le bien commun, dictées non par la volonté et le jugement trompeur de la foule mais par la vérité et la justice » 10.

Au nom de la libéralisation de la société et des « droits de la personne humaine », au sens révolutionnaire, de la diminution des allocations familiales en 1959 à la loi Royal de 2002 sur le nom patronymique, la famille a fait depuis 40 ans l’objet d’une hostilité proprement satanique, quel que soit le gouvernement 11.

Il faut y ajouter l’édifice scolaire de « l’éducation nationale » (expression née sous la Révolution) et qui n’est en fait que l’école sans Dieu, donc sans vraie morale – d’où l’inenrayable vague de violences dans les établissements scolaires – édifice totalitaire renforcé par la loi du 16 octobre 1998 sur « l’obligation scolaire » qui, sous prétexte de viser des écoles « sectaires », veut en fait empêcher tout véritable enseignement catholique hors « contrat d’association », c’est-à-dire d’assimilation à l’enseignement laïque. On n’oubliera pas non plus le démantèlement des nécessaires et bienfaisantes censures en matière de spectacle ou de publications, commencé sous le ministère Malraux dans les années soixante et récemment confirmé : le gouvernement Raffarin a refusé de faire examiner une proposition de loi sur la violence et la pornographie à la télévison présentée par quatre députés de sa majorité, au nom du « droit à la libre expression » rappelé par le ministre Aillagon. Le ministre Sarkozy s’est, dans le même temps, refusé à faire saisir un roman pédophile.

Destruction de la paix publique

Il n’est pas que la politique familiale a subir les assauts infernaux camouflés sous les législations actuelles. La politique pénale, sous l’influence des droits de l’homme et de la « défense sociale nouvelle », est totalement subvertie et la protection de la vie des honnêtes gens est démantelée. Pourtant « la puissance politique n’est faite pour servir l’intérêt de personne et les fonctions publiques doivent être remplies pour l’avantage non de ceux qui gouvernent, mais de ceux qui sont gouvernés » 12. Mais il est vrai qu’on ne peut demander à des pouvoirs publics notoirement corrompus d’être fermes avec délinquants et criminels…

Voici comment le pénaliste Pradel présente cette « défense sociale nouvelle » : « Cette nouvelle doctrine entend non pas défendre la société contre les délinquants…, mais faire passer la défense de la société par celle des délinquants qui doivent être resocialisés… Le juge devra tenir le plus grand compte de la personnalité du délinquant et… prononcer des sanctions… dépouillées de toute idée de blâme et de responsabilité morale. Enfin, la mesure prononcée sera constamment révisable ».

Dans leur Précis de droit pénal publié en 2001, Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation, Frédéric Debove, professeur de droit pénal et François Falleti, procureur général à Lyon, ancien directeur des affaires criminelles et des grâces, affirment : « Cela fait maintenant plus d’un demi-siècle que la défense sociale nouvelle domine les discours officiels en même temps qu’elle inspire les réformes législatives »…

C’est malheureusement exact : de la dépénalisation de multiples infractions entamée en décembre 1958 à la loi Guigou sur la présomption d’innocence en passant par l’abolition de la peine de mort, c’est non moins systématiquement que les gouvernements successifs ont démantelé la protection de la paix publique 13.

L’homme qui se fait dieu au lieu du Dieu qui s’est fait homme

Des « droits » illimités des criminels, reconnus par le législateur, au « droit » sur la vie des innocents, il y a un pas que le législateur des droits de l’homme devait logiquement franchir.

Ce fut d’abord l’oeuvre de la loi Neuwirth en 1967 (dépénalisation de la propagande anticonceptionnelle et autorisation de la pilule), loi dont le Grand-maître maçon Pierre Simon avouera plus tard qu’elle fut élaborée dans les loges, puis de la loi Veil sur l’avortement (I.V.G. est un euphémisme de l’Ennemi) du 15 janvier 1975, entérinée par la loi Pelletier de 1979, remboursée par la loi Roudy de 1982, étendue par la loi Guigou du 4 juillet 2001 (délai porté à 12 semaines de grossesse), sans omettre la loi Aubry du 13 décembre 2000 sur la « contraception d’urgence » (Norlevo).

Les droits de l’homme cultivent la culture de mort, c’est particulièrement vrai en matière de statut de l’embryon et de clonage : « Notre choix est de ne pas traiter la question du statut de l’embryon. Nous ne disposons pas des éléments techniques et éthiques nécessaires pour légiférer dans ce domaine » 14. Paradoxe des paradoxes, la loi Veil est plus précise que l’actuel article 16 du code civil puisqu’elle dispose (art. 1) que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie ». Une dérive semblable concerne l’euthanasie, au nom du « droit de mourir dans la dignité ».

L’Eglise, encore une fois prophète face à l’effrayante propension démoniaque des législations modernes, a répondu par avance à tous les sophismes du « droit à disposer librement de son corps »… et de celui d’autrui : « Ceux qui, dans les nations, tiennent le pouvoir ou élaborent les lois, n’ont pas le droit d’oublier qu’il appartient aux pouvoirs publics de défendre la vie des innocents par des lois et des pénalités appropriées, et cela d’autant plus que ceux dont la vie est en péril et menacée, ne peuvent se défendre eux-mêmes, et c’est assurément le cas, entre tous, des enfants cachés dans le sein de leur mère. Que si les autorités de l’Etat n’omettent pas seulement de protéger ces petits, mais si, par leurs lois et leurs décrets, ils les abandonnent et les livrent même aux mains des médecins ou d’autres, pour que ceux-ci les tuent, qu’ils se souviennent que Dieu est juge et vengeur du sang innocent qui, de la terre, crie vers le Ciel » 15.

Conclusion

Mgr Lefèbvre observe très justement qu’on ne saurait « trop insister sur le rôle providentiel de l’autorité de l’Etat pour aider et soutenir les citoyens dans l’obtention de leur salut éternel » 16. C’est la raison pour laquelle, aucune réforme politique n’est possible dans notre pays, comme chez ses voisins, tant qu’y règnera officiellement l’apostasie, et l’apostasie renouvelée : « Il n’y a pas de loi morale supérieure à la loi légale », tel est le « credo » de nos dirigeants actuels 17.

Une fois de plus, c’est vers le Saint Pape du XXème siècle qu’il faut nous tourner pour (re)trouver la clé de la restauration sociale : « Non, la civilisation n’est plus à inventer, ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est. C’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer et la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété. Omnia instaurare in Christo. » 18

Thierry Martin

1

Mgr Gaume, La Révolution, recherches historiques sur l’origine et la propagation du mal en Europe, tome I, page 46.

2

Léon XIII, Encyclique Diuturnum illud sur l’origine du pouvoir civil.

3

Léon XIII, Encyclique Diuturnum illud sur l’origine du pouvoir civil.

4

Léon XIII, Encyclique Immortale Dei sur la constitution chrétienne des Etats.

5

Costas Simitis, premier ministre grec, Le Monde, 9 janvier 2003.

6

Expression de la proposition de loi de Noël Mamère, Assemblée nationale, mai 2000, reprise de résolutions votées par le Parlement européen.

7

Emmanuel Kant, Projet pour une paix perpétuelle, 1795, ch. VIII, § 358.

8

La disparition de la France comme nation souveraine et la submersion de sa population de souche chrétienne sont, de longue date, l’objectif des milieux maçonniques car l’intention qui le sous-tend est religieuse : détruire la Fille aînée de l’Eglise, bras armé de la Chrétienté depuis Clovis.

9

Léon XIII, Encyclique Immortale Dei sur la constitution chrétienne des Etats.

10

Léon XIII, Encyclique Immortale Dei sur la constitution chrétienne des Etats.

11

Sans prétendre être exhaustif, on retiendra en novembre 1959, l’indexation des prestations familiales sur l’évolution du coût de la vie (fixé par les gouvernants) et non plus sur l’évolution des salaires, la loi du 13 juillet 1965 supprimant l’autorité paternelle, la loi du 4 juin 1970 sur le nouveau divorce (élargissement des cas de « faute »), la loi du 3 janvier 1972 portant statut unique pour l’enfant légitime et l’enfant naturel, en août 1974, l’abaissement de la majorité civile à 18 au lieu de 21 ans, la loi du du 11 juillet 1975 sur le divorce par « consentement mutuel », en octobre 1981, l’abaissement de la majorité sexuelle à 15 ans (bien utile pour les pédophiles !), la loi du 22 juillet 1987 sur le « maintien de l’autorité parentale » en cas de divorce, « quel que soit le devenir du couple » et la « garde conjointe », la loi du 8 janvier 1993 sur l’autorité parentale conjointe ou « coparentalité », la loi du 15 novembre 1999 sur le PACS, la loi du 3 décembre 2001 mettant fin aux discriminations successorales à l’égard des enfants adultérins, la loi du 4 mars 2002 sur la transmission du nom patronymique (plus d’obligation de donner le nom du père à l’enfant).

12

Léon XIII, Encyclique Diuturnum illud sur l’origine du pouvoir civil.

13

En témoignent la création du juge de l’application des peines (loi du 23 décembre 1958), l’instauration du contrôle judiciaire, loi du 17 juillet 1970, la loi sur les peines de substitution à l’emprisonnement du 11 juillet 1975, la loi du 6 août 1975 sur la détention provisoire, la loi du 4 août 1981 supprimant la Cour de sûreté de l’Etat, la loi du 9 octobre 1981 abolissant la peine de mort, le Nouveau code pénal, commencé en 1978 qui aboutit au projet Badinter de février 1986, mis en application par le gouvernement Balladur au premier mars 1994, la loi du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits, la loi Guigou du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence.

14

Michel Sapin, garde des Sceaux, Le Monde, 19 décembre 1991.

15

Pie XI, Casti connubii, sur le mariage chrétien.

16

Mgr Lefèbvre, Un évêque parle, t. II, p. 94.

17

Jacques Chirac, Le Monde, 14 avril 1995.

18

Saint Pie X, Lettre Notre charge apostolique sur le Sillon.