Sermon prononcé à l’occasion de la fête du Christ-Roi en octobre 2001.

Sommaire

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La fête du Christ-Roi

Cette fête du Christ Roi – que nous célébrons aujourd’hui – a été introduite par le pape Pie XI en 1925. Etait-ce une innovation ? La Royauté du Christ, était-elle une vérité nouvelle ? Pie XI a-t-il introduit dans le calendrier liturgique une dévotion nouvelle ? En fait, non ! Car la fête traditionnelle de la Royauté du Christ est une des plus anciennes de l’Eglise, au moins aussi ancienne que celle de Noël. La fête traditionnelle de la Royauté du Christ, c’est la fête de l’Epiphanie. Car dans l’hommage des trois rois, nous voyons l’hommage de tous les peuples et de tous les princes, au Roi des rois. Les mages offrent l’or à Jésus pour reconnaître sa Royauté.

Quelle a donc été l’intention de Pie XI en introduisant cette fête du Christ Roi ? C’est qu’un des aspects de la Royauté du Christ était en train de tomber dans l’oubli. A une époque de laïcisme et d’athéisme, il fallait et il faut rappeler ce qui autrefois était évident pour tout chrétien, à savoir que le Christ règne sur la société. Si la religion et la vie politique, si l’Eglise et la société civile sont distinctes,elles ne sont pas séparées. Il faut savoir gré à Pie XI de l’avoir rappelé dans cette magnifique encyclique.

Les sources de la royauté du Christ

Les sources de cette Royauté, c’est l’Incarnation et la Rédemption. Le Christ est roi parce qu’il est Dieu et homme. Et le Christ est roi parce qu’il est Rédempteur.

Le Christ est roi, parce qu’il est Dieu et homme. Parce qu’il est Dieu, il est roi et parce qu’il est homme, il est un roi humain. Son règne est le règne d’un homme. La nature humaine du Christ est investie de la royauté car elle est celle d’un Dieu et donc d’un roi. La royauté du Christ n’est pas seulement la royauté de Dieu mais elle est, bel et bien, la royauté d’un homme véritable, possédant un corps et une âme. Royauté d’un homme qui peut dire en toute vérité : « tout pouvoir m’a été donné au Ciel et sur la Terre », car même s’il possède la puissance absolue comme Dieu, il peut dire qu’elle Lui a été donnée selon sa nature humaine. Et donc, Sa royauté n’est pas seulement spirituelle mais aussi temporelle car l’homme vit dans le temps. L’homme n’est pas un pur esprit et la royauté du Christ s’étend sur tout le champ de la vie humaine, sur la vie individuelle, personnelle et aussi sur la vie sociale et politique.

En effet, l’homme est social. La société est co-naturelle à l’homme, c’est-à-dire que l’homme est nécessairement social par nature. Si le Christ règne sur les hommes, il règne sur toutes les réalités humaines et donc sur les sociétés.

Le Christ est roi parce qu’il est rédempteur. L’homme ne peut se sauver que par Jésus-Christ. L’homme ne peut accéder à la vie surnaturelle, à la vie éternelle que par Jésus-Christ. Il est l’unique médiateur. L’homme ne peut donc être sauvé de la mort éternelle et délivré de son péché, que par le recours à Jésus-Christ. La nature, autrement dit, ne peut être guérie que par la Grâce. Sans la Grâce et donc sans Jésus-Christ, il est impossible de s’abstenir du péché de façon durable et sérieuse. Même en cette vie, même pour la vie d’ici-bas, l’homme a besoin de Jésus-Christ pour combattre le mal et faire le bien. Et par conséquent, la vie sociale, la vie politique elle-même, ne peuvent pas se passer de Jésus-Christ, sous peine de destruction, d’auto-destruction, pourrait-on dire.

C’est ce que répondait le cardinal Pie à Napoléon III : « Sire, je ne sais pas si le moment est venu pour Jésus-Christ de régner, je ne suis pas un politique ! Vous êtes un politique. Vous me dîtes que le moment de Son règne n’est pas venu, je ne peux pas vous répondre. Mais ce que je sais, c’est que si le moment n’est pas venu pour Jésus-Christ de régner, alors le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer. »

Sans le Christ, la société ne peut pas durer et ne peut pas assurer le bien commun.

Ainsi donc, le Christ est roi de la société, parce qu’il est Dieu et parce qu’il est Rédempteur. Telle est la source de la doctrine politique de l’Eglise, car l’Eglise a une doctrine politique.

La doctrine politique de l’Eglise

L’Eglise n’a pas de programme politique. Elle n’a pas de solutions concrètes à proposer aux problèmes actuels ; encore moins, peut-elle donner des consignes électorales. Mais elle a une doctrine, c’est-à-dire des principes fondamentaux quant à la nature et aux buts de la société et du gouvernement. Et cette doctrine politique de l’Eglise ne date pas de Léon XIII. L’Eglise n’a pas attendu le XIXème siècle, pour se préoccuper de la justice, de l’économie, du capitalisme, du libéralisme et du gouvernement des peuples. Toute la renaissance de la civilisation après les invasions barbares, toute l’œuvre du magistère et des théologiens, toute la construction qui a été faite par les moines et par les évêques, est là pour témoigner de l’existence de la fécondité et de la vitalité de la doctrine politique de l’Eglise – doctrine qui fut vécue avant même d’être explicitée. Il nous faudrait alors exposer toute l’histoire de la chrétienté depuis l’origine, c’est-à-dire depuis les persécutions jusqu’à nos jours. Toute l’histoire de l’Eglise, en fait !

Quel est l’enseignement politique de l’Eglise ? Quel rapport, il y a-t-il entre l’Eglise et l’Etat ? En fait, et nous l’avons déjà dit, le Christ règne sur la société ; l’Etat est soumis au règne du Christ ; ce qui veut dire pratiquement que la religion catholique – qui est la religion du Christ – est la religion officielle de l’Etat. L’Etat est catholique. Les magistrats ne sont pas seulement catholiques à titre privé – leur vie privée n’est pas en question ici – mais ils le sont dans l’exercice même de leurs fonctions. L’Etat ne peut pas être séparé de l’Eglise. Cette profession officielle de religion de la part de l’Etat, entraîne le respect de la loi de Dieu dans les affaires publiques.

Le Décalogue face à la Déclaration des droits de l’Homme

Le Décalogue est la charte et le fondement de l’Etat. Ce n’est pas la Déclaration des droits de l’homme mais le Décalogue qui est la loi fondamentale de l’Etat. Et par conséquent, l’Etat veille au respect de la morale naturelle. Les lois sont l’application concrète et particulière du Décalogue. L’économie, le travail, la famille, en un mot la morale publique, sont conformes aux exigences de la justice et de la loi de Dieu. L’Etat réprime l’immoralité et facilite la pratique du bien. C’est pourquoi, l’Etat catholique n’admet pas la propagande immorale et anti-religieuse. Il s’oppose à la propagation et à la profession publique de l’erreur et donc éventuellement de l’hérésie et de l’infidélité. Les fausses religions et les fausses philosophies sont les ennemis publics – ennemis aussi bien de l’Eglise que de l’Etat. L’erreur n’a aucun droit. Les fausses religions n’ont aucun droit. Il n’y a pas de droit naturel à la liberté religieuse pour toutes les religions indistinctement.

Seule, l’Eglise catholique possède d’elle-même ce droit à la liberté religieuse. Et nous pourrions citer, ici, une foule de documents de la Tradition et du magistère. Cela veut-il dire que l’Etat catholique exercerait une persécution à l’égard d’autres religions ? Notons tout d’abord que l’intime de la conscience et la vie privée de la famille ne sont pas du ressort de l’Etat et qu’il ne peut donc pas intervenir. C’est pourquoi l’Eglise n’a jamais admis les Dragonnades de Louis XIV, pas plus que certains procédés de l’empereur Charlemagne qui attaquaient le for intime de la conscience ou le for intime des familles. Mais il est vrai que la propagande et la profession publique d’hérésies ou de fausses philosophies n’ont aucun droit à exister. Et si l’Etat catholique les tolère, c’est pour éviter un plus grand mal que serait une guerre civile ou une brisure de la société.

L’Etat peut tolérer l’hérésie. L’état peut tolérer les fausses religions, oui, mais il les tolère comme un mal, comme il tolère les « maisons de tolérance » ! C’est la prudence politique ici, qui intervient, ce n’est pas le droit naturel. Et si l’Etat protège la religion, si l’Etat protège l’Eglise, l’Eglise a son tour assure le bien de la Société. C’est l’Eglise qui est le ferment de la civilisation. C’est la religion qui fonde les vertus sans lesquelles l’Etat ne saurait subsister : honnêteté, piété, patriotisme, sacrifice, justice, tout cela en définitive est fondé sur le Christ et sur l’Eglise. L’équité des magistrats, la fidélité des soldats, l’entraide et la solidarité entre les citoyens, voilà ce que l’Eglise apporte à l’Etat.

L’autorité

Nos patries, nous pouvons le constater historiquement, ont été faites par les saints : saint Rémi, sainte Jeanne d’Arc, saint Nicolas de Flüe, saint Etienne de Hongrie… l’Etat et l’Eglise, s’ils sont distincts, ne sont pas séparés. Et la première victime de la séparation et de la laïcité, ce sera l’Etat. C’est l’Eglise qui est à l’origine de la civilisation. C’est l’Eglise qui est à l’origine des plus beaux fleurons de la civilisation que sont les cathédrales, les universités et nous pourrions passer en revue tous les arts – et la musique en particulier. L’autorité aussi repose sur l’Eglise. Non pas que le clergé ait à exercer une autorité politique : catholique ne veut pas dire clérical, et le clergé est plutôt incompétent en pareille matière, sauf exception. Mais c’est l’Eglise qui donne à l’autorité son caractère sacré. Car l’autorité, même l’autorité civile, est exercée au nom de Dieu : « Non est potesta nisi a Deo » dit Saint Paul, « Il n’y a pas de puissance qui ne vienne de Dieu. »

L’autorité, celle du prince comme celle du père de famille, est sacrée, ce que l’Eglise a toujours reconnu. Nous en voyons le témoignage par l’onction du sacre royal, et dans les cérémonies religieuses qui accompagnaient la réunion des Landsgemeinde dans la Suisse primitive. L’Eglise rend sacrée et légitime l’autorité. Le pouvoir est de droit divin que ce pouvoir soit monarchique, aristocratique ou démocratique. Il s’exerce toujours au nom de Dieu, toujours au nom du Dieu tout puissant que l’Eglise représente. « Au nom du Dieu tout Puissant, Père, Fils et Saint-Esprit » ainsi commençait l’ancienne constitution de la Confédération Helvétique. Même en démocratie, le pouvoir est sacré.

C’est pourquoi, si le choix des magistrats et des programmes politiques peut être objet d’élection – et ceci, ne s’oppose en rien à la doctrine de l’Eglise – la doctrine politique elle-même, la morale et la religion ne peuvent pas être objets d’élection. La démocratie telle que l’Eglise l’accepte, c’est celle qui reconnaît la royauté du Christ, la souveraineté du Christ. Et si donc, l’unité doctrinale d’un pays est insuffisante alors la démocratie devient un fléau, car ce ne sont plus les hommes et les programmes qui sont élus – ce qui serait tout à fait normal – mais c’est notre Seigneur Jésus-Christ, Lui-même, qui est mis au rang des faux prophètes, des fausses doctrines. La démocratie peut-être sacrée si elle est catholique, sinon elle est perversité.

Familles et corps politiques

La famille est le siège de la première autorité. Celle qui est présupposée à tout autre autorité sociale et qu’aucune ne peut supprimer : l’autorité du père de famille. L’Etat protège et soutient l’autorité familiale. Il doit lui laisser les moyens de vivre et de s’épanouir. C’est sur la liberté de la famille, sur les droits de la famille que se fondent la propriété familiale, la législation du travail, la législation économique. Economie veut dire étymologiquement « la loi de la maison », autrement dit l’économie est pour les familles, elle n’est pas pour la puissance des individus, elle n’est pas pour la puissance de l’Etat, elle n’est pas pour la puissance des sociétés multinationales.

Enfin, entre la famille et l’Etat, il existe une foule, un tissu complexe et varié de sociétés intermédiaires. Ces sont les entreprises, les métiers, les professions, les communes, les provinces, les cantons… Toutes ces sociétés ont des noms divers, selon les circonstances historiques et géographiques, mais peu importe. Ce sont elles qui constituent toute la vie, quasi biologique, du corps social. Ce ne sont pas les subdivisions administratives, mais chacune est souveraine en son domaine. La société catholique, la cité catholique, est l’inverse de l’Etat moderne centralisateur où l’individu n’est qu’un élément. La société catholique est un organisme vivant composé de multiples cellules unies dans l’Etat, par l’Eglise. C’est pourquoi saint Pie X, dans sa lettre Notre charge apostolique, lettre qui condamnait le Sillon, disait ceci : « On ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l’a bâtie. On n’édifiera pas la société, si l’Eglise n’en jette les bases et n’en dirige les travaux. Non, la civilisation n’est pas à inventer, ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées ! Elle a été, elle est. C’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique ! Il ne s’agit que de l’instaurer et la restaurer sans cesse, sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété. Omnia instaurare in Christo ! »

La grande tentation

Et nous nous posons tout de suite une question, comment ? Comment opérer cette instauration, cette restauration ? La tentation est forte, bien sûr, aujourd’hui, de considérer cette doctrine, comme un pieux rêve dépassé, un idéal utopique. C’est impossible, diront certains. Beaucoup de catholiques disent : « L’Eglise doit abandonner ses prétentions. Elle doit se contenter d’une humble place dans le cadre de la démocratie libérale ou socialiste. Elle doit se mettre au rang des autres religions. Elle doit se contenter d’un siège, ou d’un strapontin, dans ce qui serait comme une union des religions. Bien plus, non seulement l’Eglise doit se contenter d’une place secondaire, mais on fait entendre à ses oreilles, cette tentation que notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même, a entendue dans le désert… La troisième tentation du désert : « Omnia tibi dabo, si cadens adoràveris me. Je te donnerai tout cela, si tombant à mes pieds, tu m’adores ! » Je te donnerai tout cela, je te ferai respecter et admirer ô Eglise, je t’apporterai l’hommage des peuples ô Eglise, moi la démocratie, moi la révolution, si cadens adoraveris me ! si tu t’abaisses et si tu m’adores ! c’est le fameux rapprochement blasphématoire de l’Evangile et de la révolution : Vade Satana ! »

Nous ne trahirons pas l’Eglise. Nous ne trahirons pas le Christ. Nous refusons cette apostasie. Nous refusons cette trahison, trahison de l’Eglise et trahison de nos patries, car nous savons que le salut de nos patries passe par la Rédemption, passe par le Christ ! Cette doctrine du Christ-Roi, nous la tenons et nous la prêchons et nous savons que la vérité est forte par elle-même et qu’il n’y aura pas d’autre solution au salut de la société, que la restauration de la Chrétienté.

Comment assurer la place du Christ-Roi aujourd’hui ?

Que faire concrètement alors, aujourd’hui ? Eh bien, d’abord prier ! Prier, car nous savons que tous les actes humains dépendent en définitive de Dieu. Priez donc ! Priez Notre Dame du Rosaire ! Priez la Vierge de Lépante ! Car nous ne devons pas oublier que ce qui est vrai de l’action apostolique est aussi vrai de l’action politique, à savoir qu’elle doit être le fruit de la vie intérieure. Une action politique, qui n’est pas fondée sur la vie intérieure, est vouée au départ à l’échec. Prier, mais agir également ! La piété est utile à tout mais elle n’est pas suffisante. On dit bien parfois que le Rosaire est un fusil à cinquante coups. Mais la bataille de Lépante n’a pas été gagnée uniquement par lui !

Que faire ? Il faut se souvenir que le pouvoir ne se prend pas, mais qu’il se reçoit. Or il faut bien avouer qu’aujourd’hui, les catholiques n’ont pas parmi eux suffisamment d’hommes capables de s’imposer par leurs compétences doctrinales, professionnelles, économiques et politiques. La piété ne suffit pas. La première tâche sera donc, pour nous, de former des élites qui le soient non seulement par la piété, mais aussi par leurs compétences… Compétences en premier lieu dans leurs devoirs d’état et compétences doctrinales, compétences dans l’aptitude au gouvernement. Alors ces élites pourront un jour assumer des responsabilités qu’on sera trop heureux de leur confier quand il deviendra évident qu’ils seront les seuls, par le Christ et par la doctrine de l’Eglise, à pouvoir sauver la Société du désastre.

Elite qu’il faut former : que ce soit dans les mouvements de jeunesse, que ce soit dans des cercles de chefs de famille. Que des chefs de famille se réunissent pour étudier la doctrine de l’Eglise et pour se concerter sur la situation politique de leur pays et envisager des solutions concrètes qui porteront des fruits dans l’avenir. Pie XII appelait fréquemment à la constitution de ces cercles de chefs de famille. Pour cette restauration de la Chrétienté, nous devons pouvoir compter sur tous les hommes de bonne volonté. En ce monde, ici bas, rien n’est absolument pur, à part la vie intérieure, en ce monde rien n’est absolument pur, rien n’est absolument saint. A ne vouloir que la perfection, surtout en politique, on se condamne au sectarisme, à l’isolement et à l’échec.

La cité médiévale s’unissait dans la construction des cathédrales. Aujourd’hui, ce n’est pas une cathédrale de pierres qu’il faut construire, parce qu’il faut d’abord construire la cathédrale politique, avant de construire la cathédrale de pierres. Puisse-t-il y avoir en nous, cette énergie des grands bâtisseurs, cette force, cette charité en un mot qui est le principe de la divinisation du monde. Charité ! Charité personnelle, sans doute, mais aussi charité politique ! Le mot est des souverains pontifes, eux-mêmes : « Charité politique » qui fera de la cité terrestre, la préparation de la cité céleste.

Frère Bernard Rulleau o.s.b.