Article tiré du numéro 3 de la revue Civitas (décembre 2001) : L’Etat.

Sommaire

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Les principaux éléments qui permettent de définir le bien commun

La société politique, faite pour l’homme pris en tant qu’animal social et politique, a pour finalité le Bien commun. Sans lui, il est difficile pour l’homme d’atteindre sa perfection d’être et d’accéder à son bien propre, à savoir la jouissance de DIEU. Le Bien Commun n’est pas la somme des biens particuliers mais il contient les conditions d’ordre à la faveur desquelles chaque membre pourra atteindre cette perfection d’être et son bien propre. Il y a la recherche d’un bonheur commun, d’un bien vivre qui se manifeste dans l’harmonie des agirs et la perfection de l’amitié politique.

L’article présente les éléments qui composent le Bien Commun et permettent de comprendre en quoi il n’est pas la somme des biens particuliers mais un bien universel et communicable. Finalité de la société politique, il est cependant qu’une finalité intermédiaire. Principe de la vie communautaire, il est pour une large part spirituel. Enfin, le Bien Commun s’impose à tous les membres de la société. Il s’ensuit que celui qui jouit de l’autorité doit avoir « l’intention habituelle et efficace » de poursuivre le bien commun. En conclusion, le Bien Commun, par l’eurythmie de la société toute entière qu’il permet, s’avère être l’instrument approprié de notre plénitude en tant que sujet politique.

Qu’est-ce que le bien commun politique ? 1

Ce qu’il est, ce qu’il permet, les conditions de son accessibilité

Une société politique a une finalité qui est le bien commun. Saint Thomas d’Aquin nous dit dans son traité politique, le De regno : « L’homme a été créé sans que la nature ne lui procure rien de tout cela, à savoir : la nourriture, un vêtement…, des moyens de défense… » 2 On en déduit que ces biens matériels indispensables sont des éléments procurés par la société lorsqu’elle poursuit sa finalité, le bien commun temporel.

Mais ce bien commun n’est accessible que sous certaines conditions, en particulier l’existence d’une autorité. « Il faut donc, outre ce qui meut au bien propre de chacun, quelque chose qui meuve au bien commun du nombre… Ceci montre manifestement que la notion de roi implique qu’il n’y ait qu’un seul homme qui gouverne et qu’il soit un pasteur recherchant le bien commun de la multitude… » 3

Le bien commun ne permet pas seulement la suffisance des biens matériels : « …le roi doit veiller principalement à la manière dont la multitude qui lui est soumise mènera une vie bonne. » 4 « …Or une vie bonne est une vie selon la vertu ; la vie vertueuse est donc la fin du rassemblement des hommes en société. » 5

Le bien commun temporel est certes une finalité mais cette finalité n’est qu’intermédiaire : « la fin dernière de la société n’est donc pas de vivre selon la vertu, mais d’atteindre, par la pratique de la vertu, la jouissance de Dieu. » 6

Des éléments qui complètent notre première approche du Bien Commun

Un bien moral mais aussi un principe d’ordre qui s’applique à toutes les activités de l’homme pour atteindre sa perfection d’être.

Autres définitions du bien commun

« … toute l’activité politique et économique de l’Etat est ordonnée à la réalisation durable du bien commun, c’est à dire de ces conditions extérieures nécessaires à l’ensemble des citoyens pour le développement de leurs qualités, de leurs fonctions, de leur vie matérielle, intellectuelle et religieuse. » 7

« Or, ce bien commun, c’est-à-dire l’établissement de conditions publiques normales et stables, telles qu’aux individus aussi bien qu’aux familles il ne soit pas difficile de mener une vie digne, régulière, heureuse, selon la loi de Dieu, ce bien commun est la fin et la règle de l’Etat et de ses organes. » 8

Le bien commun temporel n’est pas seulement matériel

« Sans nul doute, ce bien commun, dont l’acquisition doit avoir pour effet de perfectionner les hommes, est principalement un bien moral. » 9

« Ce bien commun naturel qui est ainsi principe premier de la vie communautaire est, à l’encontre de ce que l’on pense, pour une large part spirituel. » 10

Commentaire sur la définition du bien commun de saint Thomas d’Aquin

« Le bien spécifiquement humain est la connaissance de ce qui est vrai (bien de l’intelligence) et la poursuite du bien moral (bien de la volonté). Ces biens nécessitent pour être atteints la suffisance des biens matériels mais aussi la possession de la vertu. En effet, la vertu est ce qui permet à 1’intelligence et à la volonté d’atteindre facilement ce pour quoi elles sont faites.

Le bien humain ne sera donc pas seulement l’opération de l’intelligence ou l’opération de la volonté mais l’opération de ces facultés selon la vertu qui les perfectionne. Voilà donc quelle sera la fin – la fin et le bien étant identiques – de la multitude rassemblée en société politique. »11

Contenance de l’idée de bien commun temporel

« Le bien commun est d’abord chose commune en ce qu’il est un capital accumulé de valeurs humaines et culturelles, legs que se transmettent les unes aux autres les générations successives. Ensuite les citoyens acquièrent cet autre bien commun qu’est l’ordre ou la structure de leur activités.

Troisièmement, si l’on considère que l’ordre de la justice n’a d’efficace et de durée que lorsqu’il est fixé dans des lois, on constate que le régime politique lui-même est un bien commun.

Si après cela, on met toutes les institutions économiques, culturelles et politiques, nées de la vie commune, en rapport avec le bien supérieur produit et diffusé dans la nation, on s’aperçoit qu’elles sont en définitive utilités communes et pour autant biens communs. Enfin il y a encore d’autres biens qui sont forcément le produit d’une initiative commune, telles l’union, l’autorité, la paix. »12

Le Bien commun objet de la justice sociale qui s’impose à toute autorité politique

Charte de toute autorité légitime, la poursuite du Bien Commun structure, oriente et garantit la vie de l’homme conformément à la loi naturelle et divine

Quand l’autorité politique est ordonnée au bien commun elle est légitime et il lui revient de commander les citoyens

« Quand les choses sont ordonnées à une fin, elles tombent sous la juridiction de celui auquel convient principalement cette fin, ainsi qu’il apparaît dans une armée : toutes les parties de l’armée et leurs opérations sont ordonnées au bien du chef, qui est la victoire, comme à une fin dernière ; et pour cette raison, il revient au chef de gouverner toute l’armée. » 13

Il s’ensuit que celui qui jouit de l’autorité doit avoir l’intention habituelle et efficace de poursuivre le bien commun. Lorsque le chef de l’armée ne vise plus réellement la victoire (ie le bien commun) il perd objectivement sa légitimité.

Bien commun et justice

« Dés lors, plus le gouvernement s’éloigne du bien commun et plus il est injuste. » 14

Bien commun et lois

« De sorte que le bien commun est l’agencement rationnel des fins de l’agir particulier, afin que soit réalisé avec le plus d’intégrité possible le bien de la raison, objectif ultime de la vie. Et pour que cet arrangement, pour que cet ordre des fins ait la stabilité qui convient à un bien de civilisation, la prudence politique 15 enclôt l’action collective dans un système de lois. » 16

La défense du bien commun contre l’invasion est partie intégrante du bien commun

« Un troisième empêchement à la conservation du bien commun a une cause extérieure : c’est le cas où, par une invasion de l’ennemi, la paix est détruite et parfois, le royaume ou la cité anéantis de fond en comble… En troisième lieu le roi a (donc) la charge de mettre en sécurité, contre les ennemis, la multitude qu’il commande. » 17

Le bien commun temporel contre la liberté politique en matière religieuse

« Quelle figure ferait celui qui affirmerait que les personnes chargées du bien commun doivent se préoccuper exclusivement des arts, des sciences, de l’agriculture, du commerce ? » 18

« Le bien commun est beaucoup plus vaste que l’ordre public. Il comporte d’autres biens, et plus importants, comme sont la vérité et la vertu, et encore la juste ordination des citoyens et de la société par rapport à Dieu, auteur de la société. Par suite, la vérité religieuse à acquérir, à conserver, à défendre, relève de la fin naturelle de l’Etat. D’ou il suit que les limites de la liberté (politique en matière) religieuse ne sont pas seulement les nécessités de l’ordre public, mais aussi et surtout les nécessités de la vérité religieuse. » 19

Primauté du bien commun contre l’erreur personnaliste

« Le bien commun est un concept typiquement éthique, et non ontologique. 20 De ce que quelque bien privé est meilleur que quelque bien commun, comme c’est le cas de la virginité meilleure que le mariage, on conclut que quelque bien privé pris comme bien privé est meilleur que quelque bien commun pris comme bien commun ; que (par suite) le bien privé comme tel peut avoir une éminence qui échappe au bien commun comme tel ; (et enfin) qu’on peut dès lors préférer un bien privé à un bien commun, parce qu’il est privé. Nier par cette voie tous les premiers principes, quoi de plus facile ? » 21

Conclusion

Le Bien Commun ordre pour l’accomplissement total du sujet politique

Le bien commun n’est donc pas seulement un ensemble de conditions subordonnées à l’épanouissement de chaque individu dans la cité. Il est lui-même l’ordre de celle-ci, ordre qui accomplit chacun de ses membres. C’est dans la mesure où le bien commun est réalisé que chacun s’accomplit effectivement, dans l’ordre, la communauté humaine ainsi parfaite représentant alors effectivement un certain degré de perfection de l’espèce. Dire que l’homme est par nature un animal social, et que cette socialité est au premier chef politique, c’est dire qu’il n’est pleinement homme qu’en existant comme sujet politique. Et c’est dire du fait même que le bien commun politique est l’instrument de cet accomplissement.

Citations recueillies par Yves Chrétien

1

« bien » est employé ici dans son sens métaphysique et non pas moral ou même économique. Sur la notion de bien commun temporel, on lira avec profit Esquisse d’une question sur le bien commun in Sel de la terre n°3

2

Thomas d’Aquin st : De regno I, 1 (abréviation DR).

3

DR I, 1.

4

DR I, 15 éd EGF p 118, éd Luf p 125, éd Téqui p 101, éd Sicre p 92 : « le roi… doit donc porter son principal effort sur la manière dont la multitude de ses sujets pourra observer une vie conforme au bien honnête ».

5

DR I, 14 éd EGF p 109, éd Luf p 118, éd Téqui p 97, éd Sicre p 86.

6

DR I, 14 éd EGF p 110, éd Luf p 119, éd Téqui p 98. Le bien commun est une fin intermédiaire : cf. Journet Charles La juridiction de l’Eglise sur la cité éd DDB 1931 p 86 : « …la fin intermédiaire, absolument parlant est fin, c’est-à-dire désirable pour elle-même, et d’une certaine manière moyen, c’est-à-dire désirable pour autre chose, tandis que le pur moyen est désirable uniquement pour autre chose. »

7

Pie XII : 24 12 1942 radio-message au monde entier La paix intérieure des nations éd Desclée p 425

8

Pie XII : 08 01 1947 allocution au patriciat romain La paix intérieure des nations éd Desclée p 512

9

Léon XIII : Rerum novarum du 15 05 1891

10

Lachance Louis : L’humanisme politique de saint Thomas d’Aquin – Individu et Etat éd Lévrier 1965 p 234

11

Paxent Louis

12

d’après Louis Lachance op cit p 239

13

Thomas d’Aquin st : S contra Gent. III, 64 cité par Jean Madiran in Le principe de totalité éd NEL 1963 p 32

14

Thomas d’Aquin st : DR I, 3

15

Science politique et prudence politique s’intéressent au domaine de l’agir humain. Mais il y a entre l’une et l’autre la distinction qui existe entre connaissance universelle et connaissance singulière.

16

Lachance Louis : op cit p 243. Saint Thomas explique que la loi humaine commande au citoyen, non pas tous les actes de toutes les vertus mais seulement ceux qui peuvent concourir au bien commun, immédiatement ou médiatement (I, II q 96 a3).

17

Thomas d’Aquin st : DR 1, 15. Saint Thomas revient avec insistance dans tout le De regno sur la sécurité de la société humaine. Cf. également, par exemple, Carl Schmitt La notion de politique éd Calman Lévy 1989 : « L’Etat est cette instance qui désigne l’ennemi… » et Werner Eric : L’avant-guerre civile éd L’âge d’homme 1999

18

Billot cardinal : De Ecclesia Christi q XIX, art 1 § 3 cité par A de Lassus La liberté religieuse AFS 1996 p 23

19

Florit cardinal : cité par B. Lucien p.285 d’Etudes sur la liberté religieuse éd FDLF 1990

20

Utz Arthur op : Ethique sociale éd universitaires Fribourg 1960 p.37. L’éthique est la science de l’agir humain ; la question éthique est Que dois-je faire pour bien faire ? (Petite encyclopédie philosophique Mourral-Millet éd universitaires 1993 p.110). Par contre l’ontologie est l’étude de l’être en tant qu’être ; la question ontologique est Qu’est-ce que le réel ?

21

De Koninck Charles : De la primauté du bien commun contre les personnalistes – Semaine religieuse du Québec 1942