Article tiré du numéro 4 de la revue Civitas (mars 2002) : L’Etat.

Sommaire

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Aperçu géographique

C’est un grand pays, du moins à l’échelle des approches de notre continent, puisqu’il a une surface de 780 000 kilomètres carrés (une fois et demie la France métropolitaine) et qu’il est peuplé de soixante trois millions d’habitants, presque tous musulmans. La Turquie, réduite depuis 1920 au plateau anatolien et à une tête de pont européenne autour d’Istanbul, est généralement aride, souvent montagneuse et ne recèle pas de grandes richesses naturelles.

Verrou des détroits du Bosphore, donnant sur deux mers, la Méditerranée et la Mer Noire, ce pays, à forte personnalité et à l’histoire prestigieuse, est au carrefour entre les influences européennes, perses, arabes et russes. Il est un des acteurs principaux des problèmes du Caucase et peut contrôler le débouché des oléoducs de l’Irak et de la mer Caspienne vers l’Europe. Enfin, le plateau anatolien et les montagnes de l’est sont le « château d’eau » des deux grands fleuves du Croissant fertile : le Tigre et l’Euphrate, ils représentent donc un des acteurs majeurs de la « grande bataille de l’eau » qui s’annonce au Proche Orient.

Aspects religieux et spirituels

Etat officiellement laïque, mais pourvue d’une population pratiquant un islam sunnite assez modéré, la Turquie est cependant traversée depuis une vingtaine d’années par de puissants courants fondamentalistes issus du wahhabisme saoudien. De plus, considérant que son pays a été dépecé depuis le traité de Sèvres de 1920, l’élite Turque est orpheline de la splendeur de l’Empire ottoman, qui, au XVIIIe siècle, régnait de Sarajevo à Alger, via Jérusalem, Riad, Mossoul et Le Caire.

La Cappadoce, berceau d’une des plus anciennes chrétientés du globe est maintenant vide de chrétiens et il est inutile de revenir sur le génocide des Arméniens en 1915 1, qui s’explique plus pour des raisons politiques que purement religieuses. Ainsi, la chrétienté de Turquie est-elle maintenant réduite à presque rien, y compris à Istanbul. Quand à son hostilité à la Grèce, terre orthodoxe (donc à la Russie), elle est intacte et absolue. Par ailleurs, les Turcs, qui se considèrent comme les héritiers du plus grand empire musulman du monde, acceptent très mal les indépendances des pays arabes jadis soumis à la Sublime Porte. Ils professent volontiers un certain sentiment anti-Arabe et surtout anti-panarabiste 2.

Aspects historiques récents

Alliée de l’Allemagne durant la Grande guerre 3, la Turquie a donc succombé aux puissances victorieuses qui se sont taillées sur ses dépouilles des zones d’influence qui, à quelques détails près, ont abouti à la carte du Proche Orient telle que nous la connaissons aujourd’hui. Mustapha Kemal Atatürk s’insurgea contre la sujétion dans laquelle était tombé son pays, et organisa une véritable « révolution culturelle » dans les années 1920. Elle donna naissance à la Turquie moderne, seul Etat musulman véritablement laïc de la planète.

Neutre pendant le second conflit mondial et s’étant opposé fermement à Staline aux débuts de la guerre froide, ce pays s’est ancré dans le camp occidental en adhérant à l’OTAN, dont il est l’un des plus fidèles partenaires entre les mains des Américains. Il poursuit néanmoins une politique constante d’hostilité à la Grèce, qui culmina avec l’invasion et la partition de l’île de Chypre en 1974, dont tout le nord est maintenant sous domination turque 4.

Perspectives

Ce pays a de grandes ambitions puisque l’on parle turc d’Istanbul au Sin-Kiang, son premier ministre Ecevit a d’ailleurs déclaré récemment que « la Turquie n’est pas une puissance régionale mais une puissance globale ». Néanmoins, ce panturquisme n’est actuellement pas appelé à un grand avenir du fait de la jalouse identité que manifestent les républiques turcophones d’Asie centrale 5.

Les perspectives à court terme de la Turquie résident dans sa farouche volonté d’adhésion à l’Europe dont le Conseil a enfin accepté d’enregistrer en 1999 la candidature, après des décennies de refus. Cette adhésion ferait le jeu des Américains qui craignent beaucoup une Europe culturellement homogène et font tout pour occulter les immenses problèmes que constitue l’immigration turque en Occident 6.

Par ailleurs, la Turquie se place dans les Balkans et au Caucase comme une digue anti-orthodoxe (toujours sur l’influence américaine) ainsi que comme un allié d’Israël, par anti-arabisme.

Elle connaît deux problèmes majeurs et immédiats : l’irrédentisme kurde et la montée de l’islamisme qui, sans l’intervention constante de l’armée (600 000 hommes 7) dans la vie publique, aurait probablement déjà triomphé par la voie des urnes.

Aussi ce grand pays au fort sentiment national mérite-t-il toute notre vigilante attention.

Tancrède Vitry

1

Qui fit environ un million de morts, peut-être plus. La Turquie en profita pour régler définitivement le sort des restes de la « Grande Grèce » de l’antiquité, ou « Grèce d’Asie » encore installée sur les rives de la péninsule anatolienne. La mer Egée n’est donc plus un lac grec, la Turquie en revendique maintenant la moitié.

2

D’où leur hostilité à Nasser, Saddam Hussein, Arafat, etc. tous tenants de « la grande nation arabe ».

3

Le commandant en chef de l’armée turque était un général prussien.

4

Par là même, la Turquie se venge du constant appui de la Grèce à la Serbie durant la fin du XIXe siècle.

5

On parle turc à …Mazar i Charif, au nord de l’Afghanistan. Voilà pourquoi les Turcs ont immédiatement proposé leur concours pour envoyer des troupes sur le terrain de l’opération « Liberté immuable ».

6

Il a été dit qu’intégrer la Turquie et ses soixante millions de musulmans dans l’Europe (nolens volens chrétienne) était comparable à accepter l’intégration du Mexique (catholique et latin) aux Etats-Unis… ce que ces derniers se gardent bien d’envisager.

7

138 000 en France.